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THE LIBRARY
THE UNIVERSITY
OF TEXAS

LA GUADELOUPE

RENSEIGNEMENTS

SUR

L'HISTOIRE,

LA FLORE, LA FAUNE, LA GÉOLOGIE,

LA MINERALOGIE, L'AGRICULTURE,

LE COMMERCE, L'INDUSTRIE,

LA LÉGISLATION, L'ADMINISTRATION.

LIVRE UNIQUE.

CHAPITRE UNIQUE.

Mœurs. Gouvernement. Législation. Justice. Administration. Religion depuis le commencement de la colonisation jusqu'en 1790.

L'histoire d'un peuple ne consiste pas seulement dans le récit des batailles qu'il a livrées; elle consiste, par dessus tout, dans le développement des causes qui ont formé ses mœurs, sa religion, ses lois, son administration.

Ces causes doivent être indiquées avec un soin scrupuleux et minutieux.

La fondation des colonies, résultat d'un mouvement d'expansion remarquable, a créé dans la race française un monde à part, pour lequel il a fallu édicter des lois particulières nées de mœurs nouvelles et d'un fait tranché : l'esclavage.

Nous allons essayer de faire connaître tout ce qui a rapport à ce monde nouveau, qui a assuré dans une large mesure la grandeur de l'ancienne France et donné à son commerce et à son industrie une impulsion extraordinaire.

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་.

Le côté le plus saillant du caractère français, est l'amour du merveilleux et de l'inconnu. Ce caractère est le produit du mélange de deux races qui ont imprimé sur le monde une trace profonde: les Gaulois et les Francs.

Le Gaulois, curieux, avide de nouvelles, aimant à se parer de bijoux, alliait à une franchise expansive et à une grande générosité, l'audace la plus téméraire, l'emportement le plus Violent et la colère la plus sauvage. Après avoir effrayé l'Europe et l'Asie par les expéditions les plus aventureuses, il fut subjugué par Jules César et s'impreignit puissament de la civilisation romaine.

Les habitants des pays situés entre le Rhin, le Mein, le Weser et la mer, Frisons, Sicambres, Chamaves, Bructères, Tenteclères, réunis en confédération pour enlever la Gaule aux Romains, prirent le nom de Franc, qui signifie libre.

Ils avaient la taille haute, la chevelure épaisse et longue, le corps robuste; vivaient au milieu de leurs troupeaux, couchaient sur la terre. Toujours armés, même au milieu des festins et de leurs assemblées; d'humeur changeante et querelleuse; généreusement hospitaliers; fidèles jusqu'à la mort au chef intrépide sous la bannière duquel ils se fixaient volontairement ; jaloux à l'excès de leur liberté; dédaignant les occupations paisibles, laissant aux femmes le soin de cultiver la terre, leur principale occupation était la guerre. Chez eux, pas de ville, mais des habitations éparses, des huttes, pas de maisons. « En toutes choses, dit M. Taine, dans les instincts rudes et « dans les instincts mâles, ils sont des hommes. Chacun chez soi, sur la terre et dans sa hutte, est maître de soi, debout et entier, sans que rien le courbe ou l'entame. Quand la a communauté prend quelque chose de lui, c'est qu'il l'accorde. « 11 vote armé dans toutes les grandes résolutions communes, juge dans l'assemblée, fait des alliances et des guerres privées, émigre, agit et ose. Il n'est pas moins capable d'abnégation que d'indépendance: le sacrifice est fréquent ici, l'homme y fait bon marché de son sang et de sa vie. Il sait se donner: quand il a choisi son chef, il s'oublie en lui, il lui attribue sa gloire, il se fait tuer pour lui. »

La fusion de ces deux races donna le Français qui conserva les brillantes qualités de ses ancètres et les défauts de ces qualités.

L'homme qui abandonne le sol natal pour aller se fixer sur une autre terre est ordinairement poussé par l'un ou l'autre

de ces mobiles: il veut acquérir la fortune ou se soustraire aux meurtrissures d'une organisation sociale qui blesse profondément soit ses sentiments politiques, soit ses croyances religieuses.

Tout peuple dont l'organisation sociale repose sur une aristocratie est éminemment propre à la colonisation. Aristocratie veut dire privilège. Les privilèges sont indispensables pour en soutenir l'éclat et les charges. De là une noblesse. La noblesse entraîne le droit d'aînesse. A l'aîné reviennent les honneurs et la plus grande partie du patrimoine de la famille, dont le nom doit être toujours entouré du grand prestige de la richesse. Les puînés n'ont, avec une mince part de l'héritage paternel, que la ressource des armes ou de la prêtrise.

