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luçon, et lorsque l'autorité se présenta pour faire respecter la loi, le représentant ne craignit pas de donner l'exemple de la résistance. Un gendarme fut grièvement blessé. Les prisonniers faits furent délivrés, puis repris et délivrés de nouveau.

Mais c'étaient surtout les départements du Cher et de la Nièvre qu'avait enlacés l'action des sociétés secrètes; c'est là surtout qu'on devait tenir les affiliés en haleine, tantôt par des échassourées, tantôt par des démonstrations inquiétantes. Les cantons de Nérondes, de la Guerche, de Sancergues et de Sancoin étaient surtout travaillés par les meneurs. A la suite d'une instruction faite, le 10 octobre, à Précy, trois individus furent arrêtés, parmi lesquels le nommé Desmoineaux, ancien maire révoqué de Précy, démocrate exalté. Les prisonniers furent conduits à Sancerre.

Dans la nuit du 12 au 13, un nombre considérable d'ouvriers et de paysans de Précy, de Jussy et d'autres localités environnantes, se mirent en marche dans l'intention d'aller délivrer Desmoineaux et ses compagnons. Rendez-vous avait été donné à Héry, où devaient se rencontrer d'autres bandes venues de la Charité et de plusieurs autres communes du val de la Loire. De là, la colonne devait s'ébranler pour se diriger sur Sancerre.

La nouvelle du soulèvement étant parvenue à Bourges, la défense était organisée lorsque les insurgés arrivèrent à Ménétréol, à trois kilomètres environ de Sancerre. La colonne insurrectionnelle s'arrêta, et bientôt commença sa retraite, poursuivie par la gendarmerie et par les gardes nationales de Saint-Satur et de Sancerre, auxquelles s'étaient spontanément réunis les cantonniers des routes et du canal, sous la conduite de M. Ducros, ingénieur des ponts-et-chaussées. Plusieurs individus armés de pistolets et de poignards furent arrêtés et conduits à Sancerre. Pendant ce temps, M. le préfet de la Nièvre faisait diriger un escadron de chasseurs sur Précy; le général commandant le département du Cher se portait sur Sancergues avec 150 artilleurs. Les insurgés, déconcertés par ces combinaisons rapides de mouvements, se dispersèrent dans les bois, où vingt-six d'entre eux furent saisis.

Tout n'était pas fini. Le 14, les affiliés des sociétés secrètes dans le val de la Loire soulevèrent les communes de Besses, Saint-Lé

ger, Argenvières et Marseilles-les-Aubigny; le tocsin sonna toute la nuit. Des coups de feu furent tirés sur un maire; les anarchistes, le pistolet au poing, forçaient tous les habitants à les suivre, et se faisaient délivrer des vivres par voie de réquisition et d'urgence. Ils s'étaient d'abord portés sur Précy; mais, avertis que les troupes occupaient encore ce village, ils se dissipèrent en manifestant l'intention de se diriger sur la Charité et en proférant des menaces de mort et de pillage. Ceux des habitants paisibles, et le nombre en était grand, qui ne voulaient pas marcher avec eux, y étaient forcés par la violence.

A la nouvelle de ces désordres, 200 hommes du 41e de ligne furent envoyés de Bourges sur le théâtre des événements. Deux escadrons de hussards les suivirent de près.

Le préfet et le général d'Alphonse, qui étaient restés sur les lieux, firent fouiller les communes insurgées. La révolte céda partout devant ce déploiement de forces.

Ce nouveau soulèvement avait ceci de particulier qu'il avait éclaté sans cause avouée, avec un ensemble qui révélait une direction intelligente et un mot d'ordre général. C'était une véritable jaquerie.

L'instruction, dirigée par M. le procureur général Corbin, mit hors de doute que le mouvement était dû aux excitations d'une vaste société secrète dont les ramifications s'étendaient dans plusieurs départements du centre, et notamment dans l'Allier, le Cher et la Nièvre. Les bandes s'étaient surtout, on l'a vu, recrutées par la force et par les menaces d'incendie et de mort. Un grand nombre d'insurgés arrêtés étaient porteurs d'une médaille comme signe de reconnaissance : ceux-là étaient particulièrement armés de fusils et de couteaux-poignards. Les affiliateurs promettaient la suppression de l'impôt, le complet anéantissement de la bourgeoisie, le partage des terres labourables et le pacage dans tous les bois. On répondait, au premier coup de fusil tiré, d'une insurrection générale, appuyée par l'active coopération des garnisons de Bourges et de Nevers.

