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Tant que Napoléon fut heureux tout alla bien. Mais, entre la puissance et de tels hommes, il existe toujours une condition tacite, c'est le succès. L'adversité leur semble de droit une clause résolutoire.

Napoléon tombant, ils avaient porté ailleurs leur intelligence, leur activité, leur zèle. Comme la conscience seule est modérée, ils n'avaient pu l'être ; et parmi les agens les plus fougueux de la faction contre-révolutionnaire, on pouvait, avant le 20 mars, compter des agens non moins fougueux du despotisme impérial. Ceux-là témoignèrent une horreur profonde à l'idée que le régime sous lequel ils s'étaient formés, se rétablirait : et, comme je l'ai dit ailleurs, des Tigellins de douze ans se réveillèrent des Traséas de trois mois. Je ne décide point si ce fut le fruit d'un repentir sin-. cère. J'aime à croire tout ce qui est honorable pour notre nature, et je me fais un plaisir de passer par dessus les vraisemblances. J'admets donc qu'ils craignaient de redevenir les exécuteurs de ce qu'ils avaient blâmé si amèrement. L'un d'eux me disait à ce sujet : « Il ne faut plus que cet homme règne: >> il me ferait faire encore cinquante infâmies. »

Bonaparte n'avait donc pour lui, ni la totalité de l'armée, ni les amis des lumières, ni les nobles, ni les négocians, ni même la majorité des acqué→

reurs de biens nationaux, ni enfin le plus grand nombre de ceux qui avaient commencé sous lui leur carrière, mais qui auraient voulu la poursuivre sous le Roi. Ses partisans véritables étaient les habitans des campagnes, qui avaient qui avaient peu souffert des vices de son administration antérieure, la conscription exceptée, et qui avaient eu à suppor ter, plus que toute autre classe, les outrages de la noblesse, dont l'arrogance, durant sa courte prospérité, venait de réveiller des haines un peu amorties par ses longs malheurs. Ce fut par ces campagnards que Bonaparte se vit entouré, porté en triomphe, dès qu'il eut touché le sol de la France (1).

La popularité de Bonaparte laissait donc beau

(1) Si l'on croyait voir une contradiction entre ce que je dis maintenant et ce que j'ai dit dans une lettre antérieure, du mécontentement universel que le Gouvernement avait excité, ce serait à tort. J'ai déjà observé que ce mécontenlement n'avait aucun rapport avec l'arrivée de Bonaparte. La gravité des circonstances créées par son retour, frappait tous ceux qui se voyaient jetés inopinément au milieu d'incalculables orages. La fable de la Mort et du Bucheron se réalisait pour beaucoup de gens qui, dans leur irritation qui était juste, dans leur crainte qui était exagérée, dans leur impatience qui était imprudente, avaient formé vaguement des vœux assez confus, dont l'accomplissement produisait en eux, au lieu d'espérances, des alarmes; au lieu de satisfaction de l'effroi.

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coup de chances à une résistance combinée avec tous les actes de réparation et de justice qui auraient apaisé la classe mécontente; et les constitutionnels, qui croyaient que le triomphe de Bonaparte serait un malheur, purent, sans obstination et sans folie, vouloir mettre à profit ces moyens de résistance. Le succès ne leur paraissait pas assuré, mais il leur semblait désirable et possible.

D'ailleurs admettons qu'il y eût difficulté et incertitude ne faut-il donc rien risquer dans la vie, et dès qu'il y a péril, doit-il y avoir débandade? Je ne le pense pas. Faire dans chaque circonstance ce qu'il y a de mieux, mériter le succès, si on ne l'obtient pas, et, si l'on est vaincu, partir de sa défaite même pour être encore utile, telle a été, telle sera toujours ma règle de conduite.

LETTRE VII.

Conduite du parti constitutionnel dans le moment du danger.

J'AI dit qu'en se dévouant pour soutenir le trône

constitutionnel, les amis de la liberté demandèrent les mesures qui leur semblaient indispensables pour leur dévouement ne fût pas inutile.

que

La première de ces mesures était de changer le ministère. La nécessité de ce changement était universellement reconnue.

Mes Lettres précédentes ont, je crois, suffisamment indiqué pourquoi les ministres d'alors ne possédaient pas la confiance publique. Mais, dans la circonstance particulière qui donnait lieu à tant d'inquiétudes, ils avaient, de plus, encouru le soupçon d'une négligence impardonnable. L'opinion, peut-être exagérée, peut-être injuste, les accusait, tantôt, d'avoir laissé l'administration des postes devenir l'instrument, pour ainsi dire officiel, de l'ennemi; tantôt, d'avoir souffert que Bonaparte arrivât sur des bateaux de pêcheurs, quand une seule frégate aurait empêché son débarque

ment.

Le ministère s'était encore détérioré, chose étrange, par l'accession d'un homme que sa vie antérieure, la carrière qu'il avait fournie, les services qu'il avait rendus, les récompenses qu'il avait reçues, semblaient lier étroitement à la cause de la révolution, ou du moins à celle du gouvernement que la restauration avait renversé. On prévoit que je veux parler du maréchal Soult : et certes c'est avec regret que j'en parle pour blâmer certaines portions de sa conduite ministérielle. Je n'oublierai jamais qu'il a long-temps et vaillam

ment combattu pour la France. Je lui saurai gré toujours de cette mémorable bataille de Toulouse, précieuse sur-tout parce qu'elle a montré qu'il n'était pas impossible de vaincre un général que la fortune avait pris à tâche de favoriser, pour constater mieux qu'elle dispose de la gloire à elle seule, et que sa main capricieuse place les lauriers partout où elle veut. Enfin, le maréchal Soult est devenu en quelque sorte sacré par la longue et injuste proscription qu'il a subie. Si cette proscription n'eût pas trouvé son terme, nul n'aurait aujourd'hui le droit de le juger. Le devoir de tous serait de le plaindre et de le défendre. Mais il est de retour dans sa patrie, et l'Histoire a repris, sur ses actes publics, sa juridiction imprescriptible. D'ailleurs, je suis loin d'inculper ou ses intentions ou son caractère. J'aurai même plus tard l'occasion de réfuter des imputations de trahison dont l'absurdité m'a toujours frappé. Je ne lui reproche que deux imprudences dont les conséquences furent déplorables. L'une est le projet du monu→ ment de Quiberon, l'autre la persécution du général Excelmans.

L'effet que produisit, sur tous les partisans de la révolution, le projet du monument de Quiberon, doit être assez présent à la mémoire de mes lecteurs, pour que je ne m'arrête pas à le détailler;

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