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de sa popularité. Il vaut mieux prendre son parti avant, que de subir après la loi du peuple. Il vaut mieux avertir le peuple que l'on acceptera son vote; cela amènera la bonne entente entre les deux pouvoirs existants : le Président et l'Assemblée, et leur souverain commun, le peuple. En supprimant cette grave inconnue, on supprime l'inquiétude et l'on fait renaître le travail; car lé peuple qui souffre demande la révision en la redoutant. Ce qu'il redoute, au point de demander la révision, c'est l'éventualité d'une lutte.

M. de Broglie déclara que son dessein, à lui et à ses amis, n'avait pas été d'imposer à l'avance aucune limite aux droits : toutes les opinions pourraient se produire devant une Assemblée dé 900 membres constitutionnellement convoquée. Mais les signataires de la proposition n'avaient pas cru qu'il fût opportun dé remettre en question le principe même du gouvernement. Je ne suis pas républicain, dit M. de Broglie, et je crains que ce régime ne convienne ni aux mœurs ni aux sentiments du pays. Mais je préfère la République à l'anarchie et à la guerre civile. La Constitution contient en germe ces deux fléaux. La simultanéité du renouvellement des deux pouvoirs! jamais nation a-t-elle été condamnée à une pareille crise? N'est-ce pas ce qui préoccupé le pays et le rend inquiet, ce qui, le faisant se rattacher à ce qu'il y a de plus simple dans les idées, lui qui se préoccupe peu des théories, l'emporte aujourd'hui peut-être dans les voies de la prorogation? Et ces deux pouvoirs, sans lien qui les unisse, sans intermédiaire qui les départage; ce fait seul n'aboutit-il pas à uné violence? Le danger a été évité jusqu'à ce jour, mais qui peut garantir qu'il le será demain? Ce lendemain, il n'existe pas la Constitution refuse tout avenir, déprécie toutes choses, accumulé les capitaux oisifs, augmente la détresse chaque jour. N'est-il point à craindre que la nation ne veuille pas rester plus longtemps sous le poids d'institutions de ce genre, et que, dans un jour de colère, dépassant le but, elle ne se donne un gouvernement qui n'offrirait pas de garanties suffisantes aux intérêts publics?

M. de Falloux, tout en protestant contre les allusions amères faites aux principes et aux hommes de la monarchie par le der

nier discours présidentiel, demanda une révision qui recherchât << dans toute leur liberté, dans toute leur profondeur, les besoins durables du pays. » L'honorable orateur ne croyait pas qu'on pût lutter contre les utopies, en affichant la plus périlleuse de toutes: celie d'un gouvernement isolé, personnel, opposant le seul prestige d'un nom aux difficultés réelles de chaque pas, de chaque heure. Tout pouvoir exclusif, disait-il en terminant, est désormais impossible en France.

Je n'ai pas voté la Constitution, dit M. Berryer, et je n'hésite pas à dire que la Constitution est la sauvegarde du pays; elle est la garantie de la société. Si elle est maintenue par le pays, tous les bons citoyens lui doivent obéissance et respect. Un article nous permet de discuter les modifications générales, totales qu'on peut lui imposer. On dit : «Attendez que l'opinion se prononce. >> Je ne vais pas m'enquérir de cette opinion dans des pétitions dont on pourra rechercher la douteuse origine; mais le pays ne croit pas aux institutions actuelles. Enfin on ne peut nier le défaut de confiance de la France dans les institutions actuelles. A ce point de vue, la proposition de révision est opportune : l'épreuve de la Constitution, de la forme du gouvernement est faite..

On a demandé, ajouta l'illustre orateur, pour qui nous voulions la révision. Pour nous, qui avons attaché notre vie à une idée, à un principe que tout le monde connaît, nous voulons que la France délibère dans la majesté, la sincérité de ses vœux ; nous demandons la révision pour le pays, et c'est à cause du pays que nous ne voulons pas de révision partielle, de satisfaction de vœux individuels.

Après ces déclarations un peu vagues, M. Berryer se rattachait à la proposition de M. de Broglie, mais dans les termes les plus larges.

Je n'ai pas signé la proposition de révision, dit M. Molé ; mais je l'approuve par deux raisons: d'abord parce que le pays la demande impérieusement; ensuite, parce que si le vœu du pays est réalisé, la France pourra faire connaître sa volonté et que si la République est confirmée, elle aura une force qu'elle n'a jamais

eue.

Ici, les réticences survivaient à l'absence de la tribune.

M. Baze commença par poser en fait que la Constitution ne serait pas révisée. La solution, dit-il, est certaine et connue d'avance. Personne ne peut douter que la majorité exigée par la Constitution ne sortira pas du scrutin, et personne n'osera même donner le conseil de passer outre en violant la Constitution. Dans tous les cas, si la violation de la Constitution était dans la pensée de quelqu'un, si une tentative était faite dans ce but, l'orateur n'hésiterait pas à s'y opposer énergiquement. Fût-ce même la minorité qui combattît pour la légalité, elle le compterait dans ses rangs.

La question de la révision, selon M. Desmousseaux de Givré, n'avait été soulevée que pour agiter le pays. Ce n'est pas là, dit-il, un système nouveau: on le suit depuis plus de deux ans avec persévérance; et l'on semble dire à la nation : « Vous n'aurez de tranquillité que quand vous m'aurez remis la toute-puissance. Jusque-là je ne vous laisserai ni repos ni trêve. >>

Partisan de la République modérée, tant qu'il ne pourrait ressaisir la monarchie constitutionnelle, M. Creton se voyait placé en face de ce dilemme. Si on veut la révision, il faut dire ce qu'on veut; mais si on le dit, on sera divisé; nous ferons la guerre dans les colléges électoraux. Il est impossible d'éviter cette division. pour une Constituante. Avant de renverser l'édifice qui m'abrite, Je veux connaître celui qu'on me destine. La Constitution qui ne me plaît pas, ne me déplaît pas non plus. Je me résigne à la garder encore trois années.

