Page images
PDF
EPUB

sommations faites, charger cette multitude hideuse qui se retira en désordre.

Au commencement de mai, deux châteaux situés dans le canton de Nérondes eurent à soutenir de véritables siéges : le château de M. Métairic, maître de forges à Précy, et celui de M. de Rolland à Mennetou. Une bande d'une soixantaine de brigands, armés de faux, de fourches et de fusils, cerna le château de Précy, et l'aurait infailliblement pillé et incendié, si M. Métairic, averti à temps, n'eût été en mesure de repousser vigoureusement l'attaque dirigée contre lui. Enfermé dans sa demeure avec ses serviteurs et quelques membres de sa famille, M. Métairic eut à soutenir un siége de deux heures. Les brigands tentèrent plusieurs fois de donner l'assaut, mais repoussés par une vive fusillade, ils lâchèrent pied et se dirigèrent sur le château de M. Paul de Rolland. Là ils trouvèrent des préparatifs de résistance encore plus formidables, et, après une démonstration insignifiante, ils se retirèrent.

Ces tentatives anarchiques remettaient en mémoire l'action secrète des sociétés. Mais eux-mêmes, les meneurs semblaient prendre à tâche de se rappeler au souvenir des populations effrayées.

Dans les premiers jours de mai, quelques journaux reproduisirent des manifestes remplis de violences, de menaces, d'exagérations révolutionnaires, répandus, disait-on, parmi les ouvriers, et désavoués, condamnés, hâtons-nous de l'ajouter, par toutes les nuances du parti républicain aussi bien que par les feuilles qui les publiaient pour les signaler au mépris public. A la suite de recherches actives, la police découvrit, rue Cadet, les imprimeries clandestines d'où sortaient ces appels odieux, et elle arrêta six individus qui travaillaient à cette œuvre de propagande anarchique. Parmi ces hommes se trouvaient quatre anciens transportés de juin graciés.

Un journal du soir, en annonçant ces arrestations, ajoutait comme ouï-dire, que deux représentants montagnards avaient failli être appréhendés au moment où ils venaient de corriger des épreuves du nouveau bulletin révolutionnaire. Le lendemain, le Moniteur, à qui sa situation officielle commande plus de circonspection, reproduisait le renseignement agressif de la feuille du

soir. Cette attaque contre la dignité de deux représentants produisit un profond mécontentement et fut habilementexploitée par la Montagne. Le ministre de l'intérieur, interpellé sur ce manque d'égards envers le caractère législatif, avoua que l'autorité avait été induite en erreur.

Mais ce qui n'était pas niable, c'était l'audace, le cynisme des documents saisis. L'une de ces pièces, portant pour titre : dixième bulletin du Comité de résistance, eût été digne de servir de manifeste à une Saint-Barthélemy démocratique et sociale. Par une précaution oratoire assez transparente, le journal qui la publiait, fidèle à la tactique de son parti, insinua que ce pourrait être là l'ouvrage de la police.

[blocks in formation]

» Le moment est arrivé de reprendre le fusil et d'exterminer, d'un bout à l'autre de la France, les infâmes aristocrates que le 24 février avait épargnés généreusement, et qui n'ont pas cessé de vous pressurer, de vous voler et de vous ruiner.

>> L'insurrection est un droit qui appartient au peuple; c'est un droit qui vous rendra tous ceux qu'on vous a ravis; c'est le seul droit qui vous reste. Vous le savez, que chacun de vous se prépare.

» Au premier son de tocsin, comptez sur le concours énergique de vos frères de Paris : de même qu'ils comptent sur votre concours si les circonstances leur faisaient prendre l'initiative.

[ocr errors]

Soyons tous solidaires, et qu'au premier ébranlement tous se lèvent.

» Mais, en attendant l'heure prochaine de la justice populaire, écoutez un conseil et suivez-le, car il est bon :

» Le peuple, en 1830 et en 1848, a fait grâce à tous les royalistes, et ces lâches suppôts du despotisme n'ont répondu à cette générosité que par des crimes plus atroces.

» Aujourd'hui, il n'y a plus de pardon possible; il n'en faut point, il ne doit point y en avoir !

>> Tel doit être notre mot d'ordre, notre cri de ralliement, si nous voulons que la révolution que nous préparons soit la dernière et nous apporte enfin le bien-être, l'aisance, la richesse, en un mot, le droit de jouir de notre travail.

Frappez sans pitié : les traîtres ne méritent aucune miséricorde. Tous ceux qui combattent la république sont des traîtres, et ceux qui s'abstiendront au moment du combat leurs lâches complices.

