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9. PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE. LOI DU 15 FÉVRIER 1902

Avant d'entreprendre l'étude de quelques points de cette loi, qui ne deviendra exécutoire que le 15 février 1903, il nous faut faire un aveu: la loi relative à la protection de la santé publique que nous sommes parvenus à faire voter en 1902, n'est pas tout à fait celle que nous avions voulu réaliser, cela tient en grande partie aux ajournements successifs qu'elle a subis et aux amendements acceptés au cours de la discussion.

C'est en 1884 que M. Lockroy, alors ministre, demanda au Comité consultatif d'hygiène un projet de loi sur la protection de la santé publique.

Ce projet fut présenté, mais il fut déposé le jour même de la chute du ministère, et il fut considéré comme projet d'initiative privée et comme caduc quand la législature fut renouvelée.

MM. Siegfried et Chautemps en présentèrent un en leur nom.

Puis un nouveau projet du Comité consultatif fut soumis aux Chambres et adopté en 1893 par

la Chambre des députés. Mais, emportée par son élan, la Chambre avait dépassé le but. Nous nous étions plaints qu'au point de vue sanitaire l'autorité était désarmée et que particulièrement la loi du 13 avril 1850 sur les logements insalubres était par là rendue inapplicable. Les députés décidèrent que les Conseils d'hygiène départementaux seraient chargés de l'application, sans appel, des articles de la loi concernant les logements insalubres. La Chambre des députés avait ainsi constitué un tribunal d'exception, prononçant sur des questions de propriété; or, nul n'ignore en quelle suspicion sont tenus, dans tous les pays, les arrêts rendus par un tribunal de cette espèce. Leur impartialité et leur compétence sont suspectes.

Quand, en 1893, la loi vint en discussion devant le Sénat, celui-ci n'accepta pas le texte voté par la Chambre. Trois délibérations nous reportèrent jusqu'en 1902.

Cette loi, dont la gestation a été si laborieuse, n'a pas été plus tôt adoptée qu'elle fut sévèrement discutée.

Le professeur Duclaux trouve la loi trop

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vaste; elle embrasse en somme toute l'hygiène, touche à tout mais sans assez préciser. Il a peut-être raison, mais quand il s'agit non pas de présenter une loi devant le Parlement, mais de la faire voter, il faut bien parfois faire quelque peu abstraction de ses désirs sur des points spéciaux et se conformer aux desiderata des législateurs. Lorsqu'en 1880, le docteur Henry Liouville avait fait voter par la Chambre le principe de la vaccination obligatoire, on lui demanda de ne pas présenter une mesure sanitaire isolée, mais un projet d'ensemble. C'est pour satisfaire à cette demande que le Comité d'hygiène présenta le projet de 1884, et comme l'état d'esprit des législateurs n'avait certes pas changé, nous avons dû nous conformer à la volonté du parlement.

M. Duclaux nous fait un autre reproche: « Il ne faut mettre dans les lois, dit-il, que ce qui est scientifiquement démontré ». Ici notre manière de comprendre les faits est quelque peu différente.

Dans une question d'hygiène, il est des parties scientifiquement établies, il en est d'autres en

core discutables. Devons-nous attendre que tout soit définitivement résolu pour faire bénéficier les populations des découvertes incontestables? Prenons par exemple la fièvre typhoïde. Il est scientifiquement démontré que l'eau contaminée est le véhicule habituel de la fièvre typhoïde, il y a des exceptions, mais 90 fois sur 100, l'étiologie hydrique de la dothienenterie est incontestable. Devons-nous attendre que la science ait précisé l'origine de ces derniers cas, dix pour cent, pour insérer dans la loi les conditions dans lesquelles les eaux d'alimentation doivent être protégées, mises à l'abri du danger des contaminations connues? Il en est peut-être d'autres, on les inscrira dans une loi future, quand on les aura découvertes.

Un autre point défectueux a été signalé par M. Duclaux : le vote de la loi n'a pas été précédé d'une propagande assez active, l'opinion ne l'a pas assez réclamée, parce que l'on n'avait pas su l'y intéresser, on n'avait pas su l'émouvoir. Sur ce point, nous sommes d'accord, mais que pouvions-nous faire?

Dès 1875, nous avons fondé la Société de mé

decine publique, dans laquelle nous avons fait entrer des ingénieurs, des architectes, des chimistes, nous avons organisé depuis lors dans les diverses capitales de l'Europe des Congrès internationaux d'hygiène. Nous avons mis à l'ordre du jour des discussions rendues publiques l'assainissement de nos grands ports, Toulon, Cherbourg, Marseille, Le Havre. Nous avons proclamé le danger des eaux contaminées. Si nous n'avons pas réussi, autant que nous l'aurions voulu, à secouer la torpeur de l'opinion, avonsnous échoué, autant que le dit M. Duclaux? Je ne le crois pas.

La question de l'eau potable pure a été posée au Congrès d'hygiène de Vienne en 1887, elle a été combattue par toute l'école allemande, cependant des propositions françaises ont été adoptées. Depuis dix ans, en France, plus de 2000 localités ont soumis au Comité d'hygiène des projets d'amenée d'eau.

Ce qui est vrai dans l'observation de M. Duclaux, c'est ceci. L'opinion publique était si indifférente aux problèmes que soulève l'hygiène que malgré nos efforts, lorsque nous ouvrions même

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