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timité? Qui l'aurait reçue? La maison d'Orléans? Elle était précisément la chose tombée la dernière qu'il fût possible de relever sur ses propres débris? L'Empire? Mais il était enseveli depuis trente ans avec l'homme qui était l'Empire à lui seul? Auriezvous proclamé un gouvernement anonyme? Mais le peuple veut un nom à toute chose; il n'aurait ni vu, ni compris, ni écouté, ni obéi. Un interrègne? Mais il eût été le champ libre à toutes les factions, le pandæmonium des révolutions!

Il fallait donc, bon gré, mal gré, la République. C'était la trêve de Dieu, le champ neutre, le terrain de réconciliation, le gouvernement de tout le monde. Elle fut proclamée. On ne la reconnaissait pas, tant qu'elle ne fut proclamée que par quelques citoyens jetés par la tempête ou par le dévouement à la tête du peuple. Laissez-la à notre compte, punissez-nous même de notre audace très-légale quand il n'y avait plus de loi, je ne proteste pas, mais reconnaissez-la quand l'Assemblée nationale, élue après trois mois de réflexions, avec plus de liberté et d'universalité qu'il n'y eut jamais sur la terre, la proclama et vous fit sortir du peuple pour le gouverner.

Eh bien! disait M. de Lamartine, quels sont aujourd'hui les sentiments de ce peuple sur la république ? Les voici : Une masse immense de six ou huit millions d'hommes, privés jusque-là du droit de citoyens, souffre de la république dans une certaine mesure sans doute, parce que tout gouvernement qui se fonde est un travail, et tout travail une douleur; mais ces masses savent qu'on ne conquiert pas sans quelque peine l'égalité civique, la noblesse du peuple, le droit de se gouverner soimême, la liberté de sa race, la dignité de ses générations, et quoi qu'on nous dise ici de leur souffrance momentanée, elles ne seront jamais disposées, selon l'expression de Mirabeau, à vendre leur dignité d'homme pour un morceau de pain, Elles nous disaient en février: Nous avons trois mois de chômage au service de la république ; elles disent encore: Nous avons un an où deux de difficultés au service de la souveraineté du peuple. Elles murmurent contre le temps; mais croyez-le, elles ne blasphèment pas contre la république elle-même. Vous le verrez si vous leur rendez la monarchie.

Ce qu'elles veulent, c'est une république d'ordre, de sécurité pour les droits acquis, d'inviolabilité pour les propriétés, source de tout salaire, pour les capitaux, mobile de tout travail ; une république qui leur assure la stabilité relative des monarchies, des garanties contre les révolutions radicales, avec les bénéfices et les dignités de la liberté ! Voilà, en immense majorité, la république qu'elles veulent, je le sais, car elles ont vingt fois donné force à cette république possible, selon l'expression de M. de La Moskowa, contre la république impossible.

Quand on sait ce que veulent les masses, on sait tout, car que peuvent les partis dynastiques contre ces masses sous le suffrage universel ? Rien que les inspirer, les diriger, les éclairer, mais avant tout les consulter. La solution est toujours dans l'instinct national.

Je considère donc la république comme acceptée et défendue, ou au moins promptement reconquise par dix millions d'hommes dans les masses. Mais ces masses républicaines par nature, et les classes plus élevées dans l'ordre de la fortune, mais qui sentent aussi l'instabilité des dynasties sur un sol qui les engloutit à toute heure, et qui, à cause de cela, se résignent à une bonne et régulière démocratie, ces masses et ces classes se demandent tous les jours et partout: Ne peut-on pas améliorer, solidifier, stabiliser, corriger la Constitution? Et chacun veut ou rêve une amélioration selon ses besoins ou ses désirs : celui-ci deux Chambres, celui-là la rééligibilité, loisible au peuple, du Président; celui-ci l'élection par circonscription électorale, qui supprime ce scrutin de liste, hasard, loterie, ténèbres des choix populaires; celui-là le moyen de résoudre pacifiquement, par le jugement du pays, les conflits contre les deux pouvoirs ; celui-ci des présidences plus longues, celui-là des élections par tiers ou par cinquième; enfin tout ce qu'il est permis de rêver ou d'espérer pour améliorer dans le gouvernement le sort de toutes les classes, et accroître le sentiment de toutes les sécurités qu'une république doit au peuple, comme une monarchie. Et tout cela s'exprime par le mot révision!

