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dans un rapport devant être présenté dans le délai d'un mois, les réponses, les renseignements et les résultats généraux de cette enquête.

On voulait, aussitôt après le dépôt du rapport, résoudre les questions qui concernent le sort des travailleurs, et décréter en leur faveur toutes les mesures que réclame la réalisation des promesses inscrites dans l'art. 13 de la Constitution.

. Mais, non-seulement 770 procès-verbaux n'avaient pas été envoyés, mais encore une certaine quantité de pièces avait été égarée dans la transition d'une législature à l'autre. Aussi, la commission, nommée sur la demande de M. Loyer, dut constater que les renseignements résultant de l'enquête étaient trop incomplets ou trop disparates pour pouvoir servir de base à une appréciation générale et à un nouveau système économique. Toutefois, il avait paru à la commission que l'ensemble des observations morales consignées dans les procès-verbaux méritait d'être signalé. Ces observations, d'après les termes du rapport, pouvaient se résumer ainsi : pour la prospérité: l'ordre et la stabilité du gouvernement, la paix publique, le respect de la propriété; pour la décadence: les révolutions, les émeutes et l'anarchie.

C'est pour cela que la commission avait proposé à l'Assemblée d'ordonner que les pièces de l'enquête fussent déposées dans les archives du ministère du commerce, où elles pourraient être partiellement et utilement consultées, soit pour éclairer l'administration dans sa marche, soit pour inspirer ultérieurement quelques mesures législatives.

Ces conclusions, on le comprend, ne pouvaient satisfaire l'extrême gauche. Eh quoi! l'enquête n'avait pas révélé le besoin d'une réforme radicale dans le régime économique! Eh quoi ! les populations agricoles et industrielles n'avaient pas réclamé à grands cris l'essai des doctrines que les adeptes du socialisme cherchaient à propager par tous les moyens depuis trois ans ! L'enquête était donc à refaire.

C'est qu'en effet l'enquête votée par l'Assemblée constituante, sur le rapport de M. Valdeck-Rousseau, si elle était en apparence un moyen de connaître les faits et de se préparer à la discussion

des théories sociales, ne pouvait être, au fond, qu'une échappatoire et une impossibilité. De pareils travaux ne peuvent être sérieusement entrepris et menés à bonne fin que par des observateurs attentifs, que ne détourne pas du but la passion politique; que par des esprits exercés à ce genre de travaux auxquels on donne le temps et les moyens d'action nécessaires. C'est-à-dire que pour mener à bien une semblable enquête dans toute la République, il aurait fallu, comme on le fait en Angleterre, confier cette tâche à des hommes spéciaux et dévoués, et n'attendre d'eux ce travail, qu'après quelques années de laborieuses recherches. Or en mai 1848, on s'était imaginé que ces gigantesques études pouvaient être achevées en quelques mois, par les juges de paix ou par d'autres agents administratifs. Aussi, qu'en était-il résulté ? c'est qu'à l'exception d'un petit nombre de localités et de la Ville de Paris, l'enquête n'avait rien produit de sérieux. Des milliers de rapports et de renseignements étaient bien arrivés à la questure; mais rien de tout cela n'avait et ne pouvait avoir un caractère de gravité suffisante.

L'enquête supplémentaire, réclamée par la Montagne, fut, comme on pouvait s'y attendre, un prétexte à des violences de langage qui cachaient mal une grande indigence de moyens pratiques. Suppression de la misère, organisation du travail, répar tition nouvelle de l'impôt, droit au travail, insurrection des prolétaires contre une bourgeoisie égoïste, toutes ces déclamation reproduites par M. Nadaud, et par M. Madier de Montjau, toute cette emphase provocatrice ne contenaient pas même l'ombre d'une indication pratique.

Par exemple, M. Madier de Montjau se contentait de faire un pompeux éloge des doctrines du Luxembourg et vantait, comme un modèle de bonne administration, de dévouement et de fraternité, l'association des tailleurs de la rue de Clichy, établie sur le principe de l'égalité des salaires. Sans doute, l'orateur entendait par là qu'il fallait encourager les associations de ce genre. Or, en sa qualité de membre de la commission municipale, M. Mortimer-Ternaux apportait, non des phrases, mais des chiffres. De ces documents sérieux, il résultait ceci. Dans les premiers mois de la révolution, une commande de 100,000 tuniques avait

été faite à l'association par la Ville de Paris, qui avança 10,000 fr. L'association ne put fournir que le quart de la commande à l'époque fixée, et il fallut s'adresser aux ouvriers libres, qui livrèrent les fournitures au même prix, bien qu'on ne leur donnat ni local, ni subvention: voilà pour la bonne administration! Plusieurs plaintes avaient été déposées au Parquet par certains associés contre la gestion des délégués: voilà pour le désintéressement. Enfin, M. le préfet de police avait signalé l'association comme un centre d'intrigues anarchiques: voilà pour la fraternité.

De même pour M. Nadaud. Il demandait l'abolition du salariat et l'établissement d'associations subventionnées par l'Etat. Estce à dire, fit observer l'honorable M. Loyer, qui avait passé une partie de sa vie dans les ateliers, est-ce à dire que les ouvriers se plaignent d'être salariés? Pas le moins du monde. Ce dont ils se plaignent, c'est que leur salaire, par la force des circonstances, devient souvent insuffisant. Est-ce à dire encore qu'ils ne peuvent s'associer? Toute latitude sur ce point leur est accordée par les lois. M. Nadaud trouvait cette faculté dérisoire tant que l'État ne mettrait pas à leur disposition le capital dont ils avaient besoin. Mais ce capital, il faudrait nécessairement le prendre sur les contribuables, et quelles garanties les associations offriraient-elles pour le remboursement? M. Nadaud s'était en outre élevé contre l'emploi des machines. M. Loyer démontra que si les ouvriers peuvent se vêtir aujourd'hui à bon marché, c'est à l'emploi des moteurs qu'ils le doivent.

