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Thorne, chef du Board local government, déclara qu'il pouvait servir de modèle.

Les hommes de 1848 étaient un peu trop théoriciens; ils ont eu des illusions. Ils ont cru qu'il suffirait de signaler le danger pour que toutes les énergies s'emploient à le combattre ; ils ont cru que du moment que l'on donnait la faculté de faire le bien, le bien suivrait fatalement, enfin ils ont cru à la possibilité du dévouement perpétuel et gratuit de tous.

Certes, et c'est un honneur pour notre profession, le médecin sait se dévouer, il a fait ses preuves et vienne une épidémie, on le voit à l'œuvre. Mais il est une grande différence entre le courage, le dévouement absolu, mais temporaire, que peut montrer le médecin en face du danger et le dévouement obscur, indéfini, de tous les instants, que l'on pensait pouvoir obtenir de lui. Une épidémie ne dure qu'un temps, c'est un accident dans la vie du médecin et il peut, si l'occasion se présente, livrer sans compter, sans espoir de gain, son savoir, ses forces et même sa vie. Mais, le médecin est généralement peu fortuné, il a une famille qui a des be

soins impérieux et dont il lui faut péniblement gagner le pain quotidien. C'est pourquoi compter établir la pérennité d'une institution sur un dévouement de tous les instants, sans aucune rémunération, était une utopie, une vue de l'esprit irréalisable.

Or, en France, toutes les fonctions confiées aux hygiénistes sont absolument gratuites. Elles nécessitent des déplacements, pour lesquels aucune allocation n'est inscrite dans les différents budgets; lorsqu'une enquête s'impose, elle cause au médecin une perte de temps matérielle, des recherches dans des règlements qui lui sont peu familiers, la rédaction d'un rapport dont les conclusions seront contestées par les intéressés. De sorte que peu d'entre nous s'engagent sans regret dans ces difficultés. Seules quelques personnes passionnées pour l'hygiène consentent, sileur position de fortune les rend indépendantes, à les affronter.

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Depuis 1874, un mouvement humanitaire analogue à celui de 1848 a entraîné le Parlement,

sous une poussée d'opinion irrésistible, à étudier et promulguer des lois ayant pour but la protection des travailleurs et le relèvement de la condition sociale des ouvriers. Il est, vous le savez, des maladies évitables, mais elles sont beaucoup plus évitables pour le riche que pour le pauvre; le législateur en a eu la conception très nette, je n'en donnerai qu'une preuve, selon moi très démonstrative.

Quand dans un même milieu ou dans un milieu à peu près identique, au point de vue de l'habitation et du travail, la santé d'un homme ou de sa famille est ou n'est pas surveillée, la mortalité se traduit par les chiffres suivants : Mortalité générale en France, dans ces dernières années 22 pour 1000.

:

Mortalité dans les Sociétés de secours mutuels, c'est-à-dire dans des Sociétés dont les membres se surveillent et reçoivent les soins et les conseils médicaux pendant ces mêmes années : 16 pour 1000.

Si on accepte, et cela ne me semble pas contestable, que les personnes aisées sont dans des conditions aussi favorables que les membres des

Sociétés de secours mutuels, n'est-on pas effrayé en pensant que l'économie de ces six vies sur 1000 se reporte, en la chargeant d'autant, sur la classe pauvre, qui lutte sans secours et sans protection contre la maladie.

Nous pouvons estimer cette influence de la misère si nous nous reportons aux chiffres de mortalité tuberculeuse, que j'ai relevés pour les différents quartiers de Paris : Plaisance, quartier pauvre, mortalité 105 pour 10000 habitants; Champs-Elysées, quartier riche, 11 pour 10000.

Si bien que, dans une même ville, la mortalité varie, pour ces maladies évitables, dans la proportion de 1 à 10 suivant la protection qu'une aisance, même très relative, assure ou refuse à chacun.

Ajoutez que, pour le pauvre, la misère, dans ce qu'elle a de plus effroyable, est la compagne inséparable de la maladie.

J'ai déjà montré comment les familles ouvrières disparaissent par la tuberculose et j'y reviens, car on ne saurait trop insister (1).

(1) P. Brouardel, la Lutte contre la tuberculose, 1901.

Un ouvrier gagne largement sa vie, il est marié et vit assez à l'aise, dans une ou deux chambres, avec sa femme et ses enfants. Le père de famille prend froid, tombe malade et cherche d'abord à se soigner en continuant à travailler, mais bientôt son appétit le quitte, il maigrit, ses forces diminuent, il est obligé de s'arrêter. Sa femme le soigne avec un dévouement, qui, je le dis avec fierté, est une règle dans tous les milieux de notre Société. Elle lutte avec courage pour subvenir aux besoins de la famille, mais les ressources s'épuisent, la maladie du mari s'aggrave, la misère s'abat avec ses privations, sur cette famille il y a quelques mois encore prospère. Bientôt, la femme affaiblie tombe, contagionnée par son mari. Tous deux prennent le chemin de l'hôpital, où ils achèvent de mourir. Les enfants restent à la charge de l'Assistance publique et quels enfants! débiles, élevés dans un air confiné, ayant vécu et couché dans une atmosphère où pullulaient les bacilles, ils portent en eux le germe de la maladie, l'un meurt de méningite, l'autre d'ostéite tuberculeuse, un autre de tuberculose intestinale, si l'un d'eux résiste, il reste à

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