Soldats, si la fortune leur souriait, ils pouvaient dans les hasards des batailles se créer un nom, acquérir la richesse et faire souche illustre. Prêtres, les honneurs épiscopaux les attendaient quand leurs familles étaient puissantes, ou de grasses prébendes adoucissaient pour eux les rigueurs du sort. Mais cet horizon était horné et les puînés végétaient.

La découverte de l'Amérique vint donner un aliment aux appétits des puinés ou permettre à ceux qui étaient persécutés pour leur foi de s'établir, en toute liberté, sur des terres où ils pouvaient prier à leur manière.

Des cadets de famille commencèrent le mouvement d'expansion de la France dans l'univers et principalement dans l'Amérique, où ils étaient attirés par la riche proie des galions espagnols.

Tout était disposé pour étendre cette expansion, tout portait les regards vers ce Nouveau Monde qui ne pouvait rester la propriété unique du peuple espagnol.

Les boulversements qui avaient continuellement agité la France depuis la mort lamentable du plus grand et du meilleur de nos rois, le despotisme d'un ministre qui absorbait dans sa soutane rouge tout le sang généreux de la France et l'écrasait pour mieux la rendre grande et une, la défense de se battre en duel, les folies de la jeunesse, tout incitait la noblesse, éprise d'expéditions aventureuses, saisie de l'amour du merveilleux et de l'inconnu, à fuir la terre natale.

Ces cadets de famille, imbus de l'esprit militaire, habitués dès l'enfance au fracas et au maniement des armes, remuants, intrépides, pauvres, persécutés dans leur foi, meurtris par l'ordre nouveau qu'établissait Richelieu, équipèrent des vaisseaux et coururent sus aux galions espagnols, surpris au débouquement des Antilles.

Des fortunes rapides et brillantes, acquises dans ces expé

ditions aventureuses, firent bouillir tous les courages et imprimèrent un plus vif mouvement à cette fiévreuse activité quí emportait tant d'esprits vers des destinées meilleures.

Nous avons raconté comment une victoire, chèrement achetée, firent de ces coureurs d'aventures de paisibles habitants de Saint-Christophe.

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Engagés. Pour opérer de vastes défrichements, construire des maisons, élever les bâtiments d'exploitation, il fallait des aides ouvriers et cultivateurs. Ces aides, on les demande à la Métropole, bien que, dès le commencement de la colonisation, ainsi que nous le démontrerons bientôt, il y ait eu des esclaves noirs.

Les ouvriers et les cultivateurs, raccolés en France, furent désignés sous le nom d'Engagés.

Cette dénomination est venue de ce qu'ils contractaient, soit devant notaire, soit verbalement, un engagement de travail de trois ans, d'où leur est venue aux îles l'épithète de Trente-six mois. Le salaire de ce travail était généralement, à moins de convention contraire, de trois cents livres de tabac, plus la nourriture, le vêtement et le logement. Les frais du passage étaient à la charge de l'engagiste.

Malgré les hécatombes des premiers engagés moissonnés, d'abord par les dangers et les privations de la traversée, et ensuite par les fatigues éprouvées par le changement de climat et des travaux excessifs, on trouvait toujours à combler les vides. Les engagés, attirés aux îles par le récit de fortunes fantastiques, se présentaient toujours, sans faire attention au nombre des morts et des misérables, parce qu'ils savaient qu'au bout de trois années d'un dur esclavage, ils devenaient propriétaires de terres. Cette perspective, si délicieuse pour des paysans attachés à la glèbe, ruinés par les corvées, rivés à la mainmorte, faisait passer sur les douleurs d'un esclavage temporaire. Le père du Tertre, en parlant des engagements, s'exprime ainsi :

C'est une loy inviolable et fondamentale dans les Isles, << que ceux qui y passent au dépens d'un autre, soit hommes, soit femmes, soit garçons, soit filles, sont obligez de servir < trois ans, à commencer du jour qu'ils mettent pied à terre dans l'Isle, ceux qui ont payé leur passage. Il n'est pas besoin d'en passer de contract, et on n'est pas moins engagé << sans écriture, qu'avec tous les contracts des Notaires de < France.

Celuy qui en passe un autre, n'a pas seulement le droit de s'en servir trois ans, mais le peut vendre à qui bon luy semble, et celuy-cy à un autre, si bien qu'on a veu de jeunes << garçons François, et souvent de bien meilleure maison que

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