Ainsi encore M. Boysset, s'appuyant d'une citation d'un ouvrage de M. Blanqui, prétendait qu'à Lille plus de 3,000 familles vivaient dans des caves où l'on ne placerait pas des animaux immondes, et que sur 21,000 enfants d'ouvriers il en mourait 20,700. Une vive rumeur d'incrédulité accueillit ces chiffres désolants, et l'Assemblée avait raison de protester. M. le ministre de l'intérieur, qui avait exercé pendant quatorze mois les fonctions de préfet à Lille, déclara que la commission municipale, dans les visites, faites en vertu de la loi yotée l'année précédente, n'avait trouvé dans toute la ville que cent logements insalubres à changer. Quant au nombre des enfants décédés, M. le préfet, tout

en regrettant de ne pouvoir présenter une statistique officielle, fit observer avec raison que si la citation était exacte, la ville de Lille serait dépeuplée depuis plusieurs années, tandis qu'au contraire, le mouvement de la population avait toujours été en aug

mentant.

Si incroyables que fussent les chiffres apportés par M. Boysset, l'Assemblée ne s'en était pas moins vivement émue. L'autorité de l'honorable savant, invoquée par l'orateur, semblait trop grave pour qu'on ne vérifiât pas une assertion semblable. M. le ministre de l'intérieur tint à honneur de démentir un fait qui, pour nous servir de son expression, eût été une véritable honte pour notre civilisation. Il fit immédiatement demander, par le télégraphe, des renseignements aux autorités locales. Les documents officiels contredisaient complétement les chiffres de M. Blanqui. Une distraction de l'honorable économiste avait appliqué à Lille une statistique dressée pour Manchester.

Or, voici pour la première de ces deux villes les chiffres véritables Population, 72,000. Décès pendant les cinq dernières années (et parmi ces années figurent celles de 1847 et de 1849, où la disette et le choléra ont exercé leurs ravages), 12,451, soit en moyenne, 2,490. Dans ce chiffre, la mortalité des enfants audessous de cinq ans entre à peine pour un tiers : elle est de 4,414, soit en moyenne 860.

Au reste, il y avait même à faire sur ce travail statistique, dépouillé de ses erreurs grossières, une observation importante. Ce travail n'embrassait qu'une période trop courte pour permettre d'établir des résultats sérieux et, dans cette période, dix-huit mois au moins correspondaient à une époque de cherté du pain et de misère pendant laquelle la maladie et la mort avaient fait des ravages sans proportion avec les temps ordinaires.

Ainsi tombait devant la vérité des faits cette douloureuse et sombre fantasmagorie.

Le résultat de cette discussion passionnée était facile à prévoir. L'Assemblée décida, sur la demande de M. Baze, que les pièces de l'enquête seraient déposées dans les archives. Elle rejeta, à la majorité de 476 voix contre 199, la proposition d'un supplément d'enquête, faite par M. Pascal Duprat (31 janvier).

Quelques jours après, c'était M. Léon Crestin qui demandait qu'une commission composée de vingt-cinq membres fût chargée d'étudier les moyens de mettre notre législation actuelle en concordance avec le texte et l'esprit de la Constitution, et de présenter un rapport sur cette question aux prochaines séances de l'Assemblée.

C'était là sans doute un programme assez vaste: refondre la législation entière, organiser à nouveau toutes les matières qui se rattachent aux art. 8, 13, 15, 23, 25 et 115 de la Constitution, telle était la tâche que, suivant M. Crestin, l'Assemblée devait accomplir dans le plus bref délai, sous peine de compromettre le salut du pays. L'auteur de la proposition ne tenait nul compte des lois déjà promulguées pour satisfaire au vœu de la Constitution, des travaux nombreux, élaborés dans les commissions, et entr'autres de ceux qui avaient rapport à l'assistance. Ainsi les mesures proposées pour résoudre les questions que soulève l'art. 13 portaient toutes le signe de l'impuissance. C'est au moins ce que M. Crestin s'efforça de démontrer dans un long discours, où on chercherait en vain un système défini, une idée praticable. En revanche, on y trouvait les déclamations habituelles du parti socialiste. Était-il donc vrai qu'il y eût en France 27 millions de mendiants, que la misère et les maladies y missent l'espèce humaine en coupe réglée, que l'infanticide y fût organisé, que l'assistance y fût une dérision? Il suffit de jeter les yeux autour de soi pour réduire à leur juste valeur ces violences de langage, ces exagérations systématiques. M. Benoist d'Azy les signala avec énergie. Il repoussa au nom de la société, au nom de la majorité parlementaire, ces inculpations, qu'il qualifia d'odieuses, et il rappela que dans notre pays la charité et la bienfaisance publiques n'ont jamais manqué à leur mission.

Est-il besoin de le dire, la proposition de M. Crestin fut repoussée à la majorité de 455 voix contre 117.

Quelquefois aussi, c'étaient des représentants de l'opinion conservatrice qui, par une horreur peut-être exagérée de la centralisation, repoussaient des projets destinés à améliorer le sort des classes ouvrières. Ainsi pour un projet d'établissement de bains et lavoirs publics.

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