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Le soir du 4, une partie des troupes fut retirée de ses positions de combat, et, le 5, l'armée de Paris tout entière fut montrée dans un défilé immense aux habitants rassurés ou atterrés, aux amis ou aux ennemis. Le 6, la circulation était rétablie sur tous les points, les troupes avaient disparu, et on se hâtait d'effacer les traces douloureuses de la lutte fratricide. Désormais, la dictature victorieuse représentait au moins l'ordre matériel pour ceux qui lui niaient le droit.

Il restait à voir à l'œuvre cette dictature, lorsqu'elle n'aurait plus à combattre, mais à gouverner.

CHAPITRE XH.

JAQUERIE ET DICTATURE, LE VOTE.

Le coup d'Etat dans les départements.

Le socialisme attaqué avant son

heure; jaquerie, ses éléments, esprit de haine et d'envie démocratique, aristos, blancs et gras, les barbares de la civilisation.

Départements voisins de Paris.

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Les grandes villes,
Départements de

émotion comprimée. l'Ouest, la Sarthe. - Départements du Centre, Loiret, manifestation hostile à Orléans, arrestations, conflits sanglants à Montargis, à Bonny; Allier, la Palisse et Moulins; Nièvre, soulèvement général, assassinat du maire de Pousseaux, Clamecy au pouvoir des insurgés, atrocités et violences, le curé de Neuvy, plan de l'insurrection, attaque et prise de Clamecy par les troupes, les insurgés traqués; Aveyron, arrestation à Rhodez; Puy-de-Dôme, siége de la mairie à Thiers. Départements de l'Est; Meurthe et Vosges, arrestations; Jura, insurrection de Poligny; Bas-Rhin, l'ordre maintenu à Strasbourg. Départements du Sud, cercle de Lyon ; Saône-et-Loire, faits insurrectionels; Ardèche, tentative sur Privas, affaire du pont de Bourré; Drôme, organisation socialiste, menaces contre Montélimart, marche des communes insurgées sur Crest, les prisonniers et les prêtres, engagements sanglants au pont de Crest, défaite définitive; Gard, menaces contre Nîmes; Vaucluse, marche des bandes d'Apt sur Avignon, leur fuite; Hérault, Pézenas, scènes sanglantes, Béziers, bataille dans la ville, assassinats, Bédarieux, scènes hideuses, Capestang, les pillards. Départements du SudOuest Pyrénées-Orientales, Estagel et Perpignan; Hautes-Pyrénées, tentatives avortées; Gers, brillante affaire d'Auch, Condom et Mirande ; Lot-et-Garonne, gouvernements provisoires à Marmandes et à Villeneuve.Départements du Sud-Est : Bouches-du-Rhône, Marseille; Var, insurrection générale, l'armée socialiste et les prisonniers, scènes hideuses, pillages, assassinats, délivrance; Basses-Alpes, situation spéciale de ce département, Forcalquier, Sisteron, Digne et Manosque au pouvoir de l'insurrection, combat des Mées, le département reconquis.

:

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La dictature à Paris, nouveau ministère, commission consultative; énergie du gouvernement, colonie pénitentiaire, les forçats libérés; tendances morales et religieuses, Sainte-Geneviève rendue au culte catholique, le repos du di

manche, adhésions dans l'Eglise; sympathies et hostilités dans la nation; impulsion donnée aux travaux publics, le chemin de Lyon à Avignon, le chemin de ceinture, la Bourse de Marseille, travaux divers; reprise des transactions; finances, les fonds publics, la Banque de France, rapport de M. A. Fould, impôts et revenus.

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Le vote résultats du scrutin, adhésion immense, constatation solennelle; situation finale.

La victoire, et une victoire facile, était remportée à Paris. Dans les départements, les choses se passèrent à peu près de même, mais avec des circonstances plus favorables encore au pouvoir exécutif. Amis et ennemis, tous avaient été pris à l'improviste par le coup d'Etat. L'étonnement avait été général : qu'on désirât ou qu'on redoutât cet acte, on n'y croyait pas encore ou on n'y croyait plus. A la première nouvelle des événements de Paris, la résistance s'organisa à la hâte sur une foule de points. Mais la résistance, c'était déjà la défaite. Ce qui avait fait jusque-là le prestige de la démocratie militante, ce qui eût fait sa force à l'heure choisie par elle, c'était ce système d'attaque générale qu'elle organisait pour 1852 contre toute la société politique. Mise en demeure avant le temps, elle se heurtait partout à une force tout autrement puissante et mieux organisée qu'elle ne pouvait l'être ellemême. En outre, la position prise par le pouvoir exécutif faisait de lui, aux yeux de la population paisible, des ouvriers de l'industrie et de la terre, de la bourgeoisie laborieuse, le seul représentant de l'autorité, la seule garantie de l'ordre social. Toutes ces forces vives de la nation se rallièrent donc autour de la dictature militaire, soit par intérêt, soit par sympathie.

