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lences du bulletin apocryphe. On y enveloppait dans la proscrip-, tion commune toute la presse prétendue démocratique de Paris, et le National, qui déjà patronait la candidature du général Cavaignac à la présidence de la République, put comprendre une allusion à des candidatures que la conscience du peuple repousse avec horreur.

AU PEUPLE, A L'ARMÉE.
(Dixième bulletin.)

« Travailleurs qui vivifiez le pays, soldats qui en êtes les défenseurs, vous tous enfin qui supportez seuls le fardeau de la société, sans recueillir aucun des avantages qu'elle vous promet, vos souffrances auront bientôt un terme. Encore un an de patience, et vous serez vengés de tant d'injustices, et le baume de l'égalité cicatrisera vos plaies. Chaque jour qui s'écoule rapproche celui de la réparation.

>> Vos oppresseurs en frémissent. Ceux qui gouvernent sentent le pouvoir s'échapper de leurs mains coupables, et l'épouvante s'est emparée des exploiteurs de tout ordre. Comme des bêtes fauves auxquelles on veut enlever leur proie, ils exhalent leur fureur en rugissements. Ils voudraient pouvoir nous broyer tous sous leurs dents carnassières. Il est si doux pour ces âmes ulcérées par l'ambition, pétrifiées par l'égoïsme, de nous tenir sous le joug, de s'abreuver de nos larmes et de s'engraisser de nos sueurs, que les monstres semblent préférer la mort à l'idée de renoncer à ces jouissances.

>> Ils n'abandonneront pas le terrain, soyons-en sûrs, sans laisser derrière eux une traînée de sang. C'est ainsi qu'ils ont toujours fait : ils ne voudront pas déroger. S'ils sont divisés maintenant, c'est que chacun d'eux prétend à une domination exclusive; le danger commun les réunira contre nous. Il faudra donc nous attendre d'avoir à lutter avec toute la vermine monarchique de l'Elysée, de Venise et de Claremont.

>> Ils redoutent trop le mouvement national de 1852 pour aller avec nous jusque-là: ils nous provoqueront avant. Prenons garde; tenons-nous plus que jamais sur le qui-vive, et attendons-les venir.

>> Ils annoncent niaisement une émeute pour le 4 mai. Qu'ils se tranquillisent. Le peuple, ce jour-là encore, les accablera par son calme et son attitude républicaine. Les émeutes! notre discipline les rend désormais impossibles.

>> Méfions-nous de la presse prétendue démocratique. Tout ce qui nous reste à Paris de journaux quotidiens préparent de longue main leur trahison. Voyezvous avec quel art ils cherchent à accoutumer leurs lecteurs à l'idée d'accepter la loi du 31 mai, insinuant que, malgré cette loi liberticide, nous serions assez forts pour triompher? Attendez encore un peu, et ils lèveront le masque, et les candidatures que votre conscience repousse avec horreur s'étaleront insolemment dans leurs colonnes.

>> Peuple!

» Tu ne peux compter que sur toi. N'attends rien que de ta propre énergie. >> Soldats!

» Apprêtez-vous à seconder vos frères. L'ardeur que vous montrez dans la

ligue des opprimés contre la tyrannie est d'un bon présage; votre gloire sera d'autant plus grande que vous aurez eu plus de périls à courir. Des ambitieux vous considèrent comme leurs instruments; on veut vous faire servir de sinistres projets. Mais vous n'êtes ni de vils prétoriens ni de lâches bourreaux. Vos cœurs sont au peuple et vos balles à ses ennemis.

» Vive la république sociale!

» Le comité central de résistance. »

Comment s'étonner qu'un tel langage et la perspective de tous les dangers réunis sur la date de mai 1852 fussent un sujet d'épouvante pour les honnêtes gens, d'encouragement pour les pérvers? Comment s'étonner que les habiles cherchassent à exploiter ces terreurs de la société menacée ? Les lignes qu'on va lire, et qui appartiennent à un spirituel pamphlet déjà cité par nous, le Spectre rouge, purent alors, aux yeux de beaucoup, échapper au reproche d'exagération :

« Il n'y a dans l'organisation de 1789, nul levier pour soutenir une société qui s'abat. Cette société de procureurs et de boutiquiers est à l'agonie et si elle peut se relever, c'est qu'un soldat se sera chargé de son salut. Le canon seul peut régler les questions de notre siècle, et il les réglera, dut-il arriver de Rus sie. Je conclus avec un commentateur de Tacite, que la multitude populaire est un monstre terrible, furieux, inconstant, léger, précipitatif, paresseux, désireux de nouveautés, ingrat, perfide, cruel, vindicatif, et en somme un mélange de toutes sortes de vices sans compagnie d'aucune vertu. Le terme où nous touchons, c'est le chaos social, c'est la barbarie.