On conçoit tout ce que de telles promesses devaient avoir de puissance sur l'esprit d'un grand nombre de paysans encore abrutis par une ignorance héréditaire ou dépravés par les écrits fu

nestes répandus à profusion dans les campagnes, et qui leur enseignaient des doctrines si bien accueillies par les deux grandes passions du paysan, l'esprit de licence et la cupidité.

Ce qu'il y eut peut-être de plus déplorable que le désordre lui-même, ce fut l'attitude des nouveaux Girondins de la nouvelle République. Deux feuilles, représentant le parti gouvernemental dans la démocratie, ne surent pas trouver le courage d'approuver ou de blâmer les excès des révoltés. Elles préférèrent nier une sédition dont la France entière venait d'être témoin. Elles ne virent dans l'émeute armée de Sancerre et de Précy qu'une manifestation innocente de paysans allant réclamer la mise en liberté d'un magistrat sympathique. Quelle intelligence et quelle énergie pouvait-on attendre, au moment décisif, d'hommes politiques capables de semblables défaillances?

Et quelle situation se révélait! Quels commentaires odieux à ces attaques isolées, si nombreuses contre les soldats ou les gendarmes! A Grigny, le 18 septembre, trois gendarmes assassinés sur une grande route: partout des tentatives de rébellion, des prêtres menacés, des saturnales hideuses. Dans quelques campagnes de la Nièvre, chaque petit propriétaire était armé attendant l'attaque, déterminé à ne céder ni une heure de sa liberté, ni une parcelle de sa propriété, résolu à mourir les armes à la main plutôt que de subir l'insulte et les mauvais traitements promis si haut et annoncés par tant de voix. Chacun gardait sa famille, sa maison, et eût défendu l'une et l'autre contre l'invasion de ces nouveaux barbares, avec le courage du droit et du désespoir; car chacun savait qu'il n'y avait point de quartier à attendre de la part de ceux qui attaquaient la société pour la détruire.

Pour peu qu'un ouvrier, même des plus pauvres, refusât d'entrer dans ces associations de paresseux avides, il était considéré comme un aristocrate. Un marinier de la Loire disait à M. de Bourgoing : « Je n'ai que ma bourde et mon bateau; si ces genslà venaient au pouvoir, ils me couperaient le cou. » Un ouvrier, gagnant trente sous par jour, travaillant chez un de ces chefs d'ateliers honorables et dévoués à la cause de l'ordre, disait : « Je ne sors plus de la nuit, et je me barricade dans ma maison. Ils ont dit à ma femme d'ici à peu on vous raccourcira tous, parce

que vous n'êtes pas du bon parti. » A un autre on disait : « Tu travailles chez monsieur un tel, dépêche-toi, parce qu'on va bientôt le brûler. »

Où était la cause de ces périls, de cette maladie sociale? Les hommes sensés la voyaient dans la forme même d'un gouvernement antipathique à la France, dans l'incessante instabilité de la République. On ne se divisait que sur le remède : M. Dupin, avec sa haute intelligence d'homme politique et son admirable bon sens d'agriculteur, ne disait-il pas, lui aussi, au concours agricole de Châtillon en Bazois, dans les derniers jours de septembre : « Très-certainement, Messieurs, il ne faut pas se faire illusion sur la situation actuelle: elle n'a rien de satisfaisant. La gêne se fait sentir partout; le commerce languit; l'inquiétude, NÉE DE L'INSTABILITÉ, obsède toutes les pensées et préoccupe toutes les imaginations. »

Dans une autre solennité agricole, il prononçait ces paroles remarquables :

