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Art. 2. Le traité de paix conclu à Andrinople le 2 septembre 1829, ainsi que tous les autres traités qui y sont compris, de même aussi la convention signée à Saint-Pétersbourg le 14 avril 1830, et l'arrangement conclu à Constantinople les 9, 21 juillet 1832, relatif à la Grèce, sont confirmés dans toute leur teneur par le présent traité d'alliance défensive, comme si lesdites transactions y avaient été insérées mot pour mot.

Art. 3. En conséquence du principe de conservation et de défense mutuelle, qui sert de base au présent traité d'allance, et par suite du plus sincère désir d'assurer la stabilité et l'entière indépendance de la Sublime Porte, Sa Majesté l'empereur de toutes les Russies, dans le cas où les circonstances qui pourraient déterminer de nouveau la Sublime Porte à réclamer l'assistance navale et militaire de la Russie viendraient à se présenter, quoique ce cas ne soit nullement à prévoir, promet de fournir, par mer et par terre, autant de troupes et de forces que les deux hautes parties contractantes le jugeraient nécessaire. Ce cas échéant, il est convenu que les forces de terre et de mer dont la Sublime Porte réclamerait le secours seront tenues à sa disposition.

Art. 4. Selon ce qui a été énoncé plus haut, dans le cas où l'une des deux puissances aura réclamé l'assistance de l'autre, les frais seuls d'approvisionnement pour les forces de terre et de mer qui seraient fournies tomberont à la charge de la puissance qui aura demandé le secours.

Art. 5. Quoique les deux hautes parties contractantes aient l'intention sincère de maintenir cet engagement jusqu'au terme le plus reculé, comme il se pourrait que, dans la suite, les circonstances exigeassent qu'il fut apporté quelques changements à ce traité, on est convenu d'en fixer la durée à huit ans, à dater du jour de l'échange des ratifications impériales. Les deux parties, avant l'expiration de ce terme, se concerteront, selon l'état où seront les choses à cette époque,

sur le renouvellement du dit traité.

Art. 6. Le présent traité d'alliance défensive sera ratifié par les deux hautes parties contractantes, et les ratifications en seront échangées à Constantinople dans le terme de deux mois, ou plus tôt, si faire se peut.

L'article séparé, qui n'a été communiqué que trois ans plus tard, sur la demande de la chambre des communes d'Angleterre, est de la teneur suivante :

En vertu d'une des clauses de l'article 1er du traité patent d'alliance défensive conclu entre la cour impériale de Russie et la Sublime Porte, les deux hautes parties contractantes sont tenues de se prêter mutuellement des secours matériels et l'assistance la plus efficace pour la sûreté de leurs États respectifs. Néanmoins, comme Sa Majesté l'empereur de Russie, voulant épargner à la Sublime Porte ottomane la charge et les embarras qui résulteraient pour elle de la prestation d'un secours matériel, ne demandera pas ce secours si les circonstances mettaient la Sublime Porte dans l'obligation de le fournir; la Sublime Porte ottomane, à la place du secours qu'elle doit prêter au besoin, d'après le principe de réciprocité du traité patent, devra borner son action en faveur de la cour impériale de Russie à fermer le détroit des Dardanelles, c'est-à-dire, à ne permettre à aucun bâtiment de guerre étranger d'y entrer sous un prétexte quelconque.

Le présent article, séparé et secret, aura la même force et valeur que s'il était inséré mot à mot dans le traité d'alliance de ce jour.

Fait à Constantinople le 26 juin (8) juillet) 1833. Suivent les signatures.

Toute la portée d'une convention diplomatique, qui met les destinées de la Turquie entre les mains d'un tuteur intéressé à la priver de tout moyen efficace de résistance, se présente ici d'une manière si nette et si frappante, que nous ne nous attacherons pas à démontrer ce qui réunit tous les caractères de l'évidence, mais nous croyons utile d'ajouter, à propos du traité

d'Unkiar Skelessi, quelques considérations qui touchent aux intérêts les plus graves de l'Europe.

