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pour but le remboursement, par une remise proportionnelle sur les contributions directes, pendant les années 1852, 1853, 1854 1855, de l'impôt des 45 centimes, décrété par le gouvernement provisoire. C'était se tromper peut-être que de fonder une espérance de popularité sérieuse, sur le remboursement d'une charge sans doute onéreuse en son temps, mais oubliée désormais et classée parmi les faits accomplis. D'ailleurs rien ne pouvait sortir d'une proposition semblable, si ce n'est un scandale inutile.

La proposition inattendue de M. Berryer produisit la plus vive sensation: c'était de l'étonnement tout ensemble et de la douleur. Quant aux membres de la Montagne, ils s'empressèrent, comme à l'envi, de saisir l'Assemblée de propositions analogues. M. Charles Lagrange demanda le renvoi d'une proposition identique, réclamant en même temps l'éternel milliard des émigrés. M. Ducoux proposa, pour le remboursement du milliard attribué par la loi du 27 avril 1825 aux émigrés, déportés et condamnés révolutionnairement, et pour le remboursement des 45 centimes extraordinaires perçus en vertu du décret du 26 mars 1848, qu'il fût prélevé chaque année un impôt de 25 pour 100 sur tous les revenus des bénéficiaires jusqu'au paiement intégral d'un milliard, et que le prélèvement fùt réparti sur tous les contribuables, à l'exception des bénéficiaires, après qu'il en aurait été distrait une somme de 174 millions 262,404 fr. 21 c., montant des sommes perçues par l'impôt des 45 centimes, qui serait distribué aux ayants droit. Enfin MM. Colfavru, Daniel Rey, Saint-Romme et Chavoix apportèrent chacun leur contingent à cette armée de propositions de remboursement dont la Chambre fit justice.

A cet ordre d'idées, se rattachait une proposition de MM. ́de Larochejacquelein et de la Broise, ayant pour objet de faire rentrer dans tous leurs droits, les officiers déclarés démissionnaires pour refus de serment, à la suite de la révolution de 1830. Les auteurs de la proposition et du rapport pensaient, qu'il y avait eu injustice flagrante à enlever, pour des causes uniquement politiques, à des officiers savants et honorables, une position conquise par de longs services.

Cette proposition, en apparence parfaitement équitable, soulevait néanmoins, au point de vue du droit et au point de vue du fait, des objections sérieuses que M. Charras fit valoir avec talent. La prise en considération fut repoussée à une forte majorité (13 mars).

Dans la presse quotidienne ou dans des publications spéciales, le parti légitimiste faisait preuve d'une habileté tout autrement puissante. Cette habileté pouvait même, en certaines occasions, passer pour de l'imprudence. Il y parut lorsque quelques organes de la presse religieuse admirent un document dont l'apparition souleva une polémique regrettable.

Le 15 janvier, monseigneur l'archevêque de Paris avait publié un mandement pour développer et confirmer le décret du concile de Paris relatif à l'intervention du clergé dans les affaires politiques. Ce mandement, inspiré par l'esprit le plus pur du Christianisme, engageait les prêtres à s'abstenir de toute intervention dans les discussions politiques. «L'Eglise, y disait monseigneur Sibour, respecte tous les gouvernements qu'elle trouve établis, ceux-même que les révolutions font surgir, sans leur demander compte de leur origine, ni de leur droit, pourvu qu'ils accomplissent leur devoir. »

Monseigneur l'évêque de Chartres, dans une lettre pastorale adress ée le 12 mars au clergé de son diocèse, présenta des observations sur l'instruction de monseigneur l'archevêque de Paris. Le vénérable prélat s'élevait avec une singulière verdeur de langage, contre une doctrine que consacre le droit de la force sur la force du droit. On pouvait remarquer dans ce document, des traits d'une rare vigueur lancés contre les idées d'égalité moderne, contre les envahisseurs de trónes, contre le gouvernement à bon marché de 1850. Monseigneur Clauzel de Montals pensait que « l'esprit de mensonge, par une surprise fatale, » avait mêlé aux vérités renfermées dans l'instruction pastorale « des erreurs renfermant d'effrayants dangers. »

Monseigneur l'évêque de Chartres expliquait nettement sa pensée politique et recommandait comme remède aux révolutions qui désolent notre belle contrée depuis soixante ans, les princi

pes de gouvernement, qui pendant quinze-cents ans, ont rendu la France tranquille et florissante.

Nous n'avons pas la prétention de nous porter juges entre les deux prélats. Il parut toutefois que la lettre de monseigneur l'évêque de Chartres était un acte d'opposition, et comme le manifeste d'un parti dans le clergé français: monseigneur l'archevêque de Paris déféra au concile provincial la lettre pastorale de son suffragant, par une ordonnance en date du 18 mars. Par cette sage conduite, la question devenait purement religieuse; le débat se trouvait ramené et contenu dans l'enceinte du concile.

Il y aura ceci de particulier à l'histoire de 1851, qu'à courts intervalles, à travers les questions les plus diverses, à propos de tout et de tous, surgit incessamment des bas-fonds du parti le plus audacieux, une menace nouvelle, un fait significatif destiné à entretenir une agitation incessante, des inquiétudes sans cesse renouvelées. On sent comme un système, comme un parti pris de perturbation organisée. Un jour, c'est la Voix du proscrit, organe du Comité central démocratique européen, qui adresse d'emphatiques exhortations « aux patriotes de la LombardoVénétie et de Vienne.» MM. Ledru-Rollin, Mazzini, Darasz et Ruge convient l'insurrection en armes à son quatrième anniversaire et proposent pour but à ses coups, le pape à Rome, l'Empereur à Vienne (21e numéro, mars).

