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voyaient, dans l'adversaire obligé de la contrerévolution dont on leur avait inspiré la crainte, un défenseur rendu à la liberté. M. de Lafayette était loin de partager ce sentiment. Quoiqu'il aperçût du côté de l'exagération royaliste, une hainé dont il avait reçu de récens témoignages; de l'autre, une disposition qui eût été bienveillante, s'il ne l'avait pas repoussée; d'un côté les souvenirs de sa captivité d'Olmutz, de l'autre ceux de sa délivrance, il n'apportait de sa retraite que des vœux contraires à Napoléon. Sa disposition fut bientôt connue. On lui demanda si, dans la ligue de ses opinions, l'on pouvait compter sur lui : il se dévoua sans hésiter.

On ne résiste guère à la tentation de se placer dans les rangs où l'on rencontre M. de Lafayette. Je dirai donc, au risque d'être accusé d'amourpropre, que des motifs d'une nature analogue me dictèrent la même conduite dans la même circonstance. J'avais, dans mes écrits, combattu plusieurs des actes du ministère; je venais d'essuyer des attaques officielles de la part d'un ministre en faveur, au sujet de mon ouvrage sur la responsabilité; je n'avais prêté aucun serment; je ne remplissais aucune fonction; je n'avais nul devoir de prendre le parti d'un gouvernement qui me traitait avec malveillance; je n'hésitai point cependant.

Les articles signés de moi, dans les journaux contenaient ce qui a peut-être été dit de plus véhément, de plus propre à soulever les Français et à les rallier autour du Roi qui régnait par la Charte. Ces articles sont assez connus. Ils m'ont été suffisamment reprochés par ceux avec qui j'offrais d'exposer ma vie, mais non de tourner mon bras contre mon pays. Je publiai le second de ces articles lorsque Bonaparte était à Fontainebleau.

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Les membres de l'opposition, dans la Chambre des députés, agirent avec la même franchise et le

même zèle.

Mais, en se dévouant ainsi pour soutenir le trône contre une invasion inattendue, les constitutionnels avaient bien le droit de proposer les mesures sans lesquelles ils prévoyaient que leur dévouement serait inutile. Ces mesures ne pouvaient être qu'un retour sincère aux maximes de la Charte, et l'adoption frånche, non-seulement de ces intérêts accidentels que les révolutions introduisent dans l'état social des peuples, mais aussi des principes dont l'oubli produit les rêvolutions, principes que la Nation avait proclamés en 1789, loin desquels la terreur l'avait entraînée en dépit d'elle-même en 1793, vers lesquels elle avait espéré revenir en 1800; et qu'elle avait,

en 1814, puni Bonaparte d'avoir méconnus ou dédaignés.

Avant de détailler ces mesures, je crois devoir répondre à une objection plausible qui m'a été souvent opposée par ceux avec qui je me suis entretenu des évènemens de 1815. Toute résistance n'était-elle pas inutile? Aussitôt que Bonaparte eut touché le sol de la France, son triomphe n'était-il pas assuré? Que servait donc un péril sans but? Quand le succès est impossible, la persistance dans un vain effort ne cesse-t-elle pas d'être du courage? Ne devient-elle pas de l'ostentation et de la folie?

LETTRE VI.

Du genre de popularité de Napoléon à son retour de l'ile d'Elbe.

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Les chances de succès qui s'offraient à Bonaparte, indépendamment des fausses mesures, de l'apathie et du découragement de ses adversaires, tenaient à la nature de la popularité qui l'environnait, au moment de son apparition sur les côtes de

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France. Il faut donc, pour apprécier à sa juste valeur l'influence que devait avoir cette popularité, rechercher auprès de quelles classes il était populaire.

En commençant cette recherche, je me sens gêné par deux impressions contraires. Je ne puis expliquer pourquoi, dans mon opinion, Bonaparte avait à son retour plusieurs classes de la Nation contre lui, sans rappeler ses fautes; et je ne voudrais néanmoins, à aucun prix, moi qui ne l'ai jamais flatté pendant sa puissance, me classer parmi ceux qui l'insultent après l'avoir encensé.

Heureusement, j'aurai des occasions naturelles de prouver que la vérité seule me dirige, quand j'expliquerai en quoi Napoléon, après le 20 mars, me parut différent du Napoléon qui avait asservi la France et l'Europe; je ferai ressortir ces différences avec la même franchise avec laquelle je vais m'exprimer sur son administration antérieure. Je dirai alors pourquoi, après son retour, j'ai cru la liberté possible, sous le Gouvernement qu'on l'obligeait d'établir, comme j'explique maintenant pourquoi, lorsqu'il reparut, l'on dut redouter-sa tyrannie.

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Bonaparte, lors de son abdication, n'était certainement pas populaire auprès des citoyens éclai

rés. Il les avait blessés dans l'exercice de leurs facultés les plus précieuses, dans l'indépendance de leurs opinions, dans la manifestation de leurs pensées. Il avait, comme en la frappant d'un sceptre magique, arrêté les progrès politiques et moraux de l'espèce humaine, qui, durant les douze années de son règne, brillant d'ailleurs d'une gloire immense, s'était sentie comprimée sous un poids énorme, et retenue dans une douloureuse immobilité.

Les amis de la révolution, qui ne connaissaient point encore par expérience les fureurs contre-révolutionnaires, avaient su peu de gré à Bonaparte de la protection dont il entourait les résultats matériels de cette révolution, qu'ils ne croyaient point menacés, et s'étaient irrités de voir anéantir ses résultats moraux, et tromper ainsi leurs plus belles espérances (1).

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(1) H est à remarquer que cette distinction entre les résultats matériels et les résultats moraux de la révolution, distinction proclamée avec tant d'emphase par ses ennemis actuels, est une invention de Bonaparte. En fait de despotisme, les hommes d'aujourd'hui n'ont pas même le triste mérite de l'originalité. Ridicules copistes d'un terrible modèle, ils n'ont aucune de ses qualités brillantes, ni la force, ni le talent, ni l'étendue, ni la profondeur, ni le succès, qui, pour le moment du moins, supplée à tout: il ne leur reste que les principes. L'on conviendra que c'est avoir mal choisi ce qu'on voulait garder.

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