Les deux puissances, dont la marine et le commerce ont été depuis longtemps prédominants dans la Méditerranée, sont en premier lieu l'Angleterre, et ensuite la France. La rivalité de ces deux nations a jusqu'ici merveilleusement servi la politique de la Russie. Le rôle des agents diplomatiques de cet empire est d'équilibrer, pour ainsi dire, ces deux influences rivales, de manière à empêcher que l'une ne devienne trop prépondérante, et surtout de prévenir un accord que la divergence des intérêts rend si difficile. D'un autre côté, toute tentative de la France ou de l'Angleterre sur l'Égypte ou la Perse affectant nécessairement l'état de la Turquie, la Russie peut aussitôt intervenir dans ces questions, comme tutrice de la Porte ottomane, et rattacher ainsi à ses propres convenances tous les actes, tous les rapports possibles de l'Orient. Si l'Egypte voulait consommer l'œuvre de son émancipation sous le protectorat de l'Angleterre, le sultan Mahmoud réclamerait aussitôt l'appui du tsar; et, si l'Angleterre passait outre, une guerre générale s'ensuivrait. Il n'y a pas jusqu'à la question d'Alger qui ne tienne au traité du 8 juillet, puisque les régences barbaresques étaient, nominalement du moins, sous la suzeraineté du Grand Seigneur. A chaque instant, et à propos des questions en apparence les plus secondaires, la Russie peut mettre aux prises les nations de la vieille Europe, dont quelques-unes sont fatalement entraînées dans sa sphère d'action, tandis que les autres, comme étonnées de leur alliance, n'osent agir de concert, et semblent se consoler des maux présents et à venir par la certitude qu'elles ne seront pas seules atteintes. Bien des gens, en envisageant la question d'Orient, n'y trouvent guère que l'abaissement prochain de l'Angleterre et la ruine de son commerce dans les Indes orientales. Ce serait, nous en convenons, l'effet le plus immédiat des con

quêtes des Russes en Asie. Mais une fois l'Angleterre effacée, où sera la digue qui arrêtera le torrent? Quand tous les marchés de la Baltique et de la Méditerranée, quand ceux du grand Océan alimenteront le trésor des tsars, le dernier obstacle qui les arrête, l'état précaire de leurs finances aura disparu; et l'or, ce moyen à la fois fécond et corrupteur des civilisations avancées, achèvera de leur soumettre ce que leurs armes n'auront pas conquis. Une alliance ferme et sans arrièrepensée entre la France et l'Angleterre peut seule conjurer ce danger; l'intérêt des peuples, comme celui des dynasties, la conseille; toutes les autres considérations ne sont qu'accessoires, car c'est folie de vouloir fonder le bienêtre matériel des masses et le triomphe de l'industrie sur une base que le moindre choc peut renverser. A ceux qui trouveraient que nous tirons des faits existants des conséquences forcées, nous demanderons pourquoi l'Angleterre, qui ne reconnaît point le blocus des côtes de la Circassie, a laissé capturer le Vixen; pourquoi elle trahit, par des demi-mesures, les inquiétudes que lui cause son commerce menacé sur le golfe Persique; pourquoi les Russes, devenus auxiliaires des Perses, poussent ces derniers comme avantgarde dans les solitudes qui les séparent de l'Inde. Trois cents lieues de pays ne sont pas un obstacle infranchissable pour des nomades qui peuvent aller partout où leurs chevaux trouveront de l'eau et des pâturages, et qui n'exigent pour leur propre subsistance que ce que la nature ne refuse nulle part. Les Turcomans et les Boukhares peuvent aisément sympathiser avec les Tatars, les Bachkires et les nombreuses tribus mongoles. Montrez à la foule l'espoir du pillage, aux chefs la perspective de quelques récompenses et de la protection impériale, et, en peu d'années, le désert aura abaissé ses barrières devant le courage, la persévérance et l'habileté de ceux qui marchent et marchent sans cesse pour accomplir les destinées de la Russie.

