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en opposition avec leurs lumières et le degré de liberté auquel la nature leur a dit qu'ils avaient droit de prétendre.

Au sein même de l'abondance, un peuple peut être très-malheureux; car, à un certain degré de civilisation, les hommes ne vivent pas seulement de ce qu'ils mangent.

Ces grandes révolutions, le fléau et l'effroi des nations, qui détruisent en peu d'années ce que la nature a mis plusieurs siècles à former, sont produites par deux causes principales, qui sont le despotisme des souverains, et la mauvaise manière dont les peuples sont gou

vernés.

Si la nature a dit à un individu, dans sa force morale et physique, tu es libre, nul être au monde n'a le droit de diriger tes actions, elle n'a donc pu avoir dit à un peuple qu'il serait éternellement sous une domination quelconque, puisque ce même peuple n'est composé que de citoyens libres, nés pour l'être, et à qui la nature avait dit qu'ils l'étaient.

Un peuple d'âge à être libre, et gouverné despotiquement, est exactement dans le cas d'un individu viril, dont on voudrait arbitrairement, et contre ses goûts et ses inclinations, diriger jusqu'à ses moindres actions. Il est cer

lain qu'il ne courberait sa tête sous un joug aussi insupportable, que jusqu'au premier moment favorable qui se présenterait de le briser et de s'en débarrasser pour toujours. La nature, par l'entremise de sa raison, lui dira continuellement que l'état de dépendance et de servitude dans lequel il est réduit, est contraire à sa dignité d'homme, et que né pour vivre libre, la mort est mille fois préférable à une existence qui serait couverte d'opprobre et d'ignominie par un aussi honteux esclavage.

C'est improprement que l'on donne le nom de révolution à un changement de maître ou de tyran qui prend la place de son prédécesseur ou par la ruse ou la trahison, ou par la force des baïonnettes, tandis que les peuples, également opprimés en changeant d'oppresseur, en applaudissant à la chûte du tyran détrôné, attendent avec impatience le moment heureux où ils pourront se débarraser de l'autre.

Les vraies révolutions, celles enfin qui sont plus longues à se calmer que les flots de l'Océan après une longue suite d'orages, ce sont celles où l'on voit tout à coup les forces morales d'un peuple qui étaient retenues par un obstacle quelconque dont elles viennent d'être

débarrassées, faire un pas de géant vers la lumière; c'est que la nature ne perd jamais ses droits, qu'on ne peut usurper que pour un tems. Le rempart formé par le préjugé, la tyrannie et la superstition qui les empêchaient de s'étendre, étant une fois renversé, au lieu de s'arrêter au point où elles seraient parvenues naturellement, vont bien au de-là, et après plusieurs oscillations, se fixent enfin irrévo◄ cablement à la véritable place que la nature leur avait assignée.

Ne vous abusez pas plus long-temps, vous qui prétendez que la philosophie est l'auteur de ces grandes révolutions; apprenez donc que c'est la nature par l'organe des philosophes, et non les philosophes eux-mêmes qui disent à un peuple d'âge à être libre que la loi seule doit régner sur lui, et que c'est la vraie sagesse,

et non l'arbitraire et l'ambition, diriger ses actions.

qui doit

O vous despotes, êtres pervers, causes principales des révolutions et des guerres qui ravagent la terre depuis tant de siècles, c'est en vain que vous vous opposez aux progrès des lumières, et que vous vous coalisez pour tarir la source de ce fleuve bienfaisant. C'est vainement que vous opposez à son cours éter

nel et majestueux la digue impuissante et méprisable de votre ignorance. Comme au matin d'un beau jour, au lever de l'aurore, un brouillard infect et malfaisant, engendré dans les ténèbres, dont il cherche vainement à prolonger le règne, intercepte momentanément ses premiers rayons; mais bientôt débarrassé de ce vil obstacle par les zéphirs qui précèdent sa course, n'en brille alors qu'avec plus d'éclat

CHAPITRE IV.

De la royauté en Europe, et de sa décadence visible.

Le système de la nature est de faire disparaître alternativement de toutes les contrées de la terre ce qu'elle semblait y avoir fixé pour toujours?.... Par exemple, tel pays qui fut jadis fertile et peuplé, est aujourd'hui stérile et désert, et tel autre qui semblait condamné à une stérilité éternelle, après un long repos redevient fertile, et offre le tableau ravissant d'un printems perpétuel qui fera place plus tard à une aride solitude.

Toutes les productions de la nature sont sujettes à ces lois qui gouvernent, dans le monde, tout ce qui respire et végète, et même toutes les institutions humaines que l'on peut aussi comparer à un individu sous plusieurs rapports; car il n'en est aucune qui, comme lui, sauf accident, n'ait eu une naissance ou un commencement, un accroissement quelconque,

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