Page images
PDF
EPUB

et ils n'auraient pas adopté un plan dont l'émigration était le moyen et pouvait être le terme.

que

Attribuera-t-on le départ du Roi aux Chambres? Mais M. Lainé était si loin de regarder ce départ comme possible, qu'il s'écriait dans un des discours que j'ai cités : De quels traits nous peindrait l'Histoire, si nous laissions enlever le Roi du milieu de nous !.... Quand, le 17, le même orateur disait la Chambre des députés proposerait à l'intime confiance de Sa Majesté des mesures efficaces, supposera-t-on que ces mesures fussent que le Roi partit le 19? Quand, le 18, M. Sartelon et le général Augier voulaient que la guerre fût déclarée nationale; quand un autre député retraçait avec énergie tout ce qui pouvait éloigner les Français de Bonaparte, pense-t-on qu'ils s'attendissent à le voir entrer le surlendemain dans Paris abandonné?

A qui faut-il donc remonter, si ce n'est au parti qui s'était placé comme une barrière de fer entre le Monarque et la Nation? Ce parti a plané comme un mauvais génie sur les délibérations de la cour; il a trompé les intentions royales; il a vaincu la volonté d'un prince qu'il cernait obstinément; il a profité de son influence pour entraîner ce prince dans un départ contraire à ses intérêts, et qui devait livrer la France à huit cent mille étrangers.

M. de Châteaubriant appelle ce parti les vétérans de l'exil. Il y a des vétérans de la fuite. Ceux qui avaient abandonné Louis XVI, ont entraîné Louis XVIII. Ils peuvent être des sujets fidèles; mais ce sont des serviteurs déplorables. Ce parti seul, jusqu'au dernier moment, fut instruit de ce départ qu'il avait rendu nécessaire. Le 18 même, le Moniteur parlait encore de l'organisation rapide de la compagnie des gardes du Roi et des postes assignés aux troupes. Le Moniteur du 19, dans un article officiel, mettait le départ du Monarque au rang des fables absurdes et des mensonges coupables répandus par les adhérens de Bonaparte. Enfin, M. de Forbin, lieutenant-général, raconte dans le Mémoire justificatif qu'il a publié en faveur de son fils, banni de France après le Sjuillet, que le 20 mars, en sa qualité de commandant des volontaires royaux, il se rendit aux Tuileries à une heure après midi pour demander à M. de Latour-Maubourg, commandant-général, les ordres du Roi, et qu'on lui répondit qu'il n'y avait point d'ordres. Ainsi ceux mêmes qui s'étaient armés pour sa cause n'étaient pas instruits, le 20 mars à midi, qu'il était parti dans la nuit du 19.

Les voeux de ceux qui avaient désiré le départ du Roi furent accomplis. L'effet fut immédiat; les conséquences irréparables. La question changea.

Ceux qui avaient voulu entourer le Roi constitutionnel, virent que le sol allait être envahi, et. que c'était le sol qu'il fallait préserver.

On m'a reproché, dans un libelle, de ne m'être pas fait tuer auprès du trône que, le 19 mars, j'avais défendu; c'est que, le 20, j'ai levé les yeux, j'ai vu que le trône avait disparu, et que la France restait encore.

Ce sentiment qui était le mien, était et devait être le sentiment universel. « Les nouvelles de >> l'occupation de Paris, écrivait le préfet des Hautes» Alpes, ont rangé la population du côté de Bo>> naparte. >> Celui de Toulouse, en déposant ses pouvoirs, exhortait ses administrés à ne pas essayer une résistance superflue. « L'antique trône >> des Bourbons est tombé, disait-il; le chef de >> cette auguste famille a quitté la France. »

Le drapeau tricolore lui-même, que tant de souvenirs rendaient cher à la nation, ne fut arboré dans la plupart des villes qu'après la certitude du départ du Roi. Cette vérité résulte du Moniteur, et l'on peut s'en convaincre en calculant les distances, sauf un très petit nombre d'exceptions, tenant à des circonstances particulières. Il flotta sur les murs d'Evreux le 22 mars, mais il ne fut arboré à Bayonne que le 3, et à Draguignan que le

10 avril. Ce ne fut que le 11, que l'étendard royal disparut de tout l'empire (1).

LETTRE IX.

Qu'il n'y a point eu de conspiration avant le

20 mars.

Les auteurs du départ du Roi, pour repousser la responsabilité terrible qui résulte des faits que j'ai retracés dans ma dernière Lettre, ont prétendu qu'une vaste conspiration, préparée avec art, ourdie en silence, avait présidé à l'entreprise de Bonaparte et assuré son succès; mais l'examen des faits leur ôte encore cette dernière ressource.

Je ne veux point nier qu'un homme qui avait gouverné durant quatorze années un immense empire, qui avait créé tant d'existences, distribué tant de trésors, auquel tant d'espérances s'étaient rattachées, n'ait dû conserver, malgré ses malheurs et malgré ses fautes, parmi ses obligés innombrables, un petit nombre d'amis fidèles et de cœurs reconnaissans. Des correspondans assidus.

(1) Voyez le Moniteur de l'époque.

1

ont pu lui rendre compte de l'état de la France. Leurs lettres ont pu lui exprimer des vœux pour son retour, de l'intérêt pour son sort. Il a pu entretenir, en un mot, des intelligences très naturelles, mais qu'on avait soin de tenir secrètes, pour n'être pas suspect à l'autorité. Ces intelligences n'ont pas même dû se borner à la France. Bonaparte avait soudoyé tant d'hommes éminens dans les cabinets étrangers, que mille rapports ont dû exister entre l'île d'Elbe et les cours où se trouvaient plusieurs de ses anciens stipendiaires. Aucun traité, aucune mesure de précaution, n'avaient prescrit à son frère Joseph, retiré en Suisse, d'abjurer des affections de famille; mais entre ces relations de souvenir ou de parenté, relations qui alors ne paraissaient pas même coupables, et qui ne se rattachaient à aucun lien commun, à aucun centre régulateur, et une conspiration, la différence est. grande.

Si l'on prétendait représenter comme telle une tentative dont le but et les détails sont toujours restés très obscurs et très vagues, et dans laquelle, à la même époque, quelques généraux furent conpromis, il serait facile de démontrer que ce projet, quel qu'il ait pu être, loin d'avoir été combiné avec le débarquement de Bonaparte, fut au contraire dérangé par ce débarquement; car il occasionna

« PreviousContinue »