La question grecque a vivement préoccupé l'Europe, qui était loin de se douter combien le triomphe apparent de la liberté servait les intérêts les plus vitaux du despotisme. Il était naturel que le principe d'une guerre d'indépendance parût étranger au but de la Russie; mais l'erreur aurait dû cesser dès que l'on vit le cabinet de Pétersbourg se déclarer protecteur de la révolte des Hellènes, et il ne fallait pas une grande sagacité pour découvrir que la Russie allait directement à son but constant, l'asservissement de la Turquie, en enchaînant à sa politique les deux pays dont l'alliance intelligente pouvait paralyser tous ses efforts. Notre sujet ne comporte pas un récit détaillé des événements qui ont amené l'érection de la Grèce en royaume; mais il n'est pas sans importance de rapporter en peu de mots quelle a été la part d'influence de la Russie sur un événement qui a préparé les faits tels qu'on les a vus s'accomplir en Orient dans un but qui ne saurait plus être un mystère.

C'est après la peste de 1756, qui désola la Grèce, et lorsqu'elle avait à peine réparé ce désastre, qu'eut lieu, en 1770, l'expédition des Russes en Morée. En se conformant au plan de Munich, Catherine II voulait opérer une scission religieuse entre les Turcs et les provinces chrétiennes qui leur étaient soumises. Cette expédition attira de grandes calamités sur les Grecs, que la Porte regarda toujours depuis comme disposés à devenir les auxiliaires des Russes. Des hordes d'Albanais envahirent la péninsule, occupèrent les districts les plus fertiles; et bientôt furent abolis les droits stipulés du peuple grec, ses institutions nationales, les immunités de son Église, et les caractères principaux de son administration intérieure.

Cependant la Russie, mêlée à toutes les grandes luttes de l'Europe, depuis la révolution de 89 jusqu'à la chute de Napoléon, n'avait pas le loisir de poursuivre ses projets sur la Turquie. Pendant cet intervalle, la Grèce jouit de quelque repos; et les Turcs n'ayant

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rien à craindre de ce côté, ils la laissèrent organiser de nouveau les moyens de se gouverner et d'agir plus tard avec une certaine indépendance.

« En 1820, une organisation municipale existait sur tous les points de la Grèce. Un conseil municipal central, représentant les communes de toute la Grèce, siégeait, comme assesseur, auprès de l'autorité déléguée par le sultan. Son intervention était légalement indispensable dans l'administration de la province; et non-seulement ce conà seil grec avait des moyens d'appel Constantinople, mais ses délégués dans cette capitale y représentaient les intérêts de la province.» (Portfolio, nos 22 et 23.) Nous sommes loin d'avancer que le gouvernement turc, avec les exactions de ses pachas, et sa haine brutale pour tout ce qui était chrétien, pût contenter les Grecs; nous voulons seulement indiquer que l'Europe, en prenant la Grèce sous sa tutelle, devait être plus soigneuse de lui assurer un meilleur avenir. Nous savons que, sous le règne d'Alexandre, en 1814, une société (Hétærie) s'était organisée en Grèce dans un but d'indépendance. Malgré la répugnance que l'empereur témoigna depuis le congrès de Vienne pour tous les mouvements qui avaient un caractère insurrectionnel, la Russie ne laissa pas échapper l'occasion de diriger les vœux des Hétæristes dans un sens favorable à ses intérêts. L'écrit publié en 1819, par le comte Capo-d'Istria, indique suffisamment cette tendance. Dès l'année suivante, l'association s'accrut sensiblement, et les primats des îles grecques entrèrent en communauté de principes avec les Hétæristes. En 1821, la tentative du prince Ipsilanti fut hautement désavouée par Alexandre, soit que, tout en approuvant le but de l'association, il jugeât que cette levée de boucliers ne pouvait avoir l'appui du chef de la sainte alliance, soit que l'exaltation d'Ipsilanti eût devancé le temps opportun. Quoi qu'il en soit, les preuves de la coopération individuelle d'un grand nombre de Russes ouvrirent les yeux du Sultan sur les

