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» Leur politique, à eux que le hasard de la naissance avait placés à deux pas du trône, a toujours été une politique expectante. Ce n'est pas qu'elle attende dans l'indifférence ou dans l'incurie; loin de là; elle est attentive aux péripéties du présent, et, le regard fixé sur l'avenir, elle s'efforce de n'être jamais au-dessous ou en dehors des circonstances. C'est cette politique que j'avais coutume de définir la politique d'idonéité.

>> On peut dire des d'Orléans qu'ils se sont appliqués à être toujours en mesure de donner à leur patrie, au jour et à l'heure voulus par l'intérêt général, leur dévouement, leur épée, leur intelligence et leur vie. Mais qu'on ne les accuse pas d'avoir jamais ni hâté ni devancé les événements, l'accusation porterait à faux. Seulement, quand les besoins et la volonté du pays réclament les services de la famille d'Orléans, elle est là. >>

Les hommes vraiment politiques du parti légitimiste ne s'arrêtaient pas à ces combinaisons puériles, à ces espérances sans cesse déçues. Ils envisageaient la situation de plus haut.

Une dernière séance des représentants de la droite eut lieu, rue de Rivoli, le 18 mai. M. de Falloux, avec toute l'autorité de son talent et de son caractère, s'expliqua ainsi au nom d'une importante fraction du parti légitimiste.

Nous ne devons pas, dit-il, avoir même l'apparence de faire de la politique de parti. Avant tout il faut nous placer dans le courant des idées monarchiques et nationales, et le diriger, en tenant compte des intérêts, des besoins, des souffrances, de tous les désirs du pays, nous identifier avec lui complétement et affectueusement, sans arrière-pensées personnelles. Ayons toujours devant nous l'exemple donné par le M. comte de Chambord dans sa lettre de Venise; là, il ne s'est pas présenté comme le roi d'un parti, mais comme la personnification vivante de tous les sentiments et de tous les intérêts de la nation entière.

Appliquant cette pensée à la question du jour, la révision, M. de Falloux montra que le pays ne comprendrait pas qu'en discutant la révision on ne passât pas immédiatement au vote. Les orateurs ne seraient plus à ses yeux que de brillants artistes dont les combinaisons ingénieuses et les phrases sonores n'arriveraient pas jusqu'aux masses, car le peuple ne sait pas ce qu'on dit, mais ce qu'on fait pour lui. Le vote seul couronnerait la parole.

Répondant à une objection qui avait été faite, et qui était tirée de la crainte d'une pression exercée par le Président actuel de la République, M. de Falloux demanda si le refus de réviser ne ren

drait pas cette pression bien plus forte encore, plus irrésistible. Nous fournirions, ajouta l'orateur, nous fournirions au Président le thème le plus favorable pour nous déconsidérer aux yeux du pays. Il en appellerait contre nous, nous montrerait unissant nos votes à ceux des rouges que la nation redoute.

Allant ainsi au-devant de toutes les craintes émises, de tous les scrupules manifestés, l'éminent orateur cherchait à rassurer les esprits inquiets et irrésolus. Il fut bientôt amené à conclure que la prudence tendait, au contraire, à écarter aujourd'hui la pensée d'un ajournement.

« Vienne la discussion, s'écriait-il, M. Berryer nous a montré le roi et on a applaudi ; que sera-ce donc quand on montrera la royauté? >>

Parlerai-je d'habileté! ajoutait M. de Falloux, je ne connais que l'habileté du vrai, et ne puis conseiller d'autre politique; laissons le reste à la Providence. Répondant à cette pensée, que la Providence ne semble pas se mêler des affaires politiques de ce monde, M. de Falloux trouva une belle inspiration en rappelant tous les succès du parti de l'ordre, depuis 1848 : la loi d'enseignement, l'expédition de Rome, le rapprochement de partis autrefois en lutte, l'ordre rétabli si miraculeusement, « grâce surtout au concours énergique du digne chef qui commandait l'armée. »

«En considérant cet ensemble de faits, disait-il encore, il me semble que la Providence n'a jamais mieux gouverné, et je serais presque tenté de dire qu'elle n'a guère fait autre chose depuis trois ans, que de la politique. >>

Puis, relevant quelques paroles à la fois aimables et éloquentes qui lui avaient été adressées par M. Berryer, M. de Falloux dit: << Tout le monde a applaudi à ces paroles, moi comme les autres, parce que ma modestie comme mon orgueil se trouvaient complétement désintéressés. Quel orgueil peut avoir un miroir qui ne fait que réfléter la lumière si pure qui brillait à Venise! » Ici M. de Falloux, en juge compétent, dont les appréciations perdaient tout caractère de banalité, s'exprima avec une profonde émotion sur les qualités et les vertus dont il avait été témoin dans la personne de M. le comte de Chambord. L'illustre orateur impressionna vivement toute la réunion par le dernier trait de

cette brillante esquisse, quand il parla de « cette noble tête qui, quelque belle qu'elle soit, paraîtra toujours dépouillée et incomplète, tant qu'elle ne portera pas la couronne que le ciel lui a destinée. »

La première parole que j'ai porté à M. le comte de Chambord, dit en terminant M. de Falloux, a été l'expression de mon respect pour monsieur le Président, et d'une profonde reconnaissance pour le mal qu'il a empêché, pour le bien qu'il a fait, pour le bien qu'il fait encore, et je suis sûr que si quelque chose m'a gagné la bienveillance dont M. le comte de Chambord m'a comblé, c'est cette première expression de mes plus sincères senti

ments.

Nous avons voulu, en analysant ce singulier et éloquent discours, montrer quelle était, en dehors de la tribune officielle, l'attitude du parti légitimiste avant la discussion. On voit que, pour ne pas fonder ses espérances sur des combinaisons inférieures, M. de Falloux ne les dissimulait pas et qu'il plantait son drapeau sur la brèche avec une énergique franchise.