En France, circulaient dans l'ombre des excitations encore plus violentes. Ainsi, chaque jour la menace prenait un accent plus net, une forme plus précise. A l'Assemblée, elle s'adressait surtout aux électeurs en passant par-dessus l'Assemblée ellemême. Dans la presse, elle affectait souvent les allures d'un mot d'ordre à double entente. De temps à autre, jaillissaient quelques éclairs sinistres, précurseurs de l'orage. On s'essayait à la révolte armée, mais surtout dans les contrées les plus méridionales où les passions religieuses et politiques ont eu de tout temps une intensité singulière.

A Mèze, le 4 mars, la gendarmerie, requise pour dissiper des attroupements séditieux, fut assaillie à coups de pierre, et un gendarme fut grièvement blessé. Des renforts venus de Montpellier mirent fin au désordre. Le maire de Mèze, suspendu depuis quelques jours, y avait pris une part active.

Dans l'arrondissement d'Alais, à Vézenobres et à Monteils, la démagogie blanche et rouge transformait en scènes de sauvagerie les démonstrations joyeuses du recrutement. Des rixes s'engagèrent le 13 et le 14 mars entre deux troupes armées, aux cris de Vive Henri V! Vive la République rouge! A Lédignan, le 16 mars, des scènes semblables ayant amené l'intervention de la force publique, des gendarmes furent blessés et on chercha à délivrer par la force les prisonniers qu'on dirigeait sur Nîmes.

Ces désordres, éclatant simultanément sur des points différents, prouvaient que l'organisation des sociétés secrètes avait survécu à tous les efforts.

Dans la Nièvre, la justice découvrait, au commencement de janvier, une société secrète rattachée à une vaste conspiration qui avait pris Lyon pour son centre d'action. La société tenait alternativement ses séances dans les villes de La Charité, SaintAmand et Cosne. Les espérances criminelles surexcitées par les dissensions parlementaires accrurent tellement l'audace des démagogues, que leurs menées se produisirent au grand jour. A Cosne, trois chefs furent arrêtés.

L'instruction qui eut lieu, révéla quelques-uns des secrets de l'affiliation. Le candidat qui demandait son admission, comparaissait devant un tribunal secret, les yeux bandés, et prêtait serment sur un poignard. Le président lui posait les questions suivantes : «Es-tu républicain socialiste? Jures-tu de frapper tous ceux que ton chef indiquera? Sacrifierais-tu ta vie pour tes frères de la société secrète ? » On comprend quelle action ces jongleries devaient exercer sur des imaginations naïves.

Mais ces affiliations et le complot de Lyon lui-même n'étaient que les manifestations d'une organisation plus générale. Dans les derniers jours de 1848, s'était formée à Londres une société dite d'agitation républicaine. Le but de cette société était de centraliser les fonds, la correspondance et la direction de la démagogie européenne, et un comité supérieur placé plus tard à sa tête fut chargé d'envoyer le mot d'ordre à toutes les sociétés secrètes du continent.

Cette espèce de conseil révolutionnaire, organisé également à Londres, au commencement de 1850 avait pris le nom de Comité

central démocratique européen. Des réfugiés politiques, MM. LedruRollin, Joseph Mazzini, Darasz et Arnold Ruge avaient la prétention d'y représenter la France, l'Italie, la Pologne et l'Allemagne. Un journal, la Voix du proscrit, s'était fait l'organe du Comité central. Dans un manifeste publié, le 27 octobre 1850, cette feuille déclarait qu'autour du Comité central s'étaient groupés des Comités nationaux correspondant avec chaque pays, et chargés « d'élaborer les mesures préparatoires propres à faciliter le développement intérieur de chaque nation. >>

Le 15 décembre 1850, une adresse du Comité central démocratique européen cherchait à rallier vers un même but les efforts des Comités italiens, polonais, allemands, autrichiens et hollandais.

Le Comité allemand siégeait à Londres. Il s'était donné la mission de rallier les diverses sectes communistes divisées depuis longtemps en deux écoles distinctes et quelquefois ennemies, savoir l'école dogmatique ou littéraire et l'école des communistes révolutionnaires. Tel était le but d'une association récemment organisée à laquelle on avait donné le nom d'Alliance des Communistes.

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Cette association, dont les membres traitaient avec un dédain peu déguisé les révolutionnaires théoriques ou pratiques de la France, avait cependant choisi ce pays comme le terrain le plus favorable à l'application. La France, au reste, n'était à leurs yeux qu'un moyen, un foyer d'où partirait l'étincelle destinée à embraser le continent. La date de mai 1852, imprudemment fixée pour un remaniement simultané des deux pouvoirs, présentait une occasion favorable à l'entreprise révolutionnaire. C'est donc en France que les premiers adeptes de l'association s'efforcèrent de recruter des adhérents, d'organiser à l'avance le combat et de · régler l'emploi de la victoire.

L'histoire de ce travail d'affiliation poursuivi dans l'ombre, peut seule expliquer certains caractères de la crise qui allait bientôt éclater. Il est donc utile, pour l'intelligence des événements futurs, d'entrer dans quelques détails sur cette association monstrueuse, entièrement étrangère par son esprit comme par son origine au pays qu'elle se préparait à bouleverser.

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