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Géorgiewsk sur le Podkoumok est le chef-lieu de la province du Caucase; c'est une petite ville fortifiée, régulière et agréable. Constantinogorsk et Stavropol offrent peu d'intérêt.

Le Bech-Taw, où les Cinq montagnes, donne son nom à la partie la plus septentrionale du Caucase dans le bassin de la Kouma. Le Metchouka, qui fait partie des montagnes adjacentes, a quelque célébrité par le voisinage d'une source d'eau thermale. C'est aux environs du Bech - Taw qu'on élève les meilleurs chevaux tcherkesses et abases.

A soixante werstes au nord de Géorgiewsk, on voit, sur les bords de la Kouma, les ruines de Madjari. Cette ville, d'origine tatare, paraît avoir eu de l'importance au XIVe siècle, sous les princes de la horde dorée; elle servit long-temps de lieu de passage et d'entrepôt aux marchandises que, de la mer Caspienne, on transportait à celle d'Azów. Sa destruction date du XV siècle. Au temps où Gmelin, Guldenstædt et Pallas visitèrent ces ruines, elles offraient encore un grand intérêt; mais les Tatares et les Nogaïs, qui demeurent aux environs, y sont venus depuis chercher les matériaux nécessaires à la construction de leurs villages. Au moment où nous écrivons, elles ont sans doute entièrement disparu (voir le fond de la pl. 5).

Les Nogais habitent dans la steppe aux environs de Stawropol, mais on les retrouve dans le Daghestan, dans la steppe du Volga, dans la Tauride et en Crimée.

Le nom de ce peuple est celui de son premier chef. Peu d'années après la fondation de l'empire du Kaptchak, les lieutenants de Tchinghis-khan, n'étant plus contenus par la présence de ce grand homme, pensèrent que le moment était venu de secouer la domination de son successeur, et ils commencèrent, en conséquence, cette œuvre impolitique de démembrement qui finit par livrer l'empire entier à la merci de ses ennemis. Un de ces lieutenants, nommé Nogaï, avait reçu

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l'ordre de soumettre à la domination tatare les peuples qui habitaient au nord-est de la mer Caspienne entre le Jaik et le Tobol; mais, ayant accompli heureusement cette mission, devint ambitieux, et créa un état indépendant dont il se constitua le chef (1258-1271 de J.-C.). La politique de l'empereur Michel Paléologue seconda puissamment cette défection; ce prince donna même une de ses filles à Nogai. Les Tatares qui avaient suivi la fortune de ce rêbelle épousèrent des femmes de race turque et furent la souche du peuple dont il est ici question. Les Nogais passèrent en Europe au commencement du XVIII siècle.

Le teint basané, les yeux bridés et le nez épaté des Nogais attestent encore la part qu'ils ont à réclamer de la souche mongole, bien qu'on s'accorde assez généralement à les classer parmi les peuples turcs.

C'est une nation essentiellement nomade, voyageant, à la manière des Scythes-Hamaxobiens, sur des chariots couverts de tentes en feutre et traînés par des boeufs. C'est une véritable hutte portative que les Russes appellent Kibitka, les Tatares Karatchou, et les Kalmouks Ghir. Lorsque la caravane se met en marche, les hommes se tiennent à cheval auprès des chariots; ils poussent devant eux de grands troupeaux de chevaux et de bœufs, se servant, pour ramener les individus échappés, d'une sorte de lance fort longue, terminée par un noeud coulant qu'ils jettent adroitement autour du cou de l'animal. Les femmes et les enfants vivent sur les chariots et en descendent rarement.

Indépendamment du kibitka, les Nogaïs ont de grandes huttes, également en treillis et recouvertes en feutre, qu'ils ploient et chargent sur des chameaux ou des boeufs. Arrivés au lieu désigné pour le campement, quelques heures leur suffisent pour déployer tout ce bagage et former un aoul, mot que l'on pourrait traduire par village provisoire. La calotte du kibitka s'ouvre à volonté pour don

ner du jour et de l'air à l'intérieur. Ces nomades se servent encore, pour le transport des marchandises, de grands chariots à quatre roues, tirés par des bœufs, et connus sous le nom d'arba ou de maggiari ( voy. ìa pl. 5).

On assure qu'on trouve chez les Nogaïs cette infirmité qu'Hérodote dit avoir observée parmi les Scythes: les Énaréens ou efféminés sont des homines que l'âge et les fatigues de la vie nomade semblent précipiter dans la classe des individus de l'autre sexe. Ils en prennent alors les habits et les Occupations, et ressemblent en tout à de vieilles femmes imberbes et tremblotantes. Les Nogaïs leur donnent le nom de Kos.

L'habillement de ces Tatares ressemble à celui des Turcomans, mais il est moins riche. Les hommes se rasent la tête, et les femmes marchent sur deux planchettes adaptées à leurs souliers, en guise d'échasses.