Le caractère sauvage de la révolte dans les départements les moins éclairés, ne contribua pas peu à donner à la victoire du dictateur le caractère d'une œuvre de salut social. Partout ces tentatives de résistance légale ou de soulèvement brutal contre toute légalité furent réprimées avec vigueur et rapidité : mais l'audace et l'immense développement de ces scènes de désordre épouvantèrent la France, et cette jaquerie manquée put faire comprendre ce qu'eût été la lutte si, au lieu d'éclater à l'improviste par suite des mesures dictatoriales du 2 décembre, l'anarchie eût pu commencer à son jour, à son heure, la guerre sociale dont elle menaçait hautement le pays.

On ne saurait nous demander l'histoire détaillée de ces mille mouvements locaux, dont la physionomie offrit à peu près partout des traits semblables. Nous nous contenterons d'esquisser à grands traits cette insurrection morcelée que l'esprit de parti a défigurée, soit en l'exagérant, soit en l'atténuant au profit du zèle ou de la haine politique. Il y aura dans ce récit des pages bien tristes, bien honteuses pour un pays qui marche à la tête de la civilisation générale. Mais nous ne saurions, pour le plaisir de cacher ces plaies si cuisantes pour l'amour-propre national, dénaturer l'histoire.

Déjà assez souvent, depuis la révolution de février, nous avons étudié la démocratie dans les départements. On a vu naître et s'étendre, sous l'influence des excitations des sociétés secrètes, l'esprit de haine et de division, d'envie et de révolte soufflé parmi les classes laborieuses.

Il est des mots qui peignent tout une situation morale: tel fut, pendant trois ans d'anarchie sociale, le mot aristo, ignoble abréviation acceptée par toutes les classes. Mais ce qu'il y eut de plus remarquable dans cette appellation envieuse et menaçante, c'est qu'elle s'appliquait tour à tour et en descendant tous les degrés sociaux à ceux qui l'appliquaient à d'autres. Un jour, aux assises de la Drôme, un témoin se plaignit d'avoir été menacé par l'accusé et appelé aristo. Or, cet aristocrate de 1851 n'était autre chose qu'un pauvre ouvrier tailleur, vivant au jour le jour du travail de ses mains.

Dans les départements du midi de la France, cette épithète d'aristo ne suffit bientôt plus. Celle de blanc n'exprimait pas toutes les nuances des ennemis du socialisme. On distingua les personnes en deux classes: les gras, c'est-à-dire tout ce qui est noble et riche et instruit, d'abord; puis, tout ce qui s'élève un peu au-dessus de la misère, tout ce qui a un champ, une maison, une parcelle de terre, tout ce qui gagne 2 ou 3 fr. par jour pour nourrir sa famille; puis tout ce qui sait lire; puis enfin tout ce qui n'est pas vagabond, taré, avili, mis au banc de l'opinion publique.

Ces tristes dénominations qui, aujourd'hui, feraient sourire de pitié ou de dégoût, formulaient alors des divisions terribles.

Un moment de plus et, profitant de l'impuissance de l'autorité, elles se seraient traduites par le viol, par le pillage, par l'assassinat. Ajoutez à cette armée de misérables jaloux du bien-être acquis par le travail, l'armée nombreuse des sauvages de la civilisation moderne, de ces hommes dont la vie n'est qu'un long duel avec la loi, des repris de justice en surveillance, des braconniers, des maraudeurs de toute espèce. Et, pour conduire ces barbares à la curée, l'état-major des incapacités vaniteuses, des existences déclassées. Il n'est pas de commune qui ne renferme un commerçant endetté, un propriétaire rongé par l'hypothèque; il n'est pas un canton qui n'ait son médecin sans malades, son avocat sans causes. Pour ces hommes, tout bouleversement social est une chance, toute anarchie une ressource. Tels sont les éléments divers qu'agitait inopinément dans la France tout entière le coup d'Etat du 2 décembre.

Et d'abord, les grandes villes, les cités industrielles et maritimes échappèrent à l'insurrection. Rouen, Lyon, ces deux foyers des anciennes révoltes, restèrent immobiles. Lille, Amiens, Strasbourg, Marseille, Bordeaux ne virent pas un attroupement armé, pas une barricade. On y apprit plus tôt, on y comprit plus vite l'insuccès de l'insurrection à Paris.

Les départements voisins du département de la Seine furent également préservés : la dictature y fut saluée avec enthousiasme ou acceptée en silence.

A Reims (Marne), à Citrey (Seine-et-Marne), l'arrestation de quelques meneurs suffit pour faire évanouir quelques groupes menaçants.

Les départements de l'Ouest, l'ancienne Vendée, le Bocage, la Normandie gardèrent l'attitude la plus paisible.

Dans la Sarthe, la tranquillité publique, si elle fut troublée par de vives alarmes, ne fut pas au moins achetée par les scènes hideuses qui souillèrent d'autres localités. Au premier signal, au Mans, à la Flèche, à Mamers, à La Ferté, à Saint-Calais, une foule de bons citoyens quittèrent leurs foyers et descendirent dans la rue, prêts à se défendre à la fois, et à protéger l'ordre et la société. Les premières tentatives sérieuses d'insurrection eurent lieu dans le Loiret.

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