Eh bien ajoutait l'orateur, je me demande, en homme qui veut naturaliser et affermir avant tout la république, parce qu'il

la croit le seul régime possible et approprié aujourd'hui à son pays et à son temps: Est-il sage, est-il républicain de refouler brutalement toutes ces pensées, tous ces désirs, toutes ces espérances même confuses dans l'âme du peuple et de lui dire : Non, de notre pleine autorité de républicains, nous te défendons d'améliorer ta république ! Tu as des griefs, tu souffres, tu te plains, tu t'agites pour être mieux; nous t'imposons l'immobilité et le silence dans une Constitution que nous déclarons nous-mêmes mauvaise dans quelques articles! Nous te condamnons à ne pas te retourner dans le lit où nous t'avons couché, pour y chercher une meilleure place, une meilleure attitude!

Est-ce là, je vous le demande, le moyen de faire tolérer, accepter, aimer la république à ce peuple? Non, c'est le moyen assuré de lui faire détester les républicains, de le comprimer jusqu'à ce qu'il éclate d'impatience, de lui faire maudire sa Constitution tout entière pour une ou deux lettres de cette Constitution à corriger, et de préparer ou des éléments d'explosion aux factieux, ou des éléments de popularité et d'asservissement aux usurpateurs! Si je voulais la perte assurée de la république, je la condamnerais comme vous à l'immobilité.

Confiant dans le suffrage universel qui, selon lui, n'acclamerait rien autre chose que la République, parce que la souveraineté du peuple n'abdique pas, M. de Lamartine se déclarait donc partisan d'une révision de quelques articles de la Constitution, même de l'article 45. Laissez au peuple, disait-il en terminant, la liberté de son choix; si vous lui refusez un homme, c'est cet homme pour qui il se passionnera. Livrez-lui tous les noms, qu'il les ballotte tour à tour selon ses affections et ses idées. Avez-vous peur de populariser trop la république ? Quant à moi, je n'ai pas peur qu'un nom lui paraisse jamais plus grand que le nom du peuple, et lui fasse abdiquer sa souveraineté pour la souveraineté d'un élu !

et

Mais il fallait une garantie, une sécurité morale que, sous prétexte de réviser la Constitution, une Assemblée ne viendrait pas étouffer la république. Cette garantie morale, l'orateur la voyait dans le suffrage universel restitué intégralement à la nation. «Si vous voulez le procès, rendez-nous le juge. »

On le voit, par cette rapide analyse d'une discussion intérieure, plus sincère que ne pouvait l'être le débat au grand jour de la tribune, le trait le plus saillant de la situation, c'était une division active, un éparpillement des opinions, un échec obstiné fait par les partis à leurs efforts mutuels. Le pouvoir était placé au milieu de toutes les contradictions, comme l'objet de la convoitise universelle. On se préoccupait de sortir d'une situation sans issue par quelque coup d'habileté, par quelque effraction violente. Nulle transaction possible.

La discussion générale fut close, le 14 juin, dans le sein de la commission. M. le général Cavaignac en avait demandé la clôture, proposant que la commission s'occupât, avant tout, de résoudre la question entre la république et la monarchie. Je ne me sens pas libre, dit l'honorable général, de discuter avec les membres de la commission qui ne veulent pas de la république. Il faut qu'auparavant le terrain soit déblayé de la question de la monarchie ou de la république. Quand on viendrait aux détails, il indiquerait un ordre de discussion pour arriver à formuler une opinion.

