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une population belliqueuse, mieux armée et mieux organisée pour la résistance que les Arabes, parlant un langage différent, obéissant à des habitudes et à des mœurs qui lui sont propres. Sous le gouvernement turc, les Kabyles avaient toujours échappé à l'action des chefs qui administraient les tribus et jouissaient d'une indépendance complète, sinon en droit, du moins en fait. Ils fréquentaient les marchés des contrées soumises pour écouler leurs produits et s'approvisionner de céréales; mais ils n'admettaient qu'avec répugnance les étrangers au milieu d'eux, et, vivant dans une sorte d'isolement; ils ne prenaient part ni aux querelles ni aux révoltes des populations limitrophes à leurs montagnes.

Aussi, avait-on réservé la question de la soumission de la Kabylie jusqu'au moment où les tribus arabes seraient entièrement pacifiées. Déjà quelques relations commerciales s'étaient établies avec plusieurs parties de ce massif montagneux; on pouvait choisir le moment opportun d'une expédition définitive, le caractère ombrageux de ces populations sauvages les éloignant des agitations causées par le fanatisme, et les discussions intestines ayant sur elles plus d'empire que les intérêts collectifs de la religion et de la nationalité.

Les premiers efforts avaient été dirigés d'abord à l'est de Dellys, dans la vallée du Sebaou, qui longe le territoire de plusieurs tribus kabyles riches et guerrières. On avait surveillé les pentes sud du Djurjura, brisé les liens de l'administration régulière créée par Abd-el-Kader, et établi à Gour-el-Ghozlan le poste permanent d'Aumale. Le résultat de ces succès avait été de couvrir l'est de la province d'Alger et de dominer les principaux débouchés du Djurjura. On avait par là établi une barrière protectrice en face de la Metidja. On résolut alors de séparer en deux parties le massif qui s'étend de Dellys à Philippeville, en ouvrant une route de Sétif à Bougie. De là suivit la soumission de la vallée de l'Oued-Sahel et la libre communication entre Alger et Bougie par Aumale. Le Djurjura était enveloppé et surveillé.

Ce massif était cependant devenu un foyer d'agitations incessantes. C'est pour cela que les armes françaises allaient visiter les tribus du Sahel de Djijelli et de Collo.

A la nouvelle de l'expédition, les Kabyles s'apprêtèrent à la résistance. Ils y étaient surtout poussés par un prétendu chérif, surnommé Bou-Baghla (l'homme à la mule) qui prêchait la guerre sainte dans leurs montagnes. Le 19 mars, Bou-Baghla attaqua la Zaouïa-de-Chellata et en chassa le marabout Sy-benAly-Chérif notre allié. Les rassemblements menaçants, formés en face des troupes de la subdivision d'Aumale, devinrent tellement agressifs, qu'il fallut attaquer et enlever le village de Selloum (10 avril). Bou-Baghla se retira dans le bas de la vallée de l'Oued-Sahel et, le 10 mai, se présenta devant Bougie. Une charge vigoureuse sortie de la place balaya ces bandes fanatiques jusque vers le col de Thizi, où les Mezaïa, nos alliés, les fusillè– rent à bout portant.

Abandonné des contingents kabyles, Bou-Baghla avait dû s'éloigner. Mais Bougie restait bloqué à distance.

Cependant le général Saint-Arnaud réunissait à Milah une division de douze bataillons, quatre escadrons, huit pièces de montagne, en tout huit-mille hommes partagés en deux brigades commandées, l'une par le général de Luzy, l'autre par le général Bosquet. Le 11 mai, l'armée descendit du Fedy-Beïnem, en vue de l'ennemi, et enleva les retranchements du ravin escarpé de l'Oued-Dja, opération qui permit de ravager les villages des Ouled-Askar et des Ouled-Mimoun. Malgré toutes les difficultés de terrain, la division réussit à descendre vers l'embouchure de l'Oued-Kébir et à entrer dans la plaine, tout en attaquant sur son passage les plus beaux villages de la vallée. Le 16, elle bivouaquait à Djidjelli.

Le gouverneur général s'y était rendu dès le 14 pour prendre des mesures contre l'insurrection qui grandissait dans le cercle de Bougie. Le général Camou et une partie de la brigade Bosquet furent dirigés de ce côté.

Le 19, le général de Saint-Arnaud repartit de Djijelli, établit son camp à Dar-el-Guidjali, au milieu des Beni-Amran et enleva les fortes positions occupées par des masses énormes de Kabyles. Le 19 et le 20, les ennemis perdirent près de cinq cents hommes. Ces brillants combats amenèrent la soumission des Beni-Ahmed, des Beni-Khetab et de trois grandes fractions des Beni-Amran.

Pendant ce temps, le général Camou opérait contre les Kabyles insurgés à la voix de Bou-Baghla, sur la route de Sétif à Bougie. Renforcé le 30 mai par le général Bosquet, il donna le 1er juin, une vigoureuse leçon au faux chérif, dont les bandes furent écrasées, et dont les tentes et bagages restèrent entre nos mains. Le chérif se retira chez les Beni-Yala.

De son côté, le général de Saint-Arnaud forçait, e 26 mai, les Beni-Foughal et les Bens-Ourzeddin à la soumission. A dater de ce moment, la colonne n'eut plus un seul coup de fusil à essuyer jusqu'à son arrivée à Djidjelli, le 2 juin. Sur son passage, les Kabyles s'empressaient de demander l'aman et de donner des otages.

Le 5 juin, le général de Saint-Arnaud se porta à l'ouest contre quelques tribus qui refusaient d'exécuter leurs promesses de soumission. Trois engagements brillants (9, 10 et 12 juin) foreèrent les Beni-Aissa, les Beni-Maad, les Ouled-Nabet et les Beni-Segonal à reconnaître notre supériorité.

