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ront au jeune étudiant les portes des diverses Facultés lettres, sciences, droit, médecine.

Il semblera, sans doute, que l'idéal d'une préparation à des études aussi dissemblables serait précisément l'inverse et que, la culture intellectuelle devant être aussitôt que possible appropriée au but final, il faudrait choisir dans la pédagogie les enseignements propres aux études spéciales à chaque carrière.

Avant de chercher si, dans ce baccalauréat quadricéphale, il y a des formes favorables et d'autres peu compatibles avec les études médicales, essayons de nous rendre compte de ce que devraient être les enseignements dont serait muni le futur étudiant en médecine au moment où il conquiert le titre de bachelier.

Quelles sont les qualités que doit posséder un médecin; dans son intérêt, dans celui de la Société à laquelle il va donner ses soins? Ces deux intérêts sont absolument solidaires.

L'exercice de la médecine exige des connaissances scientifiques ; non seulement je l'admets, mais je le proclame. L'année préparatoire consacrée aux études de physique, de chimie, d'his

toire naturelle donne satisfaction à cette nécessité.

Mais l'exercice de la médecine exige une autre condition, celle de la finesse d'observation; l'étude des sciences seules (quatrième forme du baccalauréat) peut-elle la donner?

Dans les sciences, les vérités sont absolues. La solution d'un problème de mathématiques, de géométrie, de physique est juste ou fausse, elle ne peut pas être à peu près juste, elle l'est ou ne l'est pas. L'élève fait l'effort intellectuel suffisant pour comprendre le procédé par lequel on arrive à la vérité, mais une fois la question résolue, toute discussion cesse. Il retient, il emmagasine le fait.

Dans les lettres, l'absolu n'existe pas, tout est relatif. L'interprétation des textes est plus ou moins fidèle, plus ou moins heureuse, la sensation que provoque l'audition d'un morceau de poésie ou de littérature varie avec l'art qu'y apporte le lecteur, avec la disposition personnelle de l'auditeur. La critique est toujours ouverte, elle porte sur les nuances, elle évoque les comparaisons, empruntées aux autres auteurs ou à

notre conscience intime. Le jugement émis est toujours revisable, rien n'est définitif. Si, au lieu d'être auditeur, vous voulez faire comprendre les raisons de votre admiration ou de vos critiques, à des auditeurs différant par leur âge, par leur éducation première, emploierez-vous les mêmes phrases?

L'idée que vous voulez exposer sera la même, vos procédés pour l'exposer seront absolument différents. Que vous soyez auteur ou professeur, vous serez obligé de faire appel à toute la finesse de votre observation pour pénétrer dans l'esprit du lecteur ou de l'élève.

Or, dans l'exercice de la médecine, tout est relatif. Devant chaque malade vous êtes obligé de faire un effort de synthèse, de noter les symptômes, de les grouper en tenant compte de leur date d'apparition, de leur intensité, de leur forme, de noter également ceux qui manquent et qui existent d'ordinaire dans la maladie en présence de laquelle vous êtes, d'apprécier la gravité que la présence des uns, l'absence des autres fait prévoir pour l'avenir, de juger ce que ces variétés imposent pour les indications thérapeutiques.

Dans toutes ces observations partielles, il n'y a jamais rien d'absolu, le problème que vous avez à résoudre est en évolution devant vous, il se modifie de jour en jour, parfois d'heure en heure; votre jugement, votre intervention se font sur des données constamment variables, qui ont pour base les souvenirs, les antécédents du malade, les observations analogues, les comparaisons tirées de votre expérience antérieure.

Tout ce qui peut développer dans l'éducation ces aptitudes de jugement doit faire partie du bagage que le jeune étudiant doit posséder au moment de son entrée à la Faculté.

Je n'ai examiné que le malade et le médecin; mais pour remplir son devoir, le médecin doit observer le milieu dans lequel il est appelé, comprendre si le malade peut y recevoir les soins nécessaires, se rendre compte de l'intelligence, des aptitudes, du dévouement des personnes qui l'entourent.

Les affections de deux malades n'ont jamais été identiques, jamais je n'ai vu deux fièvres typhoïdes, deux tuberculoses évoluer de même, jamais les milieux dans lesquels se trouvent les

malades ne présentent les mêmes conditions favorables ou défavorables à la guérison.

C'est sur l'observation de ces conditions si diverses, si complexes, que le médecin établit la ligne de conduite utile à son malade.

Quand un médecin est fixé sur ce qu'il doit faire, il doit imposer sa volonté au malade et à son entourage. Il doit avoir autorité et savoir convaincre. Une des sources de son autorité vient de la supériorité de sa culture intellectuelle; sa possibilité de convaincre dépend de l'art avec lequel il exposera au malade et à sa famille, suivant l'état moral de l'un et de l'autre, et dans les formes nécessaires et adaptées à chacun, les règles qu'il faut observer.

M. Fouillée a parfaitement rendu cette pensée dans le passage suivant que je lui emprunte :

<< La grande tradition médicale (1), depuis les Grecs, depuis les chefs-d'œuvre encore vivants d'Hippocrate, fut toujours de considérer la médecine comme dépendant à la fois des sciences naturelles et des sciences morales: mens sana

(1) Alfred Fouillée, Revue scientifique, 29 mars 1902, p. 385.

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