Selon lui, la république était la seule forme de gouvernement fondé sur la souveraineté du peuple; la monarchie en était l'exclusion. Il adjura les monarchistes de proposer leur principe, il les Y pousserait à la tribune. Il pensait que la commission devait agir ainsi. Il faut, ajoutait l'orateur, examiner d'abord les propositions partielles, puis celles de révision totale. La pensée de la proposition de la rue des Pyramides est celle-ci : d'amener l'Assemblée à dire qu'il faut réviser la Constitution en passant pardessus la discussion. Est-ce que la souveraineté nationale n'existe pas? On veut que l'Assemblée s'efface dans la discussion. Ce n'est ni constitutionnel ni honorable. Une révision est une crise. Dans une question pareille, l'Assemblée doit avoir sa part de responsabilité. C'est elle qui décide la révision; elle doit dire pourquoi et dans quel but. Il connaissait la force de la souveraineté nationale; mais il ne comprenait pas que ses nouveaux partisans lui répétassent à chaque instant qu'elle pouvait tout.

La révision totale, il ne l'admettrait que comme résultat de la discussion de tous les articles. Mais la question à vider d'abord,

c'était celle de la monarchie. Sans doute la discussion constaterait l'impuissance des monarchistes, et la Constitution en sortirait victorieuse. Après l'épreuve faite, il faudrait bien que cette guerre finît. Il y avait des défauts dans la Constitution. Il eût voulu l'élection à deux degrés pour le Président. Alors il y aurait un grand nombre de candidats. La république rencontrerait moins d'opposition. Il voterait néanmoins contre la révision, parce que la Constitution est une barrière contre les entreprises usurpatrices, et qu'il ne voulait pas l'abaisser. L'art. 45 était pour lui un principe. La stabilité des hommes a tué la stabilité des choses. Il faut que le pays soit convaincu de cette vérité par son expérience pratique. La seule chose qui rendra le pouvoir stable, c'est de l'isoler des prétentions individuelles.

Chaque jour, cependant, un incident nouveau ajoutait quelque chose aux excitations politiques. On se le rappelle, l'opinion publique s'était émue d'une révélation qui s'était produite à l'occasion d'un procès de presse. L'auteur d'un article incriminé pour publication de nouvelles fausses, avait cru pouvoir se défendre par la lecture d'une note émanée de M. le préfet de police. Dans cette pièce, la société du Dix Décembre était sévèrement qualifiée. Les dignitaires de cette société y étaient signalés comme se livrant au trafic des fonctions publiques. L'un d'eux, représentant du peuple, aurait fait obtenir une place à un tiers, sous la condition d'en partager avec lui les appointements.

On citait ce passage de la note de M. Carlier, sur la société du Dix Décembre :

» La Société du Dix Décembre, qui prend le titre de Société de secours mutuels, est une société politique qui ment à son titre et à son organisation : elle est, comme toutes les sociétés de ce genre, composée d'intrigants et d'hommes tarés qui, sous prétexte de faire le bien par dévouement, cherchent à se poser pour l'avenir et sont dévoués à leurs intérêts et à leurs passions. La mauvaise composition de cette société est notoire; elle compromet le Président, en lui attribuant des intentions qu'il n'a pas; elle lui fait un mal infini en se posant entre le pays et lui; elle arrête l'élan du peuple, qui ne veut pas se poser en conspirateur; elle donne à la malveillance les armes qui lui manqueraient si cette Société n'existait pas. Les manifestations spontanées qui ont lieu dans les départements étant attribuées au Dix Décembre, ne trouvent plus d'imitateurs et ne font aucun effet. Outre ces considérations générales, les dignitaires de cette Société sont les auteurs de toutes les calomnies qui se répandent sur certains hommes. Ils veulent des places, et ils en promettent au nom du prince.

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