L'Ouest pacifié et Djidjelli débloqué, tandis que le général Camou soumettait toutes les tribus du cercle de Bougie et réinstallait Sy-ben-Ali-Chérif dans sa Zaouïa-de-Challata, le général de Saint-Arnaud se portait vers l'Est pour y achever sa tâche. A partir du 19 juin, il lutta chaque jour contre des tribus nombreuses qui ne se soumettaient qu'après une résistance acharnée le 26 eut lieu un combat d'arrière-garde qui coûta cher aux Kabyles, mais qui nous occasionna aussi des pertes sensibles. Le colonel Marulaz y déploya, dans une lutte corps à corps de quelques centaines de cavaliers contre 3,000 Kabyles, une rare intrépidité.

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Après le cercle de Djidjelli, le général de Saint-Arnaud entama le cercle de Collo, où il terrifia plusieurs tribus par des exécutions faites contre leurs villages et par des combats sanglants. Le 17 juillet, tout était terminé.

Presque tous les pas de notre armée, pendant cette brillante 'expédition, avaient été arrêtés par des difficultés qu'on ne saurait comprendre si l'on n'a apprécié, par ses yeux, la configuration tourmentée de la Kabylie : ravins profonds, cols élevés, pentes abruptes, rochers escarpés, sentiers rendus praticables la

pioche à la main sous le feu de l'ennemi, pluies torrentielles, chaleurs accablantes, nuits glacées, telles avaient été les conditions de cette campagne si rapidement terminée. 640 kilomètres avaient été parcourus en 80 jours, et, dans vingt-six rencontres victorieuses, la colonne du général de Saint-Arnaud avait eu 13 officiers tués, 42 blessés, 176 sous-officiers et soldats tués, 741 blessés, un homme touché sur huit.

Trois mois après, une colonne commandée par le gouverneur général, allait poursuivre dans l'est l'imposteur Bou-Baghla chez les Maatkas, les Guechtoulas et les Flissas, et le rejetait chez les . Beni-Sedka, après avoir pacifié le caïdat de Boghni. Pendant toutes ces opérations, le reste de l'Algérie jouissait d'une tranquillité parfaite, à l'exception des Nemenchas, tribu voisine de la frontière tunisienne qu'il fallut mettre à la raison.

A la fin de l'année, l'expédition dans la Kabylie commençait à porter ses fruits. L'est de la province d'Alger était complétement dégagé de préoccupations, et chacun y avait repris ses habitudes commerciales ou agricoles. Les tribus elles-mêmes châtiées avec rigueur, reconnaissaient l'inutilité de la lutte.

Signalons un excellent rapport de M. le ministre de la guerre au Président de la République sur l'organisation et l'administration par la France des tribus arabes (Moniteur du 27 janvier). M. Regnault de Saint-Jean-d'Angély y donnait de précieux renseignements, d'où il ressort que l'action de l'autorité française sur les Arabes a produit, dès la vingtième année de la conquête, des résultats beaucoup plus importants qu'on ne s'accorde généralement à le reconnaître. La création et l'organisation des bureaux arabes, due en partie à M. le général Daumas, chef de la direction des affaires de l'Algérie, ont été puissamment influentes sur la pacification et sur le gouvernement de notre possession africaine (voyez l'Annuaire précédent, p. 364). La pensée du rapport était dans ces derniers mots : « Ce n'est pas une fusion inintelligente et sommaire que nous poursuivons entre les Arabes et la population européenne, mais l'association des intérêts dans

des intérêts communs. »

Colonies transatlantiques.

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Une loi sur les banques coloniales a fixé, cette année, le capital de ces établissements à 3 mil

de

lions de francs pour chacune des banques de la Martinique, la Guadeloupe et de la Réunion; à 700,000 fr. pour celle de la Guyane. Pour les trois premières colonies, 2 millions de francs du capital social, pour la Guyane, 500,000 fr. seraient fournis par un prélèvement de pareilles sommes, effectué sur l'indemnité allouée aux colons par la loi du 24 avril 1849. Le complément, soit 1 million de francs pour chacune des trois principales colonies, et 200,000 fr. pour la Guyane, pourrait être formé au moyen de souscriptions volontaires reçues par l'administration.

Les Antilles françaises se relevaient péniblement de la secousse brutale qui leur avait été imprimée par une émancipation prématurée.

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Guadeloupe. La surexcitation des passions mauvaises exaltées jusqu'au crime, et un commencement de répression favorisée par l'organisation plus forte de l'autorité, tels sont les deux incidents principaux de l'histoire de cette malheureuse colonie.

La nomination de M. le capitaine de vaisseau Aubry-Bailleul replaçait l'exercice des fonctions de gouverneur de la Guadeloupe dans la plénitude des conditions établies par l'organisation de 1827.

M. Aubry-Bailleul mérita, dès son entrée en fonctions, l'hostilité des anarchistes par la fermeté avec laquelle il se prononça contre les fauteurs de désordre. Son arrivée fut le signal d'une recrudescence dans les efforts des misérables partisans des doctrines démagogiques. Deux incendies causés par la malveillance désolèrent encore la Basse-Terre. Mais la main ferme du nouveau gouvernement allait bientôt mettre un terme à ces criminelles tentatives.

M. Aubry-Bailleul put, au reste, constater une augmentation de la récolte, qui s'était rapprochée, plus que la précédente, de la moyenne du produit au temps de l'esclavage, malgré l'état défavorable de l'atmosphère au moment des derniers travaux. Le nouveau gouverneur apportait une bonne promesse, celle de la création d'un conseil général qui devait être chargé de la gestion des intérêts locaux.

Cependant les sinistres causés par la malveillance n'avaient cessé d'inquiéter la colonie.

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