Comment dès lors trouver un crime dans les efforts des partisans du Président de la République? Comment prétendre enfermer ce seul parti dans une situation impossible, quand, de tous les autres, pas un ne dissimulait des désirs, des espérances contraires à l'état actuel des choses.

D'ailleurs, il faut bien le dire, le Président de la République occupait la situation la plus avantageuse, celle qui comportait le plus de moyens d'action, celle qui lui rendait inutiles les machinations secrètes et les intrigues vulgaires, en mettant entre ses mains le puissant levier de la centralisation gouvernementale et administrative.

. Pourtant deux incidents qui ne furent pas suffisamment expliqués permirent de supposer que l'action de ceux qu'on appelait les Elyséens, ne se bornait pas aux moyens visibles.

On fit courir le bruit que, dans les derniers jours d'avril, M. de Persigny aurait demandé et obtenu de M. le général Changarnier une entrevue secrète. La rencontre aurait eu lieu dans le modeste appartement qu'occupait le général, à l'entrée du faubourg Saint-Honoré. M. de Persigny, en entrant dans le petit salon du

général, se serait écrié : « Quelle douleur pour moi de voir dans un si petit réduit un homme qui tient une si grande place dans le pays! » A cette exclamation, le général aurait répondu : « C'est que j'ai besoin d'un petit cadre pour paraître grand... >>

Puis, la conversation s'étant engagée, M. de Persigny aurait fait des ouvertures rarement interrompues par de froides et vagues paroles. On résumait ainsi les propositions adressées au général :

<< Le triomphe définitif du Président est certain. Le nom magique de Napoléon entraînera irrésistiblement les masses. Cette influence est telle qu'on pourrait, à la rigueur, se passer du concours de l'Assemblée. Déjà, pendant la dernière crise ministérielle, et en face de la difficulté qu'on trouvait à former un ministère parlementaire, on avait composé un cabinet extra parlementaire dont lui, M. de Persigny, faisait partie, et qui devait opérer immédiatement la solution. Un manifeste rédigé par le Président était prêt, et l'effet en aurait été tel que personne n'aurait même pu songer à la résistance. Néanmoins on préfère agir d'accord avec l'Assemblée. On serait donc reconnaissant au général, dont on admire les talents, le caractère, etc., etc., s'il consentait à monter à la tribune, lors de la discussion sur la révision de la Constitution, pour engager la majorité à se rallier au Président, ce dernier rempart de la société contre les barbares, etc., etc. On voudrait bien pouvoir rendre au général son commandement; mais, par sa destitution, l'Assemblée a été vaincue ; il faut qu'elle reste vaincue. Le Président est bien résolu à ne se dessaisir d'aucun des avantages qu'il a conquis sur elle. Toutefois, le général peut compter que plus tard on saura reconnaître dignement, etc., etc. »>

On ajoutait que le général avait imposé silence aux sentiments d'indignation qu'avaient excités en lui ces étranges avances, et qu'il s'était contenté d'y opposer une froide et dédaigneuse politesse.

Il y avait là sans doute beaucoup d'exagération et on pouvait reconnaître dans cette mise en scène une tentative des partis monarchiques pour grandir un homme en qui chacun d'eux voyait, à tort ou à raison, un instrument dévoué. Mais, enfin, le fait même de l'entrevue ne fut pas démenti. M. de Persigny adressa à un journal la lettre suivante :

« Paris, le 1er mai 1851.

>> Je déclare que la visite que j'ai eu l'honneur de faire au général Changarnier ne m'a été inspirée que par des communications que j'ai dû croire émanées du général lui-même. J'ajoute que, loin d'avoir reçu une mission du Président

de la République, je lui ai laissé ignorer cette démarche. Enfin, je maintiens complétement fausse la version qui a paru dans l'Ordre, dans l'Indépendance belge et autres journaux.

>> F. DE PERSIGNY. >>

Le lendemain, l'Ordre, se disant autorisé par le général, affirma l'exactitude de ses révélations.

Un autre incident rappela l'attention sur la fameuse société du Dix Décembre.

Dans un procès de presse, l'un des accusés produisit, avec une contestable convenance, un document curieux. C'étaient des notes remises par M. le préfet de police pour servir à la rédaction d'un rapport qui cependant, nous devons le faire remarquer, ne fut pas rédigé. Dans ce canevas, M. le préfet de police parlait en termes sévères de la société du Dix Décembre. Parmi les faits énoncés pour signaler l'influence déplorable qu'on accordait à cette société, il était question d'une place accordée sur la sollicitation de l'un des dignitaires de l'association, représentant du peuple, qui pour prix de son intervention toucherait une partie des appointements du titulaire. Ce travail préparatoire, cette ébauche de rapport passa de l'audience dans les journaux.

L'opinion publique fut surprise de la publication de ce document, dont le caractère fut contesté par M. le préfet de police, mais dont l'origine ne put être démentie.

Le commentaire, la conclusion logique de chacun de ces efforts si divers, c'était une candidature présidentielle. Le républicanisme gouvernemental, à peu près annihilé dans la Chambre, et désormais réfugié dans un journal, patronait timidement M. le général Cavaignac. Les Montagnes flottaient entre M. Carnot et M. Nadaud. Plus bas, dans les clubs secrets que n'atteignait pas la main de la police, on prononçait le nom de M. Blanqui. Des orléanistes impatients tâtaient l'opinion publique en proposant le prince de Joinville. Enfin, quelques légitimistes parlaient du général Changarnier, ce Monck problématique de deux partis opposés.

Quant aux partisans du chef actuel de l'Etat, ils organisaient un formidable pétitionnement pour la révision de la Constitution

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