Quant à l'article 45, M. Creton le considérait comme le meilleur de la Constitution. Sans cet article, on aurait la réélection indéfinie et la confiscation de la République.

Vous vous préoccupez, ajoutait l'orateur, de l'antagonisme des deux pouvoirs. Quant à moi, je n'y vois qu'un abus, car le pouvoir exécutif est subordonné au pouvoir législatif. S'il faut sortir de la République, j'en veux sortir dignement, sans avoir un pied dans le socialisme et un autre dans la monarchie prétorienne. Sinon, j'aime mieux rester dans la République pour laquelle je n'ai aucune aversion.

M. de Montalembert donna son adhésion à la proposition de M. de Broglie, comme laissant à la souveraineté nationale toute

sa liberté. Quant au but et aux résultats de cette révision, l'orateur ne cachait pas qué ses préférences et ses goûts étaient pour. la monarchie; mais il croyait la France actuelle encore trop révolutionnaire pour supporter la monarchie.

Je veux, dit-il, que la souveraineté nationale se prononce en toute liberté; et si elle se décide pour le rétablissement de la monarchie, je serai le premier à l'en féliciter. Mais je ne pense pas qu'il en soit ainsi ; et puisque nous sommes condamnés à là république, je désire que cette république soit la meilleure possible; j'ai toujours travaillé dans ce sens depuis qu'elle a été proclamée. C'est pourquoi je demande la révision de la Constitution, parce qu'elle empêche la république de coexister avec l'ordre et la prospérité publique.

Elle est mauvaise surtout lorsqu'elle empêche le pays de renouveler le mandat du pouvoir exécutif; mais elle l'est encore parce qu'elle consacre là permanence des agitations parlementaires, le conflit nécessaire entre les deux pouvoirs, le scrutin de liste qui empêche les électeurs de voter en connaissance de cause, etc. Nous invoquons la souveraineté nationale pour qu'elle scit appelée à se prononcer sur le remède à ses maux. Alors que d'autres l'ont proclamée au nom de l'insurrection, nous l'invoquons par la voie légale et constitutionnelle. Nous posons ce dilemme à nos adversaires : de deux choses l'une, ou la Constitution actuelle, avec laquelle on identifie la république, est conforme à la volonté nationale, ou elle ne l'est pas.

Si elle ne l'est pas, ajoutait M. de Montalembert, qui oserait done l'imposer au pays? Et si elle l'est, comment donc les républicains par excellence refusent-ils pour elle cette occasion d'une confirmation éclatante et suprême ? Comment se refusentils eux-mêmes la satisfaction de nous confondre et de nous écraser sous une manifestation solennelle du vou public. Eh! mon Dieu, c'est parce qu'ils savent bien que ce vœu leur est contraire, qu'ils se réservent d'ailleurs de reviser eux-mêmes la Constitution, quand ils seront les plus forts, pour abolir la présidence et les dernières garanties de l'ordre social. En outre, les circon stances où se trouve le pays forment un nouvel et puissant argument en faveur de la révision. La détresse générale atteint des

proportions formidables: le chômage devient universel à tort ou à raison, on impute cette détresse à nos institutions àetuelles.

Si l'on empêche la révision, qu'une opinion de plus en plus nombreuse regarde comme un remède réel ou imaginaire des maux actuels du pays; si on la rend impossible après qu'elle aura été votée par la majorité numérique de l'Assemblée et réclamée par des millions de pétitionnaires, on n'aura fait qu'aug➡ menter l'impopularité de la Constitution et de la république. Elles seront l'une et l'autre emportées par le flot de la réprobation universelle. Veut-on les sauver, il faut ouvrir la porte; autrement elle serait enfoncée.

On recule, dit à son tour M. de Lamartine, devant le danger qu'il y aurait à ouvrir la porte aux questions qu'une Assemblée constituante agite toujours dans son sein. Mais, ne sommes-nous pas en présence de deux dangers ou de deux fortes agitations, du moins en 1852 : l'élection d'une Assemblée législative et l'élection d'un Président, que M. de La Moskowa vous présentait comme une insurrection du peuple contre la Constitution ellemême. Nous n'avons donc que le choix des dangers. Eh bien! danger pour danger, je préfère mille fois celui qu'on prévient à celui qu'on attend.

En refusant la révision, continuait l'illustre orateur, vous attendez immobiles le danger de 1852; en autorisant la révision sage, partielle, régulière, constitutionnelle, vous prévenez et vous écartez le danger. Je n'hésite pas à me prononcer pour ce dernier parti, et voici mes motifs :

On vous a fait plusieurs fois, dans cette discussion, le tableau de l'état moral du pays en ce qui touche à ses désirs, à ses préférences en matière de gouvernement. Selon moi, voici l'état vrai du pays autant qu'il m'a été permis de le connaître. Je le décris tel qu'il me paraît pour moi comme contre moi, en spectateur impartial.

Le pays a été surpris par la république en 1848, c'est vrai; mais qu'y voulez-vous faire? Qu'auriez-vous fait, vous, hommes de la monarchie, le 25 février, après l'écroulement subit et irrémédiable du gouvernement d'alors? Auriez-vous rappelé la légi

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