« Un gouvernement précaire, un gouvernement à courte échéance, un gouvernement dont toutes les factions à la fois se disputent le sommet, ne peut pas avoir, pour l'action et la résistance, la suite et le nerf d'un gouvernement incontesté et solidement établi. Les temps sont proches, comme dit l'Ecriture : encore un peu de temps, et la France verra s'évanouir et le pouvoir du Président de la République et celui de l'Assemblée législative... car les deux pouvoirs, s'il n'y est pourvu, doivent s'éteindre presque en même temps, dans le même mois, à quelques jours seulement de distance; c'est le tison de Méléagre, auquel est attachée sa destinée, et qui brûle sous nos yeux avec la perspective de sa fin prochaine et inévitable... Aussi, dans toutes les conspirations, dans tous les manifestes des révolutionnaires et des terroristes, nous voyons que c'est à cette date, en 1852, que ce que j'appelle le parti du crime s'est donné rendez-vous...

>> Comment faire? disent la plupart d'entre vous; et pour employer vos propres termes Comment donc que ça va s'passer? -- Mais je suis forcé de vous renvoyer une partie de la question, car c'est vous, c'est le peuple français, constitué souverain, c'est la masse des citoyens (moins les indignes et les incapables, déclarés tels par jugement ou par la loi), qui doivent élire à la fois et un président, chef du pouvoir exécutif, et une nouvelle assemblée législative.

>> On a bien demandé la révision de la constitution! Plus de deux millions de pétitionnaires l'ont sollicitée ; les conseils d'arrondissement et la très-grande majorité des conseils généraux ont exprimé le même désir. Plus des deux tiers des membres de l'Assemblée nationale ont émis un vou conforme.

Les uns ont demandé la révision partielle, uniquement en vue de pouvoir renouveler le bail...

>> D'autres, et c'est le plus grand nombre, ont demandé ou voté la révision totale, à toutes fins... chacun selon son instinct, son goût, sa pensée, ou si l'on veut, son arrière-pensée...

>> En attendant, et au milieu d'une abondance incontestable, quoiqu'elle n'ait rien d'excessif, l'agriculture est en souffrance, elle ne peut écouler ses produits. Les céréales ne se vendent pas les craintes qu'inspire la démagogie socialiste retiennent les acheteurs; ils n'osent pas profiter du bon marché pour former comme autrefois des réserves qu'on est si heureux de trouver plus tard, quand les récoltes, ce qui n'arrive que trop souvent, viennent à fléchir. Les bestiaux ne se recherchent pas davantage : les jours de foire, il n'y a d'activité que dans les cabarets, et le fermier ramène tristement à l'étable son bétail invendu.

>> Chacun se demande pourquoi pas de commerce, pourquoi cette stagnation des affaires qui tient toute la France dans un tel état de gêne et d'engourdissement. Le fermier paye malaisément son propriétaire, et tous les deux manquent des moyens nécessaires pour faire des travaux extraordinaires et des améliorations, quand déjà les frais indispensables de la culture en France coûtent 60 pour cent du produit brut. >>

Le gouvernement central, averti par les derniers soulèvements, redoubla d'énergie. Le 21 octobre, les départements du Cher et de la Nièvre avaient été mis en état de siége. A Paris même, des arrestations nombreuses avaient été faites elles se rattachaient à la formation d'un comité allemand nouvellement organisé, et mis en rapport avec le comité européen de Londres et avec le comité centralisateur allemand siégeant dans la même ville. Pour résister à cette invasion de communistes cosmopolites, la police parisienne avait remis en vigueur les anciens arrêtés concernant le séjour des étrangers, et avait soumis à la formalité du permis de séjour les ouvriers et commerçants venant, du dehors, exercer une industrie dans le département de la Seine.

L'opinion publique approuvait ces rigueurs nécessaires, et le besoin de sécurité qui dominait les populations se traduisait par de fréquentes et dures condamnations en matière de presse. Le journal avait perdu toute popularité devant le jury. L'opinion était dans une de ces périodes de réaction, si fatales à la liberté, qui suivent les commotions sociales et les désordres anarchiques.

Le moment approchait où l'Assemblée allait rouvrir ses séances. Déjà, plusieurs fois, la commission de permanence avait dû se réunir, tantôt pour apprécier la portée des insurrections du centre, tantôt pour s'entretenir de nombreux bruits de coups

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