dangers qui le menaçaient. Il prit aussitôt des mesures de répression dont la violence irrita les Grecs et rendit tout rapprochement impossible. Il importait à la Russie que cette rupture fût profonde: si la Grèce parvenait à conquérir son indépendance, la Turquie était affaiblie et perdait une position maritime de la plus haute importance dans la Méditerranée; si la lutte se prolongeait indécise, les Turcs s'épuisaient en efforts stériles, et les voies diplomatiques s'ouvraient à l'influence russe à travers les prétextes les plus spécieux. C'est dans ce but que le cabinet de Pétersbourg dénonça à l'Europe cette insurrection dont il avait fécondé les germes. I proposa, dans un mémoire communiqué à toutes les cours européennes, l'érection en Grèce de trois principautés qui seraient gou vernées par des princes grecs, sous une certaine dépendance de la Porte, et avec des institutions analogues à celles de la Moldavie et de la Valachie, que garantiraient les cours alliées ou celles d'entre elles qui voudraient contracter cet engagement. Ce rapproche ment était trop significatif pour que l'Angleterre ne s'opposât pas à une telle mesure, que la Porte déclina d'ailleurs formellement.

La loi organique d'Épidaure, rédigée en 1821 par Maurocordato, sous l'influence anglaise, établissait l'indépendance de la Grèce sur les bases les plus larges de la liberté civile et religieuse. Ce libéralisme de vues de la part du cabinet de Londres était tout simplement une affaire de position, et le résultat de la crainte qu'inspirait la Russie, plutôt que l'expression d'un zèle sympathique en faveur des Grecs, comme l'a prouvé depuis la conduite des agents anglais. Cette loi (Port-folio) tendait à attirer en Grèce la population des pays voisins, à y offrir un refuge à toutes les victimes des persécutions politiques; et, quand l'ordre serait rétabli, à assurer le bonheur de tous les habitants de la Grèce par un système de tolérance universelle, d'égalité devant la loi, d'indépendance de la magistrature, et d'une forme de

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La Russie ne pouvait voir d'un œil indifférent les maîtres de Malte et des îles Ioniennes afficher des prétentions sur une province essentiellement maritime. Elle avait à lutter en Grèce contre le parti anglais et le parti français. Ce dernier ne lui inspirait que de faibles craintes, le gouvernement de la restauration appuyant d'ordinaire la politique générale de l'alliance; quant à l'Autriche, elle ne pouvait que s'effacer entièrement dans cette question, après avoir offert à la Turquie de l'aider à étouffer l'insurrection. Il y avait donc en Grèce une lutte diplomatique qui dominait la lutte de fait, et dont les efforts tendaient à désorganiser les éléments d'ordre et de force qu'une intervention franche et désintéressée aurait pu féconder sur cette terre classique de patriotisme, de génie et de civilisation. La sympathie des peuples de l'Europe chrétienne, de ceux surtout qui, dans la cause des Hellènes, appuyaient un principe opposé aux principes du congrès de Vérone, avait accoutumé les Grecs à l'idée que la solution de leurs débats ne viendrait que du dehors; et, comme leur résistance s'appuyait principalement sur leur marine, il était naturel qu'ils tournassent leurs vœux du côté de l'Angleterre. En 1825, les primats de la Morée et des îles, le prince de Maïna et les membres les plus distingués du clergé se réunirent pour placer l'existence politique de la Grèce sous la protection exclusive de la Grande-Bretagne, et ils envoyèrent, à cet effet, une députation en Angleterre, avec une déclaration appelée Acte de protection, et la demande du prince Léopold de SaxeCobourg comme souverain de la Grèce. On déclina cette offre, qui était plus hostile au sultan que l'érection des trois principautés proposée par la Russie, et parce que cette dernière puissance, appuyée de la France, n'aurait pas manqué de s'y opposer.

Le désir exprimé par les primats de

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