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lutions, que nous voulons aujourd'hui que les droits de la garde nationale soient plus strictement respectés.

Quoiqu'il en soit, la loi provisoire fut votée par 418 voix contre 259 (15 mars); l'obstacle était tourné sinon franchi. Mais cette loi transitoire si simple qu'elle parût au premier abord, outre les objections secondaires, tenant à l'état de vive hostilité des partis, aux motifs habituels de leurs récriminations, soulevait une question de principe d'un ordre supérieur. Il s'agissait de savoir si la souveraineté législative pouvait étendre, même à titre transitoire, la durée des pouvoirs conférés par l'élection. Cette doctrine, disait-on, ne saurait être aisément soutenue, et si on l'admettait, la conséquence rigoureuse serait de donner le droit à l'Assemblée de prolonger par une loi l'existence des corps électifs, tels que les conseils municipaux, les conseils généraux et même aussi l'autorité présidentielle et la sienne propre. C'était là le véritable point du débat; mais ce point fut plutôt indiqué que développé. Le système sur lequel on appuya surtout pour défendre la loi, se fondait sur les termes de l'art. 113 de la Constitution, qui porte que toutes les autorités constituées demeurent en exercice jusqu'à la promulgation des lois organiques qui le concernent. Cette disposition dont l'objet était, on l'a vu, d'empêcher toute interruption, toute défaillance dans l'administration et les différents services publics, avait paru à la commission justifier la prolongation des pouvoirs des officiers de la garde nationale.

Quand on eût paré aux difficultés du moment, on put s'occuper, sans préoccupations extérieures, de la loi organique ellemême.

Le rapport de M. de Riancey (5 avril), tout en admettant en principe que tout Français, sauf les exceptions légales, doit faire partie de la garde nationale, pensait que tous les citoyens ne peuvent pas être appelés au service ordinaire ou habituel. La commission avait déduit de ce principe, la nécessité d'une division de la garde nationale en deux grandes fractions, le service ordinaire et la réserve. Aussi s'était-elle occupée particulièrement de la formation, des règlements et de la discipline de la garde nationale en service ordinaire. Elle avait augmenté le nom

bre des membres qui devraient composer les conseils de recensement et avait élargi leurs attributions. Ces conseils auraient le droit de l'inscription, de la répartition et le jugement des dispenses.

La commission avait fixé la condition d'âge à vingt et un ans, et limité à une année la condition du domicile, Elle n'avait voulu admettre aucune similitude entre les droits électoraux des citoyens et leur devoir à faire partie de la force publique du pays. Une exception, non admise par le Conseil d'État, était faite en faveur des membres et des novices des associations religieuses vouées à l'enseignement.

L'élection serait directe pour les grades inférieurs ; elle se ferait par compagnie. Pour les grades supérieurs, l'élection aurait lieu à double degré. Les élections seraient faites pour trois ans ; mais pour qu'elles ne fussent pas le produit de la surprise ou de l'abstention systématique, la commission avait prescrit que le tiers au moins des gardes nationaux inscrits devrait prendre part au scrutin. Deux épreuves, à huit jours d'intervalle, seraient renouvelées. Si ce chiffre n'était pas atteint, le gouvernement aurait, sous sa responsabilité, le droit de suspension à l'égard des officiers qu'il ne croirait pouvoir pas laisser sans danger à la tête de la garue nationale. Toutefois cette suspension ne pourrait être prononcée que par un arrêté motivé du préfet, en conseil de préfecture, sur l'avis du maire. Sa durée pourrait être de deux mois; pour un plus long délai, il faudrait un décret du Président de la République.

La commission, par des dispositions spéciales, laissait un délai de deux années au gouvernement pour la réorganisation de toutes les gardes nationales, même de celles qui étaient aujourd'hui à l'état de dissolution; elle prescrivait que dans le même délai il serait procédé à l'inspection, et, s'il y avait lieu, au retrait provisoire des armes là où le gouvernement le jugerait nécessaire, afin de pourvoir à une nouvelle répartition de l'arme

ment.

Telles étaient les principales dispositions de la Joi nouvelle. On le voit, elle ne proposait aucune innovation bien importante: elle se bornait à relever, à corriger, à renforcer la législation an

térieure, c'est-à-dire la loi générale de 1831 sur la garde nationale, et la loi spéciale de 1857 sur la garde nationale de Paris, en y ajoutant peut-être quelques restrictions suffisamment justifiées par de tristes expériences.

Le gouvernement, le conseil d'État et la commission avaient cherché d'un commun accord à soumettre la garde nationale aux conditions et aux garanties morales indispensables pour faire de celte milice ce que l'on a justement appelé dans d'autres temps. la grande armée de l'ordre public. Ils avaient vu dans le service de la garde nationale ce que l'on doit y voir en effet, c'est-à-dire un devoir qu'il s'agit de rendre le moins onéreux possible aux citoyens, en même temps que le plus utile au maintien de la paix publique, et non un instrument pour l'anarchie, non ce droit d'invention nouvelle que les orateurs de la montagne vinrent revendiquer, la menace à la bouche, et que M. Fresneau appela spirituellement le droit au fusil. Avant tout, il fallait éviter le malheur qui nous avait condamnés à voir dans des jours funestes la garde nationale aux deux côtés opposés des barricades. Tel était le but des restrictions proposées dans le projet au principe qui veut que le service de la garde nationale soit une dette cominune à tous les citoyens. Ainsi, l'article 102 de la Constitution porte que tout Français, sauf les exceptions fixées par la loi, doit le service militaire et celui de la garde nationale. Cette disposition devait-elle être entendue d'une manière absolue? Devait-elle être appliquée de telle sorte que la nation tout entière serait incessamment sous les armes, et que tous les citoyens seraient occupés en tout temps, comme on le dit, à se garder les uns les autres ?