>> L'Europe depuis 89, ressemble à un collége en révolte.; on y a brisé les bancs, éteint les quinquets, battu les maîtres, et après ce désordre ridicule, accompli au nom d'un grief enfantin, qu'on nomme le progrès, on attend tout penaud et tout contrit l'arrivée de la force. Il est bien temps qu'elle apparaisse.

>> Il n'y a pas une femme qui accouche à l'heure qu'il est, qui n'accouche d'un socialiste, a dit M. Pelletan. La nation française n'existe plus, il n'y a sur le vieux sol des Gaules, que des riches inquiets et des pauvres avides. Il n'y a que cela; les pauvres dressés à la haine, à la soif du pillage, sont prêts à ravager par leurs millions de bras les appartements. Ce qui les retient à cette minute où j'écris, c'est l'armée. »>

Ce cri d'effroi poussé dans l'intérêt d'un parti, une voix calme et sereine, peu habituée à mêler ses accents à ceux des colères ou des terreurs publiques, le répétait avec une autorité singulière. Dans un mandement admirable, monseigneur l'archevêque de Paris fit un triste et éloquent tableau de cette société qui chancelait sur sa base.

<< Hélas! pourquoi vous le dissimulerions-nous? Aucun signe n'a paru sur l'horizon qui puisse rassurer notre cœur paternel et diminuer nos alarmes. Le sel tremble toujours sous nos pas. La sagesse humaine est à bout: elle se déclare vaincue, en présence de cet ébranlement universel. Les plus fermes empires, aux termes des livres saints, penchent; la société tout entière, comme un homme ivre, chancelle au bord de l'abîme; et les peuples effarés regardent au ciel avec anxiété, dans l'attente de ce qui menace le monde.

>> C'est, nos très-chers frères, l'impression commune et la préoccupation générale. L'effroi trouble jusqu'aux plus fortes têtes; et devant cet épouvantable avenir, pas un courage qui ne défaille. « Les rois s'en vont,» s'écriait, il y quelques années, un sage de la politique humaine. Chacun répète aujourd'hui que c'est, hélas! toute la société qui s'en va : le vieil ordre social s'affaisse, tout tombe, tout se précipite. Mais, nous le demandons aux plus habiles, après cette dissolution du monde moral, lorsque le chaos se sera fait, qui dira à la lumière Sois! et à l'ordre : Reparais !

:

» Grand Dieu ! ne pourrons-nous donc pas conjurer la tempête qui mugit et s'avance, ni détourner ce torrent de calamités prêt à fondre sur nous? Est-il donc toujours nécessaire, selon le plan divin, de passer à travers les angoisses de la mort pour arriver à la vie? Le retour à l'ordre, à la paix, la rénovation dans la justice et dans le bien ne se font-ils qu'à ce prix ? Nous faudra-t-il les payer, sans aucune remise, par le bouleversement de la civilisation, par toutes les horreurs de la misère ? »

Mais le pasteur des âmes ne voyait pas, comme le publiciste, le remède unique de ces maux dans une dictature armée : il le plaçait dans la justice et la charité :

Ecoutez, frères bien-aimés: Dieu nous fait répondre par son prophète qu'il à fait toutes les nations de la terre guérissables; et sanabiles fecit nationes orbis terrarum. Ah! il y a donc encore de l'espoir, si nous savons appliquer le remède au mal. Mais quel est le mal et quel est le remède?

>> Le mal? C'est, au sein du christianisme, quelque chose de cette haine contre nature entre le riche et le pauvre, que le prophète comparait, dans les temps antiques, à l'inimitié sauvage entre l'hyène et le chien ; c'est, d'une part, l'égoïsme et l'avarice, c'est l'envie et la convoitise; de l'autre, c'est, dans tous, l'amour effréné des jouissances matérielles, au mépris de la loi de Dieu que nous foulons sans cesse aux pieds; c'est, au milieu de nos plaisirs, l'oubli des célestes destinées de l'homme; c'est le péché, en un mot : car le péché seul fait les peuples misérables, disent les oracles sacrés, miseros facit populos peccatum.

