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contre le pouvoir exécutif. Le premier indice d'hostilité parut dans les votes exprimés pour une composition nouvelle des bureaux de la Chambre. Les commissaires furent presque exclusivement choisis parmi les membres de la majorité récemment coalisés avec la Montagne. Des noms significatifs furent ceux de MM. le général Changarnier, Baze, de Maleville, Berryer (3 février). Mais ce n'était là qu'une escarmouche. La bataille devait être livrée sur un projet auquel on donnait le nom peu populaire de projet de dotation.

Ce projet fut présenté, le 3 février, par M. de Germiny.

On se rappelle que l'Assemblée avait voté pour l'année 1850 une somme de 2,160,000 francs à titre de supplément. Le crédit demandé pour l'exercice de 1851 était 1,800,000 francs. Dans les courtes observations qui servirent d'exposé des motifs, le ministre se borna à déclarer que les charges permanentes imposées au chef du pouvoir exécutif par les devoirs de sa position rendaient ce crédit indispensable, et il en laissa l'appréciation à l'Assemblée.

La commission, nommée le lendemain, était ainsi composée : MM. Salvat, Bac, Grévy, Druet-Desvaux, Piscatory, Creton, de Mornay, B. Delessert, Quentin Bauchard, Dufour, Chambolle, Baze, Desmarets, Pidoux et Combarel de Leyval. Deux membres seulement étaient favorables au projet. C'étaient MM. Quentin Bauchard et Dufour.

Trois membres de la Montagne furent élus grâce à l'appui des voix monarchiques, et, parmi les membres de la majorité coalisée, il se trouvait des noms qui impliquaient une nouvelle déclaration de guerre (5 février).

Dans la discussion préliminaire, plusieurs opinions se produisirent les uns, M. le duc de Broglie, par exemple, voulait qu'on ajournât le crédit jusqu'après la nomination d'un ministère parlementaire. Les autres, MM. Piscatory, Baze, Chambolle, de Mornay, Howyn-Tranchère, Jules de Lasteyrie, Creton voyaient là plus qu'une question d'argent, une question politique. Ils considéraient les derniers événements comme une sorte de défi jeté à l'Assemblée, comme marquant une tendance à abaisser la représentation nationale. On ne dissimulait pas l'intention d'exercer

des représailles tout au plus donnait-on pour prétexte que l'allocation aurait pour effet de dénaturer l'institution de la présidence. On reconnaît là le mot d'ordre du discours de M. Thiers.

Quant au Gouvernement, par l'organe de ses ministres, il se tenait dans une réserve complète, se bornant à reproduire les motifs de l'allocation précédemment votée.

Les conclusions du rapport ressortaient à l'avance de la composition même de la commission. Le rejet pur et simple fut proposé par M. Piscatory, à la majorité de 13 voix contre 2 (8 février). On regretta d'entendre cette décision exprimée dans des termes acerbes et passionnés. La forme, en pareil cas, en dit encore plus que le fond. Ce document qu'on appela « le Message de la coalition » rappelait, une fois de plus, tous les vieux griefs. Il parlait de bienveillance témoignée dans une circonstance semblable, de confiance mal comprise.

Par une dérogation significative aux usages ordinaires, l'Assemblée décida que la discussion aurait lieu à la séance suivante. M. Léon Faucher demandait qu'un jour d'intervalle fût laissé entre la lecture du rapport et la discussion. La demande fut repoussée. On avait hâte d'attaquer et il parut par l'animation avec laquelle cette simple question de jour fut agitée que les passions ne manqueraient pas au rendez-vous. 358 voix contre 306 décidèrent que la discussion aurait lieu dans le plus bref délai.

Le débat s'ouvrit le 10 février. M. de Royer, ministre de la justice, se contenta de constater que le rapport découvrait le Président de la République et mettait imprudemment sa personne en jeu. Après avoir revendiqué, au nom du cabinet, så part de responsabilité dans la politique du pouvoir exécutif, il se demanda où étaient ces fâcheuses influences qui avaient excité les critiques de la commission : à coup sûr, elles ne sont pas, dit le ministre, dans les paroles de M. le Président de la République : les messages parlementaires, les discours prononcés à Lyon, à Strasbourg, dans toute la France, respirent la loyauté la plus parfaite, renferment les engagements les plus solennels. Incriminerait-on les actes du Président? Mais l'Assemblée ne doit-elle pas en partager avec lui l'honneur et la responsabilité? Les voya

ges de l'année dernière, si c'est là une de ces influences que l'on a voulu signaler, ont-ils été autre chose qu'une réponse au vœu des populations? n'ont-ils pas eu d'ailleurs, cet effet salutaire d'aller porter les principes d'ordre et d'autorité dans des pays envahis par l'esprit révolutionnaire? Le grief qui porte sur le caractère nouveau des relations entre les deux pouvoirs n'est pas mieux fondé notre présence, ajouta M. le garde` des sceaux, toute transitoire et passagère qu'elle est, témoigne clairement de la pensée de conciliation qui anime M. le Président de la République. Enfin, dit-il en terminant, aux appréhensions que la commission semble éprouver sur les éventualités qui doivent se présenter en 1852, on ne saurait mieux répondre que par les serments jurés par M. le Président à la face du pays, que par ces paroles empruntées à un dernier Message: il ne faut jamais que la violence, la passion, la surprise puissent décider du sort d'une grande nation.

Ce que ne pouvait pas dire, à propos d'une question d'argent, un représentant du pouvoir exécutif, M. de Montalembert vint le dire dans un magnifique langage. Son discours, puissant par l'ironie, par la hauteur des idées, par un certain dédain de popularité qui tombait rudement sur les préoccupations mesquines des partis ne fut pas un de ces discours qui cherchent à convaincre. L'orateur, certain du dénouement, ne voulut que caractériser le vote et il le fit en infligeant à ses adversaires de cruelles bles

sures.

