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Sans doute il serait injuste de demander à une autre nation qu'à la France cette bienveillante impartialité, cette générosité chevaleresque qui distingua toujours notre pays; mais, enfin, il peut être permis de faire observer que l'exposition d'Hyde-Park a été surtout une exposition anglaise. L'industrie britannique s'était fait la part du lion. Admirablement servie par les circonstances, car, seule en Europe, elle avait échappé à la crise révolution. naire, placée sur son propre terrain, disposant de toutes les facilités de transport, elle n'avait pas eu honte de s'adjuger plus de la moitié de l'espace consacré à l'industrie du globe: elle avait réservé à ses machines le privilége du mouvement qui devait mettre en relief leur puissance; elle s'était assuré la majorité dans le jury; forcée, pourtant, par l'évidence irrésistible de la supériorité française, elle avait dû abandonner à la France plus de récompenses qu'à tous les autres pays, qu'à l'Angleterre ellemême. Mais, pour dissimuler sa défaite, elle avait surtout accordé les médailles d'honneur aux produits français portant un caractère artistique. Quant aux marchandises constituant réellement des produits manufacturés, le jury avait usé d'un assez triste subterfuge pour éviter de récompenser les tissus français, on décida qu'il ne serait pas accordé de médailles à ce genre de fabrication. C'était se condamner soi-même pour atteindre autrui; c'était, comme le dit M. Charles Dupin, être partial avec impartialité.

Ajouterons-nous que la jalousie de Sheffield et de Birmingham avait fait enlever à M. Charrière, cet éminent praticien, la grande médaille qui, de l'avis de tous, lui était due; dirons-nous encore que Beauvais et ses admirables tapisseries avaient été laissés dans l'ombre, et qu'on avait porté sur la liste des grandes médailles, à titre d'exposants anglais, des Marochetti, des Erard, des Morel!

Le principal résultat de cette grande enquête par comparaison, serait sans doute de démontrer la nécessité de réviser les clauses exorbitantes de notre tarif de douanes. La protection et la prohibition qui font la base de notre système ont eu sans doute pour effet d'assurer les premiers pas de notre industrie naissante. Mais aujourd'hui, il devenait prouvé que cette industrie, désormais hors de page, avait atteint le premier rang pour un grand nombre

d'articles, même pour ceux à l'égard desquels est maintenue la prohibition absolue, à savoir les toiles peintes, les mérinos, les mousselines de laine, les filés de laine, les bronzes et une foule d'autres.

Un autre excellent résultat de ce grand concours des nations sera sans doute la leçon donnée à nos ouvriers par la classe ouvrière de la Grande-Bretagne. Avec cette facilité d'assimilation qui leur est propre, nos travailleurs ont dû comprendre la puissance de l'esprit d'ordre et de discipline, d'activité réglée. Ils sont re ́venus de Londres avec des préjugés de moins et de bons exemples de plus.

La visite faite à la municipalité parisienne par le lord-maire de Londres et par les commissaires de l'exposition universelle, at mis en lumière un autre résultat de ces solennités internationales. Ce contact des peuples par le rapprochement de leurs forces productives doit contribuer à créer des relations profitables, à resserrer les liens, à éteindre les haines. Sans doute, il y aurait quelque exagération à en conclure une étroite solidarité des peuples et une union sans réserve; mais la civilisation générale ne peut que gagner à ces efforts qui déplacent le terrain des rivalités, et qui assurent le développement pacifique des peuples par les arts et par l'industrie.

CHAPITRE XI.

LE COUP D'ÉTAT.

Les orléanistes,

-

Les

Les conseils généraux, vœu presque unanime pour la révision. candidature du prince de Joinville, entrevue politique à Claremont, M. le Manifeste de la duc de Nemours et M. Guizot, abstention et défiances. Montagne, manifeste du Comité central démocratique européen, procès de Lyon, désertion de la défense par les avocats, l'abstention à terme. impatients, révoltes et jaquerie, assassinats; guet-apens de Laurac, affaire de Largentière, fête votive de Vineząc, un maire socialiste, état de siége; banquet de Commentry, résistance à l'autorité, M. Sartin; le maire de Précy, soulèvement, les insurgés mis en fuite, nouveau soulèvement, répression, les affiliations secrètes, attitude des feuilles démocratiques; état de la Nièvre, M. Dupin et l'instabilité; le Cher et la Nièvre en état de siége; arrestations à Paris, le comité allemand; l'opinion publique à Paris, procès de presse, impopularité de la presse. - Bruits de coup d'Etat; discours d'inauguration des halles; retraite du ministère, M. Billault, nouveau ministère, sa signification; circulaire du ministre de la guerre, l'obéissance passive, le décret de réquisition arraché dans les casernes, proclamation du préfet de police. Réouverture de l'Assemblée, Message, projet de rappel de la loi du 31 mai, l'urgence repoussée, hésitations; les sanguins, M. Baze et la réquisition directe, l'Assemblée la repousse; alarmes; reprise de la proposition Pradié, double jeu de la Montagne, langage hardi du Président de la République, discours du Cirque; bruits de conspirations monarchiques; besoin général Election de M. Ded'une dictature; concessions tardives de l'Assemblée. vinck, l'abstention.