Les Tatares-Koumouks habitent audelà du Térek, entre les rivières Aksaï et Koi-sou; ils se livrent avec succès aux arts de l'agriculture, et vivent en paix avec les Russes. Leurs princes, ou khans, résident à Endéri, ville de 10,000 ames, à Kostiak, Aksaï, Bragoun, etc. Le chamkal, le plus puissant d'entre eux, vit à Tarkou, sur les bords de la mer Caspienne, village à peu près aussi considérable qu'Enderi.

Les cérémonies funèbres usitées chez ce peuple méritent une mention particulière. Toutes les femmes de la famille du défunt s'assemblent pendant plusieurs jours, se découvrent la poitrine et se déchirent la chair avec leurs ongles. Autrefois, quand il mourait un prince de cette nation, son précepteur se coupait la moitié des oreilles, et sa nourrice s'enterrait vivante; mais, dans ce dernier cas, on lui laissait ordinairement la tête hors de terre et recouverte d'un pot cassé, par l'ouverture duquel on lui donnaît à manger. Si elle existait encore après un nombre de jours déterminé, on mettait fin à son supplice en la retirant de son tombeau.

Les Kalmouks d'origine mongole sont disséminés sur toute la surface de la steppe, depuis le Kouban jusqu'au Volga. Le nom qu'ils se donnent à euxmêmes est celui d'Eleuths, ou Olets, tandis que la dénomination de Kalmouks n'est qu'un terme injurieux que leur idolâtrie leur a fait appliquer par les Tatares mahométans d'abord, par les Russes ensuite, et, enfin, par l'Europe entière. La Tatarie indépendante étant la région propre aux Kalmouks, leur histoire ne serait pas ici à sa place, et nous ne pouvons donner sur les hordes qui passent dans les steppes de la Russie que quelques considérations caractéristiques.

Les hommes de cette nation ont la taille moyenne, bien prise et robuste. Ils ont la tête grosse et large, le visage plat, le teint olivâtre, les yeux bien fendus, mais peu ouverts et fort écartés l'un de l'autre, le nez plat, la bouche petite et la barbe rare. Pour costume, ils portent des hauts-dechausses d'une largeur extraordinaire, une veste en peau de mouton sans manche et, par dessus, une espèce de surtout dont les manches, d'une excessive longueur, peuvent se retrousser sur l'épaule, afin de laisser les bras nus et libres d'agir. De grandes bottes fort incommodes, ceinture de cuir et un petit bonnet rond complètent leur toilette, où la couleur rouge domine habituellement. Les traits et le costume des femmes sont à peu près les mêmes.

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Les Kalmouks possèdent des troupeaux de chevaux, de bœufs, de moutons et de chameaux qui forment toute leur richesse. Ils en tirent à la fois la subsistance, les vêtements et les articles d'échange. La chair de cheval est la nourriture qu'ils préfèrent; le koumiss, ou lait de jument aigri, forme leur boisson favorite. Ils sont aussi braves et moins pillards que les Tatares mahométans, et, comme eux, ils sont polygames.

Ce peuple superstitieux a un grand respect pour les chiens, qu'il nourrit souvent avec des cadavres humains. Quant à lui, le lait aigri forme

la base de ses repas. Quelques-unes de leurs hordes ont embrassé le christianisme; elles ont des prêtres, dont la principale occupation est de leur apprendre à lire et à écrire. Les autres sont encore plongées dans les ténèbres de l'idolâtrie.

La fatigante monotonie des steppes parcourues par ces diverses nations est interrompue, sur le bord des rivières, par une multitude de tumulus ou élévations tombales, surmontées par des statues d'une pierre grisâtre, grossièrement travaillées. Ces figures, assises pour la plupart, et tenant dans leurs mains un objet qu'on pourrait prendre pour une tasse, appartiennent évidemment à une nation mongole. La face plate et large, les cheveux divisés en trois tresses, les colliers de coraux pour les femmes et les petits bonnets ronds sont des indices que l'on ne saurait méconnaître. Ces antiquités sont communes près du Kouma, du Kouban et du Volga (voir la pl. 1, n° 4.)

On voit sur les bords du Jetoka, aux environs de Géorgiewsk, une statue également intéressante, et cependant non moins grossièrement travaillée. Elle représente un homme habillé et armé à la tcherkesse, les jambes emboîtées dans une gaîne à la manière des anciens Hermès. Ce piédestal quadrangulaire offre sur la première face une inscription en caractères grecs et esclavons mêlés. Au bas, ainsi que sur les autres faces, on voit diverses figures d'hommes et d'animaux sculptées sans art.

On a pu remarquer que nous nous sommes attaché, dans cette notice, aux époques de l'histoire ancienne et aux traditions locales plutôt qu'aux événements de l'histoire moderne. La raison en est simple : l'ancienne période rentrait essentiellement dans notre domaine, la nouvelle appartient aux annales de la Russie d'une part et à celles du royaume de Perse de l'au

tre.