» Et le remède, alors? Ne le voyez-vous pas ! Il est dans la cessation du péché, dans le retour à la dignité de notre nature immortelle, dans la stricte observation de la loi divine, qui veut l'amour fraternel du riche et du pauvre, lë dévouement réciproque, l'esprit de sacrifice, le respect de tous les droits, l'accomplissement enfin de toute justice : car si le péché rend les peuples misérables, la justice seule élève les nations, les fait grandes et prospères : Justitia elevat gentem, miseros autem facit populos peccatum. »

En face de ces inquiétudes croissantes, les partis monarchiques continuaient à jouer, comme aux époques parlementaires, le jeu dangereux des petites intrigues. On cherchait à se tromper mutuellement on se préoccupait peu de ce que le pays pouvait penser de ces combinaisons de salon ou de cabinet.

Sans doute l'hérédité monarchique est une garantie de sécurité là où elle s'est solidement établie : mais fallait-il persister à ne pas voir l'éloignement, bien ou mal fondé, que les populations ressentaient, sinon pour le principe, au moins pour les personnes? Fallait-il faire de princes bannis de leur pays par les malheurs du temps, autant de compétiteurs à un pouvoir déjà trop faible, trop précaire, trop incertain de l'avenir? Fallait-il préférer la mort de la société, si sa guérison ne pouvait être obtenue par tel ou tel remède exclusif?

Des deux partis monarchiques qui, rapprochés par leur chute commune, s'observaient mutuellement et réservaient les chances de l'avenir au milieu de leurs incurables défiances, celui qui pouvait, à juste titre, invoquer le plus hautement sa bonne foi, c'était sans doute le parti légitimiste. Jusqu'alors, il s'était laissé sacrifier en silence.

Il était impossible de ne pas reconnaître dans quelle situation d'infériorité avait été placé le parti légitimiste dans l'alliance provisoire dite la fusion. Sur 60 membres du comité électoral connu depuis sous le nom de Comité de la rue de Poitiers, dès l'origine, 45 appartenaient au parti orléaniste et 15 au parti légitimiste. Les chefs les plus accrédités du parti de l'ordre étaient partisans de la monarchie de juillet, et tel apôtre de la fusion avait contribué pour une grande part au renversement du trône de Charles X.

Un moment, pourtant, on crut à un rapprochement sérieux des deux branches de la maison de Bourbon et ceux qui, dans leurs transactions politiques, oubliaient toujours la condition suprême du consentement populaire, crurent à la réalisation de leurs

vœux.

M. le duc d'Aumale vint à Naples avec madame la duchesse d'Aumale; il Y était amené par des arrangements de famille à prendre par suite de la mort du duc de Salerne, son beau-père.

Le duc passa par Bruxelles et Cologne, traversant une partie de l'Allemagne et de l'Italie. M. le comte de Chambord était alors à Venise, mais cette ville ne se trouvait pas sur la route des princes voyageurs. Peu après l'arrivée à Naples du duc d'Aumale, le duc et la duchesse de Parme s'y rendirent, peut-être pour rencontrer leur cousin et lui offrir leurs compliments de condoléance pour la mort du prince de Salerne. On assura que cette démarche avait eu l'approbation de M. le comte de Chambord.

M. le duc d'Aumale et madame la duchesse de Parme se rencontrèrent dans la loge du roi de Naples, au théâtre d'Il-Fundo, dans la soirée du 26 mai. Les rapports les plus courtois et les plus bienveillants eurent lieu entre les deux parents, et, après quelque temps, leur conversation, qui prenait un caractère tout particulier d'intimité et de confiance, devint l'objet de la curiosité et de l'intérêt général. C'était la première fois, en effet, depuis 1830, qu'un prince de la maison d'Orléans se trouvait ainsi rapproché d'un membre de la branche aînée.

M. le duc d'Aumale ne chercha pas à cacher la satisfaction qu'il éprouvait dans cette circonstance. Il témoigna son bonheur d'avoir eu l'occasion de faire la connaissance de l'auguste fille de la duchesse de Berry, et il ne cessa de s'exprimer dans les termes les plus vifs sur la grâce et la vivacité de son intelligence.

C'en était fait dès lors : la fusion était accomplie. Une simple rencontre avait assuré le bonheur de la France. Il n'y avait plus qu'à se porter à la frontière et à préparer des arcs de triomphe.

Tous ces enfantillages politiques tombèrent bientôt devant la réalité. La conduite habilement significative des princes de la maison d'Orléans ne laissa pas d'illusions bien durables aux utopistes de réconciliation. Un curieux petit volume qui parut à cette époque, avec ce titre : Abdication du roi Louis-Philippe racontée par lui-même, définit avec une impitoyable netteté la politique traditionnelle de cette maison.

« Le duc d'Orléans intriguer! y disait le vieux roi, les ducs d'Orléans conspirer! Ah! ça n'a jamais été leur habitude, ni dans le présent, ni dans le passé, ni sous la première République, ni sous l'Empire, ni sous la Restauration.

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