Toutes les modifications que la commission avait apportées au projet primitif avaient été consenties par le gouvernement.

La première délibération sur le projet s'ouvrit le 8 avril. Trois orateurs de la Montagne, M. Boysset, M. Madier de Montjau et M. Colfavru, attaquèrent le projet avec violence. Trois orateurs de la majorité, M. Fresneau, M. de Riancey, rapporteur, et M. Lacrosse s'en portèrent les défenseurs énergiques. L'Assemblée décida, par 442 voix contre 206, qu'elle passerait à la seconde lecture.

En même temps se préparait, dans les régions militantes de la majorité, un autre engagement dont la loi du 31 mai fournissait encore le champ de bataille. M. Baze fut chargé de faire aboutir une proposition de guerre restée dans les cartons. Le temps était venu, selon l'honorable questeur, de se prononcer sur un point fort grave de doctrine constitutionnelle : sur la législation qui devrait régir l'élection présidentielle. Pour ne laisser aucun prétexte au mécompte ou à la surprise, un membre de la majorité, M. Desmars, voulait que l'Assemblée déclarât que la même loi électorale serait applicable à l'élection du Président de la République et à celle des représentants du peuple.

La proposition de M. Desmars fut, sur la demande de M. Baze, mise à l'ordre du jour du 28 mars.

Mais ce n'était pas là le seul point à éclaircir. M. Dabeaux proposait d'appliquer la loi du 31 mai aux élections municipales ; M. Victor Lefranc demandait une enquête sur les résultats de cette même loi: enfin, M. Arnaud (de l'Ariége) en demandait l'abrogation formelle.

Pourquoi donc, disaient les auteurs et patrons de la loi du 31 mai, ne pas en finir tout d'un coup avec ces inquiétudes, avec ces attaques de toute espèce? Pourquoi ne pas faire résoudre la question du suffrage universel ou du suffrage réglé pour les élections municipales comme pour la garde nationale, comme pour l'élection du Président de la République?

C'est que, à tort ou à raison, de nouveaux doutes s'étaient élevés dans les rangs des conservateurs monarchiques sur les intentions secrètes du gouvernement.

La commission de l'administration intérieure décida, à une assez forte majorité, que la loi organique municipale, au lieu de s'en référer à la loi des élections politiques du 31 mai 1830, déterminerait elle-même les conditions des élections communales.

Dans la soirée du même jour (21 mars), la réunion des Pyramides tint séance sous le coup de l'émotion produite par cette résolution. Dans la journée, des bruits s'étaient répandus sur la formation d'un nouveau ministère: on disait la loi du 31 mai menacée. M. Godelle proposa de décider que la réunion n'ac

corderait son concours qu'à un ministère dont la ferme résolution serait de maintenir, sans aucun changement, la loi du 31 mai 1850, parce que la moindre modification apportée à cette loi atténuerait l'autorité morale dont elle devait rester entourée et ouvrirait la voie à d'autres changements sous l'effet desquels elle finirait bientôt par s'écrouler. MM. Heurtier, Chasseloup-Laubat et Denjoy, qui faisaient partie de la commission d'administration intérieure, se rencontrèrent dans ce conseil donné à la réunion: que tous ceux d'entre vous qui regardent la loi du 31 mai comme une condition de salut pour le pays, se tiennent sur leurs gardes et s'apprêtent à la défendre; car, évidemment, la majorité de la commission semble disposée à l'affaiblir et à préparer sa ruine.

MM. Léon Faucher, Baroche, Lestiboudois, Janvier, Lebeuf et Drouyn de Lhuys prirent ensuite la parole, et firent ressortir la nécessité de ne rien décider qui pût être regardé comme de nature à porter, même indirectement, la moindre entrave à la liberté du chef du pouvoir exécutif dans le choix de ses ministres; mais il fallait, ajoutèrent-ils, « déclarer hautement que la réunion était plus que jamais convaincue, en considérant l'état actuel du pays et les dispositions des partis dans l'Assemblée, de la nécessité de maintenir intacte la loi du 31 mai, considérée comme elle doit l'être et comme elle le fut par ceux qui l'ont votée, c'està-dire comme une loi destinée à régler toutes les élections qui doivent avoir lieu en vertu du suffrage universel, et qui restera comme le véritable titre de l'Assemblée législative à la reconnaissance du pays. » La réunion s'associa tout entière à l'expression de cette opinion, et c'est à l'unanimité qu'elle prit la résolution sui

vante :

« La réunion déclare qu'elle est résolue à maintenir, dans son intégralité, la loi du 31 mai 1850 comme loi organique des élections politiques, départementales et municipales. »

Deux jours après, la réunion des Pyramides chargeait M. Léon Faucher de demander la mise à l'ordre du jour très-prochaine des différentes propositions qui avaient été présentées concernant la loi électorale du 31 mai. Cette détermination avait pour but de faire vider le plus tôt possible les questions qui avaient été soulevées. On voulait que l'Assemblée, en déjouant les attaques

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