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servant le pronostic il faut établir le certificat avec autant de détails et de soin que si l'on redoutait dans tous les cas une terminaison fatale.

Si on vient demander au médecin un certificat pour un ouvrier qu'il ne connaît pas, rien n'est plus simple; il examine le malade et rédige la pièce qui lui est demandée, mais, et c'est un cas qui peut se présenter souvent dans les campagnes, il n'en va pas de même quand le médecin qui établit le certificat est en même temps médecin traitant. D'après la loi, le médecin qui examine le blessé doit indiquer la durée probable de la maladie, et les suites qu'elle peut entraîner, or il peut arriver qu'ayant antérieurement traité le malade, le médecin le connaisse comme un alcoolique, un syphilitique, circonstances à cause desquelles il faudra pour la guérison un temps supérieur à celui normalement nécessaire. Dans ce cas, le médecin se trouve placé dans une position difficile, car il doit observer les règles du secret médical, sous peine de voir sa responsabilité engagée en vertu de l'article 378 du Code pénal.

L'ouvrier blessé conserve le droit absolu de réclamer les soins du médecin de son choix, cela est admis, mais a-t-il le droit de refuser une intervention chirurgicale?

En Allemagne, il a été jugé que l'ouvrier a le droit de refuser toute intervention qui lui semble dangereuse pour sa vie, et que dans ce cas, même si l'infirmité avait pu être diminuée par l'opération requise, c'est le patron qui doit supporter les conséquences du refus de l'ouvrier.

En France, en présence d'un refus formel de l'ouvrier de subir une opération reconnue nécessaire, la responsabilité du patron serait probablement diminuée; cette doctrine me semblerait beaucoup plus équitable que celle soutenue par les juristes allemands.

Lorsque comme expert, le médecin est appelé à examiner un blessé, il n'a pas le droit d'employer un anesthésique afin de reconnaître l'étendue et même la réalité d'une lésion. C'est une question qui a été jugée par le Conseil de Préfecture de la Seine en 1889.

Un ouvrier charpentier avait été blessé par la chute d'une pierre tombée de l'église Saint-Eus

tache et avait formé devant le Conseil de Préfecture une demande en dommages-intérêts contre la ville de Paris et la fabrique de l'église. L'ouvrier avait la clavicule brisée et prétendait que cette blessure avait entraîné une paralysie du bras. Les experts pour se mettre en garde contre toute supercherie émirent l'intention de recourir à l'anesthésie, mais l'ouvrier ne voulut pas s'y soumettre sous le prétexte que les experts ne pouvaient lui assurer que l'anesthésie n'aurait aucune conséquence fâcheuse pour sa santé.

Le Conseil de Préfecture, saisi de cette question, donna raison à l'ouvrier.

Si le blessé consent à une intervention, il devra en avertir le médecin par écrit.

Voici un exemple :

Dans une forge, un ouvrier tenait enserrée dans une pince une barre de fer chauffée au rouge, sur laquelle venait frapper un pilon; soit maladresse, soit inattention, un coup de pilon porta à faux, la tenaille dérapa et l'une des branches vint frapper l'ouvrier au niveau de l'arcade zygomatique. Le blessé fut transporté dans le service de M. Tuffier. La fracture guérie, le malade

continua à ne pouvoir que difficilement ouvrir la bouche et le chirurgien constata une ossification du masseter qui fut opérée.

Un an plus tard, je vois ce malade, en qualité d'expert; il ne pouvait pas ouvrir la bouche, et ignorant au juste quelle intervention M. Tuffier avait faite, je le priai d'examiner le malade avec moi. Nous hésitions entre une récidive de l'ossification massétérine ou une contracture. Le seul moyen d'éclairer le diagnostic était l'anesthésie, au cours de laquelle toute espèce de contracture cesse. Le malade était consentant. Cependant, afin de mettre notre responsabilité à couvert, je demandai au malade d'écrire à M. Tuffier une lettre, dans laquelle il lui demandrait d'être anesthésié dans le but de rechercher la nature exacte de la contracture et de joindre à cette lettre une note dans laquelle les avoués, celui de l'ouvrier et celui du patron, déclareraient ne pas s'opposer à cette intervention.

Dans son certificat, le médecin indiquera son diagnostic, l'état de la victime, les suites probables de l'accident et l'époque à laquelle il sera possible de connaître le résultat définitif.

Lorsque le législateur a demandé au médecin qui délivre le certificat d'indiquer sur cette pièce l'avenir réservé au blessé, il a pensé qu'il était intéressant de savoir dès le premier jour si l'infirmité contractée par l'ouvrier serait temporaire, absolue ou permanente. Par exemple un panaris survenant à la suite d'une piqûre septique occasionne une impotence fonctionnelle absolue pendant tout le temps qu'il existe. Si les suites sont normales, le doigt retrouve son intégrité complète, l'infirmité a été temporaire. Mais surviennent des complications, inflammation des gaines tendineuses, envahissement des articulations par le processus inflammatoire, le doigt reste rigide et l'infirmité est devenue permanente. C'est pourquoi il est nécessaire: pour le médecin, de faire une description minutieuse de la blessure et d'être toujours réservé dans son pronostic; pour le patron, de faire la déclaration dans les formes prescrites par la loi, quelque insignifiante que soit la blessure, même si l'incapacité de travail doit être très limitée.

Enfin, pour ne pas engager sa responsabilité, je recommande au médecin de ne jamais délivrer

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