Je ne suis, dit-il tout d'abord, ni le conseiller, ni le confident, ni l'avocat du Président de la République. « Je suis son témoin. » Je viens lui rendre, devant la France, ce témoignage qu'il n'a en rien démérité des six millions d'électeurs qui l'ont nommé et qu'il n'a pas cessé d'accomplir la haute mission qu'il avait reçue, celle de restaurer l'ordre et de comprimer la démagogie. Il n'y a ici, ajouta-t-il, ni une question de confiance, ni une question de conduite, mais une question d'autorité. Et l'orateur traça à grands traits le tableau des services rendus à la France et à l'Europe entière par l'élection du 10 décembre. Il montra le président résistant tout d'abord aux tentatives impérialistes que les suffrages des campagnes avaient pu lui suggérer, se faisant le pa

tron du parti de l'ordre, préparant les élections du 15 mai, abjurant son passé pour commencer avec le concours de l'Assemblée la politique qui devait raffermir la société si profondément ébranlée; il passa en revue tous les actes du Président, auquel il n'imputa qu'une seule faute, d'ailleurs généreusement rachetée : la lettre à M. Edgar Ney. Quant à la destitution du général Changarnier, M. de Montalembert l'avait regrettée d'abord, mais certaines paroles échappées depuis au général lui avaient fait penser qu'elle avait pu être méritée. Enfin, après avoir énuméré tous les services rendus au pays par le Président de la République, services payés, tout récemment, par un vote de défiance, il protesta << contre une des ingratitudes les plus aveugles et les moins justifiées de ce temps-ci. >>

Puis l'orateur fit l'histoire des coalitions. C'étaient elles qui avaient tué, tour à tour, deux monarchies en tuant le respect pour l'autorité. Ce n'est pas l'émeute de la rue, dit-il, ce sont les hommes politiques qui ont fait nos révolutions. Et après tant d'expériences désastreuses, ces mêmes hommes, les voilà qui recommencent leur œuvre de destruction sur un terrain encore mal affermi. Et ces hommes de coalition s'appellent les défenseurs du gouvernement parlementaire. Ah! bien loin de le défendre, ils le feraient plutôt détester de toute la France. Quand, après tant de catastrophes produites par la même cause, le pays voit recommencer les mêmes manœuvres, par les mêmes mains, sous les mêmes chefs, il ne peut plus prendre goût à ce jeu, qui n'est plus à ses yeux ni sérieux, ni sincère.

Ces poignantes allusions faisaient bondir sur leurs bancs les membres les plus engagés de la coalition nouvelle : le chef désigné garda le silence.

Restait à prouver que, même sous la Constitution de 1848, le pouvoir exécutif était une autorité au premier chef c'est ce que M. de Montalembert fit avec habileté et bonheur. Quel est le pouvoir qui frappe le plus l'imagination? quel est celui vers lequel se sont toujours portés tous les regards, toutes les affections, toutes les espérances? qui a toujours été le plus aimé ou le plus haï ? N'est-ce pas le pouvoir exécutif? Il est vrai qu'aujourd'hui il ne s'appelle plus le roi, mais le président. Eh bien ! quelles dif

férences y a-t-il entre ces deux pouvoirs? Ne sont-elles pas toutes à l'avantage du Président? Celui-ci ne fait pas la paix et la guerre ; il n'a pas le veto; mais ces droits, les rois les ont-ils jamais exercés? il n'a pas l'hérédité, mais depuis soixante ans est-il monté sur le trône un petit-fils de roi? Il n'est pas inviolable; mais en quoi cette inviolabilité a-t-elle servi aux races royales qui regrettent la patrie absente à Claremont et à Wiesbaden? Le Président a des avantages plus solides et plus efficaces; il partage, avec le pouvoir législatif, l'honneur des suffrages populaires; il est le représentant seul et unique du peuple assemblé dans les comices; des deux pouvoirs organisés par la Constitution, c'est celui qui a le plus de prestige et d'autorité.

L'orateur termina en adjurant l'Assemblée de renoncer à ces jeux mortels, et, s'élevant au-dessus des questions de parti pour ne plus voir que le pays compromis et menacé prenez garde, s'écria-t-il, que, fatigués de ce spectacle, les paysans ne disent un jour : « Voyez ces blancs, que nous avons nommés; ils se sont disputés entre eux et n'ont rien fait. Nommons des rouges! » Et alors ce ne sera plus l'Empire que vous aurez à craindre, mais le socialisme légal, organisé, irrémédiable.

Aux magnifiques adjurations de ce discours, la majorité coalisée ne répondit que par une nouvelle édition aggravée du rapport. M. Piscatory accusa de nouveau le président de la République d'avoir jeté, par sa conduite, un long défi à l'Assemblée et d'avoir choisi des ministères « d'une origine parlementairement douteuse. >>

La discussion était fermée: le scrutin s'ouvrit. Le chiffre des votants était de 690; le nombre des voix pour l'adoption du projet fut de 294; celui des voix pour le rejet de 596. La loi de dotation fut rejetée à la majorité de 102 voix. En comparant ce vote à celui qui avait frappé le dernier ministère, on y remarquait un revirement de quelques voix au profit de la minorité. La minorité, qui était alors de 286, s'était élevée à 294; la majorité, qui était de 415, était tombée à 394.

Les plus sages d'entre les monarchiques regrettèrent eux-mêmes ce vote. Puisque la dotation était condamnée d'avance, disaient-ils, puisque l'on avait pris le parti de répondre par un

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