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qu'il ne devait conserver que jusqu'à ce mo

ment.

Après tout ce qui a été démontré ci-dessus, il est aussi clair que la lumière, que la forme du gouvernement d'un peuple doit changer et devenir de plus en plus libérale dans la proportion des progrès des lumières. Que si dans l'enfance d'une nation, un roi peut prévenir et satisfaire les besoins de ses sujets, lesquels ne consistant alors que dans les objets de première nécessité, il est évident que, suivant les lois de la nature, dont aucune force humaine ne saurait arrêter le cours, il est évident, dis-je, que ce peuple, avec l'âge, se civilisera, fera des progrès plus ou moins grands dans les arts et dans les sciences; son industrie et son commerce, qui acquerront chaque jour plus d'étendue et d'importance, établi ront entre lui et ses voisins des rapports et des liaisons dont il n'avait pas besoin jadis, et par suite desquels il contractera une multitude de besoins et de défauts qui rendront immenses les détails de son gouvernement, qui était trèssimple quelques siècles auparavant, et qui sera devenu, par l'effet de la civilisation, compliqué au point que la tête la mieux organisée ne saurait en saisir tous les détails, ni en diriger l'ensemble.

Il est une vérité éternelle et incontestable, c'est qu'à chaque pas que fait une nation vers les lumières de la civilisation, son souverain descend un degré de son trône, et que le moment étant venu où les lumières du temps ont élevé le peuple (1) en regard de son trône, plaçant la loi entre le souverain et ses sujets, elle doit régner également et sur lui et sur eux.

(1) Je n'entends parler ici que des députés qui représentent le peuple.

CHAPITRE III.

Ce qui arriverait infailliblement, si un père ou un roi voulait conserver sur ses sujets les droits qu'il a sur eux au-delà du terme fixé par la nature.

APRÈS avoir décrit la loi de la nature, sa marche et ses effets sur un individu, une famille et une nation, revenons sur nos pas, et partons du même principe, pour voir quels seraient les effets qui résulteraient, si, ne voulant pas s'y conformer, un père ou un roi voulaient conserver sur les peuples un pouvoir qui serait réellement usurpé, puisque la nature en ordonne autrement.

J'ai dit que lorsque le père était viril et que ses enfans étaient en bas âge, il les gouvernait despotiquement; mais si, lorsqu'ils ont quinze ans, il veut les gouverner comme lorsqu'ils n'en avaient que six, qu'en résultera-t-il? qu'il sera désobéi au moins dans les quatre cinquièmes des ordres qu'il leur donnera, et que l'indifférence et même le dégoût venant s'en

emparer, le peu qu'ils feront sera négligé ou mal fait, et au lieu de considérer l'auteur de leurs jours comme un père et un bienfaiteur, ils ne verront au contraire en lui qu'un oppresseur et un tyran, de la dépendance duquel ils ne chercheront que les moyens de se soustraire. A chaque instant, ils occasionneront des troubles et des scènes, à la suite desquels ils finiront par s'émigrer, pour aller jouir, sous un ciel étranger, où ils porteront leurs talens et leur mérite, de la liberté et du repos qu'ils n'ont pu trouver dans la maison paternelle..... leur patrie. L'émigration est un des maux politiques les plus funestes à la prospérité d'un état, qui, lorsqu'il en est attaqué, au lieu d'aller toujours croissant, suivant les lois de la nature, ne fait au contraire que languir et décliner, au point qu'il trouve enfin sa destruction au terme marqué pour sa plus grande splendeur et sa félicité.

Plusieurs philosophes ont senti cette vérité, qui est aussi ancienne que le monde. Mais étaient-ils bien pénétrés des effets et des causes, lorsqu'ils discutaient sur ces grandes révolutions occasionnées et préparées depuis des siècles par l'entêtement des souverains à ne pas vouloir se conformer à l'esprit et aux

lumières des tems où ils vivaient. Si au lieu de persécuter la philosophie, et de la proscrire de leurs états, ils l'avaient consultée, s'ils l'avaient pratiquée, elle leur eût dit sans détour et dans leur intêret comme dans celui des peuples: Le tems est venu où il faut vous dépouiller volontairement d'une partie de vos droits; si vous tardez davantage, vous occasionnerez des révolutions, qui vous les enlèveront tous. (1)

Les révolutions sont toujours l'ouvrage des gouvernans, et jamais celui des gouvernés, qui ne songeraient jamais à se soulever contre l'autorité des gouvernemens si elle n'était pas

(1) L'on me fera observer peut-être que le peuple rocela main fut république à sa naissance, et que prouve sinon la fausseté, du moins l'inexactitude de mon système; cela serait en effet, si, pour être république, dans l'acception de ce mot, il suffisait à une nation de se qualifier telle. Les Romains n'étaient rien moins que libres, lorsqu'ils faisaient tous partie d'une armée commandée par un chef qui les gouvernait militairement. Personne n'ignore qu'un gouvnerement militaire est anti-libéral de sa nature. D'ailleurs en exposant ce système, je ne prétends pas soutenir qu'il soit sans quelque exception; mais s'il en existe, je maintiens qu'elles sont en trop petit nombre pour détruire la règle générale.

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