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compagnies d'assurances, il commet un acte qui peut devenir très compromettant pour lui-même, car si de par cette interdiction le blessé se croit lésé dans ses intérêts, parce que certaines constatations, possibles au début, n'ont pu être faites et ont entraîné un jugement défavorable à son égard, il pourra se retourner contre le médecin traitant, qu'il accusera de lui avoir causé un préjudice.

A l'hôpital, le médecin de la compagnie d'assurances a le droit de venir voir le malade et de l'interroger, mais il ne doit pas toucher au pansement. S'il désire voir la blessure, il lui sera facile de demander soit au chef de service, soit à l'interne le jour et l'heure du pansement, auquel on ne saurait lui refuser d'assister. Si le malade est soigné à domicile et que le médecin traitant fasse quelque opposition à la visite du médecin de la compagnie d'assurances, celui-ci demandera une autorisation de visite au juge de paix.

Il est incontestable qu'il existe en ce moment entre les médecins des compagnies et les médecins traitants une situation un peu tendue; le médecin traitant est le médecin Tant pis, celui de

la compagnie, le médecin Tant mieux. Les certificats fournis par les médecins traitants sont beaucoup trop favorables aux blessés, disent les compagnies et même l'une d'elles s'est laissée entraîner jusqu'à prétendre que le médecin traitant fournit volontiers des certificats de complaisance. C'est là une affirmation qui ne saurait atteindre le corps médical, mais ce qui est exact, c'est que le médecin traitant donnera, et c'est fatal, son certificat au mieux des intérêts de son client qu'il traite comme il voudrait être lui-même traité en pareille circonstance. Au contraire les médecins des compagnies d'assurances voient avec trop de facilité dans tous les malades des simulateurs.^

Le seul remède à ces tendances opposées, à ces certificats contradictoires, serait que les deux médecins prissent rendez-vous auprès du blessé pour le visiter ensemble, afin d'examiner et discuter au même moment la valeur des lésions observées. Je puis vous citer un exemple :

Un homme tenait un cheval en main, l'animal a peur, lance une ruade et le conducteur a le tibia légèrement froissé, on le porte à l'hôpital, où un certificat est fourni par l'interne, constatant la

lésion du membre inférieur. Le malade rentre chez lui, son état s'aggrave; son médecin traitant diagnostique une pleurésie purulente et lui donne un certificat constatant cette maladie. Peu après, il fait le diagnostic de gangrène pulmonaire; nouveau certificat, constatant cette nouvelle maladie. Ces deux certificats ne portent nulle mention de la lésion du tibia. Arrive le médecin de la compagnie d'assurances, qui note dans son certificat l'existence d'une plaie de la face antérieure de la jambe, mesurant dix centimètres et diagnostique des lésions tuberculeuses avancées des poumons.

Le malade meurt et son autopsie est pratiquée à la Morgue. On constate que le tibia avait été atteint par le traumatisme, mais du côté pulmonaire on ne trouve ni pleurésie purulente, ni gangrène, ni phtisie. L'affaire vient devant les tribunaux et la compagnie fournit une consultation dans laquelle était critiquée l'autopsie pratiquée à la Morgue, et le rapport dans lequel on n'avait pas spécifié assez clairement les lésions pulmonaires. Mais si, dans le rapport d'autopsie, on n'a noté aucune lésion sérieuse, c'est qu'il n'en exisLa profession médicale

P. BROUARDEL.

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tait en réalité aucune; la pleurésie purulente, la gangrène, la phtisie laissent des traces évidentes, qui n'auraient pu passer inaperçues, même si le poumon avait déjà subi les atteintes de la putréfaction. L'histoire rétrospective de ce malade était du reste assez facile à rétablir. Il y avait eu plaie de la face antérieure de la jambe avec froissement de l'os; infection secondaire et production de pneumonie lobulaire, ayant pu en imposer aux médecins traitants et à celui de la compagnie pour les maladies dont ils avaient certifié l'existence.

Vous voyez que, dans ce cas, les médecins, par des examens pratiqués à des époques diverses et par une interprétation différente des signes stethoscopiques, étaient arrivés à fournir des certificats entraînant devant les tribunaux des discussions médicales qui sont loin de rehausser le prestige de notre art. Les questions soulevées dans la pratique par la délivrance de ces certificats ont provoqué de nombreuses difficultés; j'en indique seulement quelques-unes (1).

(1) Syndicat des médecins de Paris, séance du 5 juin 1902.

Un ouvrier atteint d'accident du travail se rend, comme la loi lui en donne le droit, auprès d'un médecin quelconque, n'ayant aucun contrat avec la compagnie assurante du patron, celui-ci a t-il le droit de refuser le certificat d'accident délivré par ce médecin et d'exiger que l'ouvrier se rende auprès du médecin de la compagnie d'assurance pour retirer ce certificat?

Le Président, M. le Dr Philippeau, a répondu et j'estime qu'il a eu raison, que la circulaire ministérielle du 23 mars 1902 dit: « Les chefs d'entreprise ne doivent pas perdre de vue qu'ils sont responsables de la régularité des certificats médicaux exigibles à l'appui de leurs déclarations et qu'ils n'échappent pas aux prescriptions du troisième alinéa de l'art. 11.

« J'ajoute que rien ne saurait décharger le chef d'entreprise de la production du certificat médical régulier et qu'au cas exceptionnel où il ne pourrait l'obtenir du médecin de son choix, il aurait à s'adresser à la justice pour se mettre en règle avec la loi. »

Le patron peut donc refuser un certificat qu'il jugerait insuffisant ou non conforme aux pres

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