Les préparatifs du coup d'Etat, arrestations, la questure; décret, appel au peuple, proclamation à l'armée; impressions populaires; tentatives des représentants pour se réunir, séance à la mairie du 10e arrondissement, dispersion et arrestation des membres; décret de la haute cour de justice, protestation du conseil d'État, M. Molé; préparatifs militaires, précautions prises contre la presse; réunion de la Montagne, proclamation; le combat à Paris, la victoire.

Quelques jours après la clôture des séances de l'Assemblée na

tionale, une autre tribune s'était ouverte, une autre représentation populaire avait été appelée à formuler son opinion sur la question vitale de la révision. Les délibérations des conseils généraux tirèrent des circonstances un intérêt inaccoutumé. Les questions d'ordre politique y prirent le pas sur les questions d'ordre administratif. Cette session solennelle montra, une fois de plus, la sincérité du mouvement qui s'était déjà traduit par les vœux presque unanimes des conseils généraux et par quinze cent mille signatures. La séparation de la nation et de la législature ne pouvait être plus éclatante.

Sur 85 conseils généraux, car on connaît la situation spéciale du département de la Seine, qui n'a pas été appelé à élire de conseillers généraux depuis la révolution de février, 79 émirent un vœu en faveur de la révision.

Cinquante demandèrent purement et simplement la révision, conformément à l'art. 111. C'étaient ceux de l'Ain, de l'Ardèche, de l'Aube, de l'Aveyron, des Bouches-du-Rhône, du Calvados, du Cantal, de la Corrèze, de la Côte-d'Or, des Côtes-du-Nord, de l'Eure, du Finistère, de la Haute-Garonne, du Gers, de la Gironde, de l'Hérault, d'Ille-et-Vilaine, du Jura, de Loir-et-Cher, de la Loire, de la Haute-Loire, du Loiret, du Lot, de Lot-et-Garonne, de la Lozère, de Maine-et-Loire, de la Manche, de la Marne, de la Haute-Marne, de la Mayenne, du Morbihan, de la Moselle, de la Nièvre, du Nord, de l'Orne, du Pas-de-Calais, du Puy-de-Dôme, des Basses-Pyrénées, du Rhône, de la Sarthe, de la Seine-Inférieure, de Seine-et-Oise, des Deux-Sèvres, de la Somme, du Tarn, de Tarn-et-Garonne, du Var, de la Vendée, de la Vienne et des Vosges.

Un, celui de la Loire-Inférieure, demanda également la révision conformément à l'article 111, mais en expliquant que dans sa pensée ce vœu avait pour but le retour de la monarchie traditionnelle, héréditaire et légitime.

Cinq demandèrent la révision dans le plus bref délai possible. C'étaient ceux de l'Aisne, du Doubs, de la Meuse, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Quinze demandèrent la révision pure et simple. C'étaient ceux de l'Allier, des Basses-Alpes, des Hautes-Alpes, des Ardennes, de

l'Aude, de la Charente, de la Charente-Inférieure, de la Dordogne, de l'Indre, d'Indre-et-Loire, des Landes, de la Meurthe, de la Haute-Saône, de la Haute-Vienne et de l'Orne.

Sept demandèrent la révision, en spécifiant l'art. 45 comme devant surtout être abrogé. C'étaient ceux de l'Ariége, de la Corse, de la Creuse, de l'Oise, des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Orientales et de Seine-et-Marne.

Un seul, celui de Vaucluse, demanda la révision partielle et légale dans le but de maintenir et de consolider la République.

Cinq conseils refusèrent de voter la révision: deux, ceux d'Eure-et-Loir et de l'Isère, crurent devoir s'abstenir dans la crainte de provoquer des débats irritants; trois, ceux du Cher, de la Drôme et de Saône-et-Loire, rejetèrent la révision par un vote formel.

Une autre question, celle de l'abrogation ou de la modification de la loi du 51 mai, fut laissée dans l'ombre par beaucoup de conseils. Sur 38 conseils qui s'en occupèrent, 11 émirent des vœux pour la révision de la loi du 31 mai: aucun n'en demanda l'abrogation; 22 rejetèrent purement et simplement les propositions qui leur avaient été faites en ce sens; 5 exprimèrent des vœux formels pour le maintien de la loi.

Mais tous avaient paru douloureusement frappés des dangers de la situation. On approchait tous les jours de l'époque indiquée par la Constitution pour le renouvellement simultané du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Chacun calculait avec effroi les chances de désordre que cette double échéance pourrait ajouter à une situation déjà si critique, déjà grosse de tant de périls et de complications redoutables. Chacun accusait l'imprévoyance et la légèreté des législateurs, qui semblaient avoir pris à tâche de faire éclater le vice originel du gouvernement républicain en ouvrant dans le même mois, à quelques jours d'intervalle, la succession des deux pouvoirs établis pour veiller sur les destinées du pays. Un assez grand nombre de conseils généraux cherchèrent le moyen de réparer cette imprévoyance, et ils crurent le trouver dans l'article 31 de la Constitution. Cet article était ainsi conçu :

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