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lité est indépendante de l'étendue du territoire, en règle générale il n'y a rien de changé. Exceptons toutefois le cas où la servitude est exécutoire précisément sur la partie qui a fait l'objet du démembrement. La solution est alors identique à la précédente : les servitudes restrictives de la souveraineté disparaissent, celles qui n'entravent pas son action persistent. Mais voilà, peutil exister des servitudes de cette dernière catégorie ? La majorité des auteurs répond affirmativement quoiqu'elle définisse les servitudes des restrictions à la souveraineté. Comment sortir de cette contradiction? Le seul moyen c'est de s'attacher à déterminer l'élément qui prédomine dans le mélange intime que forment la propriété et la souveraineté ; voir si l'action gouvernementale est entravée dans une mesure appréciable ou négligeable sinon nulle. Ainsi, de l'avis unanime, les conventions relatives à la navigation des fleuves internationaux survivent à l'annexion et au démembrement. Nous arrivons au même résultat par un chemin plus direct, nous semble-t-il, au lieu de dire que les conventions fluviales subsistent quoique étant des servitudes, nous disons qu'elles subsistent tout naturellement parce qu'elles n'en sont pas. Est-ce qu'un Etat pourrait interdire la navigation sur un fleuve international sans commettre un abus de pouvoir, sans violer le principe proclamé au Congrès de Vienne (article 109) : « La navigation des rivières qui dans leur cours navigable séparent ou traversent différents Etats, du point où cha

cune d'elles devient navigable jusqu'à leurembouchure, sera entièrement libre et ne pourra sous le rapport du commerce être interdite à personne », principe que tous les Etats ont signé ou auquel ils ont adhéré ?

Les fleuves internationaux de même que la mer territoriale font partie du domaine public international (1); les conventions qui en règlent l'usage ne sont que la mise en œuvre d'un droit inviolable et imprescriptible. Elles peuvent être modifiées par l'Etat annexant, mais tant qu'il ne l'a pas fait, elles subsistent de plein droit. Nous voyons en elles des traités ne faisant pas une situation privilégiée à l'une des parties, ni ne contenant aucune obligation anormale, par conséquent dénués du caractère politique.

Le non-usage est une forme de la renonciation tacite. Il ne serait pas juste qu'un Etat conservât un privilège qu'il néglige d'exercer et qu'il reconnaît par là même inutile; le principe de l'indépendance plénière tend à prévaloir sur l'exception. Cependant le non-usage a besoin d'être nettement caractérisé. Par exemple un Etat jouissant d'une servitude de passage pour ses troupes ne peut être considéré comme y renonçant par le fait qu'il n'en a pas usé dans une occasion; plusieurs abstentions sont nécessaires et la majorité des auteurs enseigne que le non-usage doit se prolonger pendant

(1) C'est-à-dire qu'aucune de leurs parties ne peut être l'objet d'un droit d'usage exclusif au profit des nationaux de l'Etat riverain; mais ce principe laisse entière la souveraineté de l'Etat.

une génération. D'ailleurs la renonciation induite du non-usage se présentera rarement. Si l'Etat dominant tient à la servitude il signifiera à l'Etat grevé que ses abstentions n'impliquent pas l'abandon de son droit, et s'il n'y tient pas, il ne fera pas de difficulté pour y renoncer expressément, au besoin moyennant indemnité. Il n'en est pas moins vrai que la servitude pour conserver sa valeur doit répondre à un besoin, c'est-à-dire être effective.

Dans les traités qui doivent produire des effets successifs, surtout lorsque la durée de l'exécution est indéterminée, les contractants se réservent habituellement la faculté de mettre fin à leur engagement par une manifestation unilatérale de volonté ; c'est la dénonciation.

Même il n'est pas nécessaire que cette faculté soit expressément réservée, car la clause rebus sic stantibus est toujours sous-entendue. Cette clause signifie que le traité conclu sous l'influence de causes résultant de la situation respective des parties est subordonné à la persistance de ces causes. En matière de servitudes qui sont très généralement stipulées sans détermination de durée la dénonciation ne se comprendrait pas, car elle aurait pour effet de rendre l'obligation à peu près illusoire. Par contre, la clause rebus sic stantibus est susceptible d'être invoquée. Reste à savoir comment s'opèrera la résiliation. Suffit-il que l'Etat grevé déclare que la servitude est devenue incompatible avec la situation

nouvelle qui lui est faite? Assurément non, ce serait retomber dans la dénonciation unilatérale. Il faut donc qu'il y ait entente commune.

L'Etat qui veut recouvrer sa complète liberté d'action expose sa requête à celui ou ceux envers qui il est tenu et s'efforce de les convaincre. Au besoin il pourra recourir à la médiation d'une tierce puissance, à l'arbitrage même pourvu que l'Etat dominant y consente. Exceptionnellement la servitude sera rachetable contre le gré du bénéficiaire lorsqu'elle est en flagrant désaccord avec l'organisation politique du pays. Ainsi certains princes allemands possédaient des droits seigneuriaux sur les territoires qui formèrent plus tard les départements du Haut et du Bas-Rhin. Il est certain que le maintien de ces droits était incompatible avec la nouvelle organisation inaugurée à la Révolution. L'Assemblée nationale « considérant qu'il ne peut y avoir dans l'étendue de l'empire français d'autre souveraineté que celle de la nation » les abolit moyennant une indemnité (1).

L'exemple de la Russie en octobre 1870 doit être énergiquement blàmé. Profitant du désarroi causé en Europe par la guerre franco-allemande, le chancelier prince Gortschakoff fit tenir aux cabinets européens intéressés une note déclarant que « Sa Majesté l'empereur de Russie ne saurait se considérer plus longtemps

(1) De Clercq, Recueil des traités de la France, t. II, p. 209.

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comme lié par les obligations du traité de 1856 en tant qu'elles restreignent ses droits de souveraineté sur la mer Noire (1). Entre autres motifs allégués il était dit que le traité de Paris, ayant subi de nombreuses modifications notamment par le fait de l'érection de la Moldavie et de la Valachie en principauté de Roumanie, devait être tenu pour caduc; de plus, que les prescriptions des articles 11, 13 et 14 exposaient la Russie à un grand danger maintenant que les navires de guerre pourraient, grâce au cuirassement, franchir les détroits malgré l'opposition de la Turquie.

L'Europe était trop divisée à ce moment pour refuser satisfaction à la Russie sur le fond de ses prétentions. Devant les protestations de l'Angleterre le chancelier russe consentit (sans la provoquer) à la réunion d'une conférence à Londres qui d'ailleurs se termina par un bill d'indemnité à l'égard du fait accompli. Cependant un protocole du 17 janvier 1871 enregistra la déclaration suivante: « Les plénipotentiaires de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Autriche, de l'Italie, de la Russie et de la Turquie réunis, reconnaissent que c'est un principe essentiel du droit des gens qu'aucune puissance ne puisse se libérer des engagements d'un traité ni en modifier les stipulations qu'à la suite de l'assentiment des parties contractantes au moyen d'une entente ami cale. >>

(1) Archives diplomatiques, 1873, t. III.

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