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CHAPITRE III

MODES D'ÉTABLISSEMENT et d'extinction.

Très généralement les auteurs énoncent deux modes d'établissement des servitudes: 1° par titre, c'est-à-dire par les traités; 2° par prescription. Cependant la souveraineté devant toujours être présumée intégrale - il nous paraît difficile qu'une servitude puisse exister en l'absence d'une convention expresse.

La prescription est le résultat d'un usage immémorial et constant emportant reconnaissance tacite de la servitude par l'Etat servant. Mais est-il admissible que la coutume, si ancienne qu'on la suppose, donne naissance à un droit perpétuel? Un Etat ne peut pas perdre la faculté de modifier sa volonté dans l'avenir à moins de s'y être engagé formellement.

Une partie de la doctrine voit une servitude à la charge du royaume d'Italie dans la situation de la Papauté (1), et un excellent auteur, M. Bonfils, écrit : « En

(1) «Enfin n'est-ce pas une servitude négative imposée au royaume d'Italie cette obligation qu'il a prise à sa charge par la loi dite de garantie du 13 mai 1871 d'accorder au Pape des honneurs souverains et de reconnaître un droit d'exterritorialité à son palais et aux bâtiments occupés par les personnes formant sa cour? Cette loi n'est pas un traité, il est vrai, mais elle oblige l'Italie vis-à-vis de tous les

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accréditant des envoyés diplomatiques auprès du StSiège, en recevant ses nonces et ses légats, les divers Etats d'Europe et d'Amérique ne se sont-ils pas approprié par leur adhésion, les dispositions de la loi italienne el ces dispositions ne sont-elles pas devenues usu et consuetudine des règles internationales » (1)? Il faudrait tout au moins que l'Etat italien partageât cette opinion; or il a toujours déclaré que la loi des garanties du 13 mai 1871 fait partie de son droit public interne et que le pouvoir législatif qui l'a votée a toute compétence pour la modifier ou l'abroger. Il serait antijuridique que la tolérance pût engendrer une obligation alors que l'intéressé a fait savoir clairement qu'il attache une tout autre signification à son attitude.

La prescription en droit international a pour unique rôle de faire acquérir à un Etat la souveraineté d'un territoire qu'il gouverne et possède cum animo domini depuis un long temps, sans contestation. La paix générale exige que l'origine des souverainetés ne puisse pas être remise sans cesse en question; le temps doit effacer les vices originaires de l'acquisition et créer un titre régulier. Mais l'effet produit serait une source de conflits si la prescription s'étendait de la pleine souveraineté à tous ses démembrements.

Au point de vue de la forme, les servitudes étant des

Etats catholiques à cause du caractère international du chef suprême de l'Eglise. » Pradier-Fodéré, t. II, p. 682.

(1) Manuel de droit international public, p.187.

clauses portant abdication de quelque parcelle de souveraineté, on commet une tautologie quand on dit qu'elles sont soumises aux mêmes causes d'extinction que les traités. Il est manifeste que les conventions internationales sont de plusieurs sortes; un traité conclu à la fin d'une guerre ne peut pas être assimilé, en ce qui concerne son régime, à un traité de commerce qui constate l'accord de volontés parfaitement libres. S'il existe des causes d'extinction communes à toutes les conventions telles que la confusion ou réunion sous la même souveraineté des territoires des Etats contractants, l'expiration du terme convenu, la résolution par consentement mutuel, il y a aussi des règles spéciales à chaque catégorie.

Que deviennent les servitudes lorsque l'un des Etats intéressés vient à disparaître ? Dans le cas d'annexion à un autre de l'Etat dominant, elles s'éteignent ipso facto; cette solution radicale s'impose quand on pense qu'une servitude ne crée jamais un lien de territoire à territoire.

Le bénéficiaire étant une personne est exposé à mourir, l'obligation suivra son sort. Et qu'on n'objecte pas que l'Etat annexant succède aux droits du défunt. Même les servitudes réelles (celles qui mettent en présence un Etat et un territoire) ne sont pas assimilables à un droit d'usufruit, cessible à la volonté de l'usufruitier; la considération de la personne indifférente en droit civil est capitale en matière de droit internatio

nal. Nous pensons que l'Etat dominant est le sujet d'une double incapacité : 1° de son vivant il ne peut pas déléguer à un autre l'exercice de ses droits; 2° il ne peut pas les transmettre à sa mort, parce que le plus long terme pour lequel il les possède, c'est la durée de son existence en tant que personne souveraine.

La situation est différente au cas de disparition de l'Etat servant; la question de la survivance des droits réels revient à se demander si les Etats ont capacité pour consentir des aliénations définitives de leur puissance territoriale. Nous pensons que la propriété est la base indispensable de la souveraineté, mais base trop large, support plus robuste que ne l'exigent les proportions de cette souveraineté pour ainsi dire amenuisée par le droit des gens. Aussi l'Etat peut-il amoindrir son droit de propriété, en abdiquer la partie superflue et cela définitivement. Un successeur le recueille tel qu'il le trouve. Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet.

Mais la souveraineté ne peut pas être ainsi démembrée une fois pour toutes. L'héritier du territoire n'est pas le continuateur de la personnalité de l'Etat défunt; il acquiert la souveraineté franche et libre. La difficulté est de distinguer nettement les droits réels qui restreignent seulement la propriété de ceux qui restreignent la souveraineté. L'Etat annexant sera fort enclin à prétendre que toutes les obligations assignées sur le territoire gênent l'exercice de la souveraineté mais son ap

plication ne saurait prévaloir contre les règles du droit des gens; qu'il les viole ou s'y conforme, c'est une question de politique.

En somme les servitudes indépendantes de la disparition de l'Etat qui en est chargé sont très rares même en théorie - raison de plus pour penser que les servitudes ne sont presque jamais des servitudes réelles.

Cette opinion que les obligations restrictives de la souveraineté s'éteignent fatalement par la mort de l'Etat grevé s'appuie sur une théorie plus générale que nous formulerons ainsi :

La succession d'Etat à Etat est une transmission de patrimoine et non de situation politique.

L'Etat annexant est subrogé intégralement aux droits et charges patrimoniaux du défunt; donc pas de lésion ou de gain immérité pour personne, de ce côté. Quant à ceux qui jouissiaent d'un privilège d'ordre politique, ils n'en sont pas injustement dépouillés parce que leur droit était subordonné à une condition résolutoire qui s'est réalisée ; ils devaient s'attendre à cette éventualité,

Naturellement cette solution suppose une annexion forcée. Si l'Etat servant se réunissait à un autre de son propre mouvement, il devrait soit obtenir l'exonération de ses charges, soit faire de leur maintien une condition expresse de sa réunion à l'autre Etat; sinon le sort de l'obligation dépendrait de la volonté de l'obligé.

Que se passe-t-il lorsque l'Etat servant, au lieu d'être annexé,subit un démembrement? Comme la personna

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