[ocr errors]

Répondez à la résistance avec du plomb, du fer et du feu.

>> Pour que votre émancipation soit complète et votre bonheur durable, il faut que vos ennemis soient anéantis et disparaissent sous terre.

» Regardons autour de nous et nous reconnaîtrons les ennemis dont nous devons faire justice implacable; comptons-les, et au grand jour qu'ils tombent foudroyés.

» Frères, c'est au nom du salut de tous que nous vous adressons ce conseil. Songez d'ailleurs qu'en marchant à la conquête de la liberté il serait dangereux de laisser dans vos communes cette race lâche qui vous frapperait par derrière et immolerait vos femmes et vos enfants.

» Citoyens, si en février la correction eût été complète, si la réaction n'eût pas profité de la magnanimité du peuple pour organiser la trahison, vous ne seriez pas obligés de prendre demain les armes pour reconquérir vos droits et votre liberté, et depuis longtemps la prospérité régnerait sous la république démocratique et sociale.

» Soyons énergiques!

» Que 1851 comble la lacune laissée en 1793.

» Et tout sera dit!

>> Salut et fraternité !

» Le comité central de résistance. »

Trois autres bulletins avaient paru à un jour de distance. Le premier, émané d'un comité qui s'intitulait le Comité du Centre, parut assez pâle à côté du dixième bulletin: c'était cependant encore un appel à l'insurrection immédiate. Qu'on en juge :

<< Patriotes français !

>> L'horizon politique se rembrunit, des projets pervers vont être présentés à l'Assemblée; nos gouvernants méditent encore l'assassinat des quelques vestiges de liberté qui nous restent; notre Constitution, a demi mutilée, va l'être complétement. La sombre misère, loin de disparaitre, augmente d'une manière effrayante. Les aristocrates, au lieu d'en vouloir la destruction, ne font qu'attiser ce chancre rongeur des prolétaires. Leur lâche audace ne connaît plus de bornes, et ils continuent à conspirer contre la République et la révolution, malgré notre vigilance.

» Donc, point d'illusions! Il est certain que l'heure fatale arrive pour eux, et tout annonce une tempête terrible que nous n'aurons pas provoquée, mais que nous ne fuirons pas. Nous conserverons au milieu du prochain ouragan révolutionnaire qui se prépare l'énergie de nos pères du 10 août 1792 et la vigueur de ceux qui combattirent les cohortes royalistes dans les champs de l'Argonne et dans les plaines de la Vendée.

>> Que tout soit mis en œuvre pour combattre et terrasser définitivement les criminels ennemis du peuple. Le moment approche où les sacrifices seront nécessaires. Que chacun s'apprête à payer sa dette républicaine !

>> Que nous font, à nous patriotes, les projets liberticides du bilieux Faucher et du haineux Rouher! La révoltante apostasie des uns et la cynique témérité des autres nous disent assez que c'est le dernier ministère qui trahira la France. Ce ministère veut tuer la révolution, la révolution l'écrasera comme une immonde chenille.

>> Membres du Sénat, ministres de Bonaparte, réactionnaires de toutes les factions, sachez-le, vous n'aurez la paix qu'à une seule condition, la voici : c'est de rendre au peuple sans restriction le suffrage universel, la liberté de la presse, le droit de réunion, en un mot, de lui rendre sa véritable souveraineté. Si vous ne le faites pas, soyez-en sûrs, vous aurez la guerre, mais une guerre implacable, une guerre d'extermination. Vous l'aurez non-seulement à Paris, mais partout, dans les villes comme dans les villages. Toute la France républicaine se lèvera pour vous faire rentrer dans le néant d'où vous n'auriez jamais dů sortir.

» Et vous, craintifs et pusillanimes Montagnards, réveillez-vous ! Les démocrates qui vous ont délégués désirent que votre attitude dans le sein du parlement soit plus énergique, plus révolutionnaire, moins timide et moins pâle. Sachez qu'avec de l'audace et du dévouement vous pourriez jeter la terreur dans le camp de nos lâches ennemis. Une telle conduite électriserait les popu lations et leur ferait définitivement secouer le joug de leurs odieux oppresseurs. Ce n'est qu'à ce titre que vous pourrez effacer de l'histoire vos défaillances passées et montrer aux patriotes que vous n'êtes pas des endormeurs politiques.