L'isthme caucasien était, depuis

long-temps, un objet de convoitise pour les czars, non-seulement parce qu'il sert de frontière à leurs possessions du côté de l'Asie méridionale, mais encore parce qu'il offre en luimême une importance que de bonnes institutions pourraient accroître rapidement. Entraînés tour à tour par les missionnaires du Christ et ceux de Mahomet, placés entre deux ennemis acharnés, les peuples du Caucase ont été long-temps foulés aux pieds des combattants; enfin, ils sont échus en partage au plus vaste empire du monde. Par le traité de Tourmantchai (10 février 1828), les Persans ont cédé à leurs rivaux les provinces d'Érivan et de Nakhitchévan, et par celui d'Andrinople ( 14 septembre 1829) la Porte a définitivement abandonné à la même puissance Anapa, Poti, Akhaltzik, Atzhour et Akalkalaki.

La population actuelle de la région caucasienne est d'environ 2,400,000 ames; elle serait susceptible d'un prodigieux accroissement, mais, ainsi qu'on devait s'y attendre, elle a éprouvé, depuis quelques années, une diminution sensible par suite des moyens violents que la Russie a dû employer pour s'établir avec sécurité dans une contrée où des nations entières ne sont composées que de brigands. Pour compenser cette perte, les Russes cherchent à coloniser leur nouvelle possession. Ils y appellent des cultivateurs allemands, race laborieuse, patiente et sobre. Ses émissaires se répandent aussi dans les campagnes des provinces méridionales pour embaucher les populations chrétiennes de l'Arménie. La religion, en ceci, vient au secours de la politique; et c'est surtout aux prêtres que s'adressent les agents russes, car l'expérience a fait voir que ceux-ci, en émigrant, sont suivis ordinairement par plusieurs familles chrétiennes et souvent par toute la population d'un village. Arrivé sur le sol russe, le colon reçoit l'assignation d'une pièce de terre, quelquefois même celle d'une petite habitation. Avec du travail et de la persévérance, son sort pourrait être

assez heureux, sans le voisinage des forbans indomptés qui infestent le Caucase. Les Tchetchenses sont, de ce côté, les ennemis les plus redoutables des colons arméniens. Si la haine héréditaire de ces hardis montagnards se porte, en principe, sur la nation moscovite, elle embrasse, dans ses résultats, les étrangers qui vivent sous sa protection.

On a vu, par ce qui précède, que la Russie, en cherchant à augmenter la population de son vaste territoire aux dépens de ses alliés, prend quelquefois des moyens peu compatibles avec les procédés de bon voisinage. La Perse en a fait le sujet de plus d'une plainte, et si la guerre éclatait de nouveau entre ces deux puissances, l'embauchage des Arméniens en serait le motif ou tout au moins le prétexte. Le prince royal, Abbas - Myrza, aujourd'hui décédé, écrivait au mois de juillet 1828 au colonel Lazareff, commandant militaire de Tauris, lors de l'occupation de la province d'Azerdeidschan par le général Paskéwitsch: « Nous n'ignorons « pas que vous avez l'autorisation de « votre gouvernement pour favoriser « la transmigration des Arméniens; « mais quand nous remarquons que, « dans tous les lieux où vos soldats << se sont arrêtés, la population ar« ménienne a émigré, volontairement dites-vous, la raison et la conscience « nous dictent de vous demander s'il « est possible que plusieurs milliers de « familles aient pu abandonner spon«tanément une patrie de mille ans et « laisser là leurs propriétés, leurs jardins, leurs maisons, pour se trainer « à votre suite, sans savoir où elles pourraient se reposer.

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« J'ai délivré, de mes propres mains,

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Aujourd'hui que votre seigneurie « réside à Salmas, elle envoie des of << ficiers et des cosaques pour lever « des contributions dans les villages « où il ne se trouve pas d'Arméniens qui veulent s'expatrier, tandis qu'elle << distribue de l'argent à ceux qui émigrent; d'où il arrive que les habi«tants, ne pouvant supporter ces vexations, sont forcés de quitter << leurs maisons et d'abandonner leurs propriétés, etc. »>

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Quelle que soit l'opinion qu'on veuille se former sur les moyens d'intrigue et de violence que la Russie emploie pour attirer les populations voisines dans ses possessions du Caucase, il est une considération d'humanité qui impose silence à l'historien. Ce que la France a fait à l'égard des forbans africains, la Russie l'a opéré sur les frontières de la Perse. Il est temps que l'Europe occupe ses soldats à la conquête de la civilisation : l'Orient et l'islamisme ont prouvé qu'ils étaient impuissants à réprimer ces pirates audacieux qui, de temps immémorial, se cachent sur des côtes inhospitalières, ou ces nations féroces qui ne descendent de leurs montagnes que pour semer au loin l'effroi et la désolation.

FIN

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