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disparaître sans résistance pour revenir ensuite vaincre sans combat.

A cette mesure solennellement et itérativement promise, on en ajouta d'autres qui furent également approuvées. Un ministre de la guerre, à la fois loyal et constitutionnel, devait profiter des ressources militaires; des commissaires patriotes devaient traverser les départemens en unissant le nom du Roi à toutes les idées de liberté; le choix des hommes devait garantir la réalité des choses et la sincérité des intentions; des proclamations royales devaient parlerau peuple le langage de 1789. L'une de ces proclamations fut rédigée devant un homme actuellement pair de France. Elle contenait les assurances les plus formelles que le Roi se réunissait non-seulement aux intérêts, mais aux principes de la liberté. Cette proclamation fut, dit-on, soumise au Roi, et son approbation lui fut accordée. On proposa, de plus, de compléter la Chambre des députés, déconsidérée depuis qu'elle avait violé la constitution dans la question de la liberté de la pressse, et d'augmenter le nombre des pairs en élevant à cette dignité les membres les plus éminens de l'assemblée constituante, et en fortifiant ainsi, de l'appui des souvenirs les plus purs, la monarchie menacée. Les traces de ces propositions se retrouvent dans le projet de loi

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UNIV. OF CALIFORNIA

présenté par
le ministre de l'intérieur le 13 mars
(Moniteur du 14). Le complément de la Chambre
des députés pouvait au moins, pour Paris et pour
les départemens voisins, s'effectuer en peu de
jours, et ranimer l'esprit public dans les provinces
éloignées où cette opération eût été plus lente.
La Chambre des pairs pouvait être renforcée en
peu d'heures par des hommes courageux dont la
voix populaire eût donné à la France cet ébran-
lement unanime que l'éloquence et la vérité im-
priment toujours aux nations sensibles et géné-

reuses.

Quant aux précautions et aux opérations purement défensives, il était naturel de penser que le Gouvernement s'en occuperait de lui-même, et l'on se borna à le solliciter de donner pour chefs aux soldats des hommes associés à leurs anciens triomphes, et qui leur inspirassent cette confiance morale, garantieou supplément de la subordination militaire. Mais on espérait aussi que ces chefs ne resteraient pas sans instructions, sans directions, astreints, par des injonctions formelles, à n'agir que d'après des ordres qui ne leur étaient point transmis, et forcés à une inaction funeste par l'absence, le retard ou l'insuffisance de ces ordres(1).

(1) Voyez le procès du maréchal Ney.

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Ces diverses mesures, qui devaient s'exécuter simultanément, et qui étaient essentiellement liées les unes aux autres, auraient-elles suffi pour sauver le trône et la liberté? Je ne puis m'empêcher de remarquer que le doute qu'on exprime à cet égard, ne fait qu'attester le dévouement des constitutionnels, puisqu'il en résulte qu'ils exposaient leur vie pour une chance fort incertaine. Quant à la question en elle-même, on ne peut maintenant la résoudre ni dire ce qui serait arrivé, si l'on eût fait ce qu'on a négligé de faire. Beaucoup de gens sont intéressés à prétendre que le mal était sans remède; et ceux qui se sont enfuis, et qui, comme on le verra, ont forcé le Roi à les suivre malgré lui, doivent, pour leur honneur, établir que la fuite était ce qu'il y avait de mieux. Toutefois, ce qui rend vraisemblable qu'une conduite conforme au vœu général aurait pu obtenir quelque succès, c'est l'effet que produisit le pou qu'on essaya dans ce sens ; par exemple, la séance royale du 16 mars. Si la confiance eût été complète, si le maréchal Soult eût été remplacé par quelque ministre connu par son attachement à la liberté, qui peut affirmer que cette conduite loyale n'eût pas été d'un heureux effet? Quoi qu'il en soit, çes mesures, efficaces ou non, étaient les seules qu'on pût essayer. On s'était engagé à les adopter.

Lorsque je dirai comment l'engagement fut rempli, l'on verra que ce ne fut pas le Roi, que ce ne furent pas les amis de la liberté qui manquèrent à leur parole.

LETTRE VIII.

Départ du Roi.

J'AI retracé, dans ma dernière lettre, les efforts des constitutionnels qui se dévouaient pour une cause à peu près désespérée. J'ai maintenant à parler d'un autre parti, qui n'agissait point pour sauver la France, mais qui, au contraire, semblait vouloir rendre le mal sans remède, afin de recourir à un remède plus affreux que le mal.

Pour concevoir la marche dont ce parti fit choix avec un genre d'habileté qui n'est accordé qu'aux hommes indifférens au sort de l'humanité et de leur patrie, il faut suivre cette marche pas à pas, jour par jour, heure par heure. En l'examinant de la sorte, on découvre deux époques bien distinctes, deux mouvemens successifs et en apparence opposés.

"Le premier de ces mouvemens eut évidemment pour but de profiter du retour de Bonaparte, pour

détruire tout ce que la restauration de 1814 avait été forcée de conserver de la révolution de 1789. Au lieu d'adopter des mesures populaires et préservatrices, les royalistes exagérés en proposèrent d'injustes et d'illégales. Tandis que les constitu→ tionnels étaient réunis autour du trône, en faveur de la liberté, et cherchaient à sauver la France en satisfaisant au vœu national, sans sacrifier l'autorité nécessaire du Monarque, les hommes dont je viens de parler ne concevaient que des coups d'état; ils voyaient dans l'évènement qui plaçait la patrie au bord d'un abyme, une heureuse occasion de déchirer la Charte, et ils ne voulaient pas laisser échapper cette occasion. Ils répétaient que ceux qu'ils nommaient les Bonapartistes, devaient être combattus avec les mêmes armes que Bonaparte avait employées, comme si Bonaparte n'était pas tombé précisément pour avoir employé ces armes. Ils recommandaient une dictature, une suspension de tous les droits individuels, des arrestations innombrables, des tribunaux extraordinaires et tout le cortège de la tyrannie qui affecte de trembler afin de pouvoir sévir.

C'est à ces propositions violentes, propres à redoubler le mécontentement universel en traitant les suspects comme des condamnés, et les innocens comme des coupables, que je faisais allusion dans

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