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états généraux qui auraient pu réformer tant d'abus'. »

Voici ce que disait M. le comte de Montalembert, dans un numéro du Correspondant de février 1857, sur les abus du système monarchique de Louis XIV et de Louis XV: " Qu'on se représente les deux premières nations catholiques du monde gouvernées sans résistance, l'une par Dubois, le plus vil des fripons, l'autre par Albéroni, rebut des bas valets, et le saint-siége réduit à faire de tous deux des princes de l'Église. La noblesse croupissant dans une mortelle et ruineuse oisiveté, lorsque le danger et la mort ne venaient pas la purifier sur les champs de bataille.

» Le clergé atteint lui-même dans ses plus hauts rangs par la corruption, dupe de cette dévotion de cour, sincère chez le maître, commandée chez les valets, et aboutissant sans

1 M. Thiers, De la Propriété.

transition à une éruption de cynisme impie qui dure cent ans, avant de s'éteindre dans le sang des martyrs.

» La bourgeoisie pervertie par l'exemple d'en haut, par une longue habitude d'adulation et de servile docilité, incapable de résistance et de responsabilité; la nation presque entière absorbée dans des préoccupations d'antichambre, etc. »>

Le maréchal de Vauban, dans son projet d'une dixme royale décrivait ainsi l'état des populations en 1698: « La vie errante que je mène depuis quarante ans et plus, m'ayant donné occasion de voir et visiter plusieurs fois et de plusieurs façons, la plus grande partie des provinces du royaume,... j'ai souvent eu occasion de donner carrière à mes réflexions, et de remarquer le bon et le mauvais du pays, d'en examiner l'état et la situation et celui des peuples, dont la pauvreté ayant souvent excité ma compassion, m'a donné lieu d'en recher

cher la cause... Il est certain que ce mal est poussé à l'excès, et que s'y l'on n'y remédie, le même peuple tombera dans une extrémité dont il ne se relèvera jamais; les grands chemins de la campagne et les rues des villes et des bourgs étant pleins de mendiants que la faim et la nudité chassent de chez eux.

» Par toutes les recherches que j'ai pu faire depuis plusieurs années que je m'y applique, j'ai fort bien remarqué que, dans ces derniers temps, près de la dixième partie du peuple est réduit à la mendicité effectivement; que des neuf autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l'aumône à celle-là, parce qu'eux-mémes sont réduits, à très-peu de chose près à cette malheureuse condition, etc.

» La cherté du sel le rend si rare, qu'elle cause une espèce de famine dans le royaume ; le menu peuple ne peut faire aucune salaison de viande pour son usage, faute de sel. Il n'y a point de ménage qui puisse nourrir un co

chon, ce qu'il ne fait pas parce qu'il n'a pas de quoi avoir pour le saler. Ils ne salent même leur pot qu'à demi, et souvent point du tout. »

Ces récits paraissent tristes et affligeants, et cependant les auteurs sont loin d'en avoir assombri les couleurs.

Mais la révolution de 1789 vint mettre un terme à ces misères. Elle fut le mouvement général de la nation contre les privilégiés ; la réaction de la raison, de la justice et du droit contre les abus, la conséquence morale de la civilisation et du progrès des lumières. Le but principal de ce grand événement fut de constituer un nouvel état social sur les larges assises de l'égalité civile et politique. La France était divisée en provinces ayant chacune leurs limites, leurs administrations, leur justice et leurs lois; toutes les limites furent abolies, les administrations, les juridictions diverses confondues en une et même organisation. En un mot, il y eut une France homogène, une et in

divisible, comme on disait alors. Le rêve des gens de bien de tous les siècles se trouva réalisé. La France était constituée. L'empire vint à son tour qui organisa la révolution, et dota le pays du Code civil, le plus beau monument de la civilisation moderne, le vrai livre de la démocratie sociale.

Depuis cette époque, et sous chacun des gouvernements qui se sont succédé, on a vu l'instruction s'infiltrer chaque jour davantage dans les classes les plus humbles du corps social, et avec elle l'aisance et la moralité. C'est que le travail prenait dans les mœurs et dans l'opinion la place qui lui était due, et acquérait en considération le prix du bien-être et de la fortune qu'il répandait dans la société.

Et cependant, malgré cette incontestable amélioration dans les classes laborieuses, trois révolutions se sont produites dans l'espace de quarante-trois ans ; la forme du gouvernement a été changée trois fois dans son principe.

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