» En terminant ce bulletin, nous dirons encore aux républicains de veiller plus que jamais au salut de la république. Prêtons l'oreille aux événements : que chacun s'apprête à soutenir, le fusil à la main, la lutte que les amis de la liberté et de l'égalité vont enfin livrer aux satellites des despotes. Polignac-Faucher nous fournira bientôt l'occasion de mettre au service de la patrie tout ce que nous avons de vigueur et d'énergie.

» Vive la république démocratique !

» Le comité du centre. »

Suivait une proclamation signée de vingt-quatre membres de la Montagne, qui formaient, sous la présidence de M. Michel (de Bourges), une Montagne séparée, sous le nom de Nouvelle Montagne. Cette pièce, pacifique en apparence, faisait une réserve formelle en faveur du droit d'insurrection pur et simple, tout en invitant le peuple à se défier des insurrections inoppor

tunes.

<< Citoyens,

» Une ère nouvelle s'ouvre devant nous,

>> Choisi par le peuple pour protéger la république, défendre les institutions démocratiques, créer et développer les intérêts de la révolution, le pouvoir exécutif, s'il fallait en croire ses organes semi-officiels, aurait conçu le dessein d'introduire dans la loi fondamentale, et par des moyens illégaux, des modifications dont le résultat serait de détruire la Constitution, tout en feignant d'en perfectionner certaines dispositions; et, sous prétexte d'ajouter à la durée, à la puissance, à la stabilité du pouvoir, de multiplier en réalité les chances de l'usurpation sur la souveraineté populaire.

>> Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas croire à ces criminelles pensées

où l'ingratitude occuperait encore plus de place que la démence. Toujours est-il que ces funestes projets, s'ils existaient, ne pourraient se faire jour qu'à l'aide de prétextes fournis par des émeutes, des rassemblements tumultueux formés par des impatiences aveugles, excités par des courages plus généreux que réfléchis, provoqués peut-être ou encouragés par la police. Gardez-vous des insurrections dout tout le monde sait le jour et l'heure, excepté le peuple, qui seul a le droit de manifester l'irrésistible majesté de sa puissance, où, quand et comme il lui plaît.

>> Dans les circonstances critiques et solennelles où nous place la folie de nos ennemis, nous avons tous des devoirs impérieux à remplir. Veiller au maintien de la loi, dévoiler les manœuvres de l'intrigue, déjouer les calculs de l'ambition, dénoncer au pays les tentatives contre-révolutionnaires, et, là où nos efforts seraient impuissants, faire appel au patriotisme de la France; tels sont le soin, le danger et l'honneur de la position officielle que la confiance du peuple nous a faite.

» Si, par un malheur que nous voulons croire impossible, un pouvoir aveugle se jetait dans les aventures d'un coup d'Etat ou d'une violation flagrante de la Constitution, soyez-en sûrs, citoyens, il se rencontrerait au sein de l'Assemblée législative un nombre imposant de représentants du peuple qui, s'élevant à la hauteur des circonstances, et ne prenant conseil que de leur dévouement à la cause démocratique, signaleraient au pays les périls de la situation, et partageraient les dangers auxquels ils auraient convié le peuple pour le salut de la République.

>> Au cri d'alarme poussé par vos mandataires, vous que le sentiment du devoir tient toujours en émoi, vous levant tous comme un seul homme, et, confondus parmi vos représentants fidèles, vous n'auriez qu'à vous montrer unis sous la bannière de la République pour faire rentrer dans le néant les ennemis du peuple.

>> Jusque-là citoyens, soyez calmes, car vous êtes forts; soyez confiants, car la justice est de votre côté. Veillez avec sollicitude, mais sans agitation et sans secousses. Le repos dans la force n'est pas le sommeil dans l'indifférence. Otez au pouvoir tout prétexte de mal faire. Forcez-le, par la sagesse de votre conduite, au respect de la paix publique, comme nous le forcerons, nous, par la fermeté de nos actes, au respect de la Constitution.

» Salut fraternel.

>> Baudin, Baune, Boysset, A. Bruys, Cholat, Colfavru, Combier, Dussoubs-Gaston, Duputz, Faure (du Rhône) Gastier, Gindriez, Greppo, Laboulaye, Lafon, Lamarque, Madier de Montjau, Félix Mathé, Michel (de Bourges), Nadaud, Racouchot, Richardet, Saint-Ferréol, Viguier. >>

Venait enfin un dernier manifeste, adressé au peuple et à l'armée. Celui-là était donné comme le vrai dixième bulletin du vrai comité central de résistance. Ce document, destiné en apparence à calmer et à contenir le peuple, dépassait par la férocité niaise du langage et par ses provocations atroces toutes les vio

« PreviousContinue »