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gnanimité qu'il attribuait à la seule nation qui eût persévéré à lui résister. En le peignant tel qu'il m'a paru être dans ces circonstances diverses, je cours risque, je le sais, de déplaire à tous les partis. Je ne satisferai point ceux que de nombreux bienfaits, les illusions de la gloire, et une reconnaissance dont il est loin de ma pensée d'atténuer le mérite, attachent à un homme que j'ai vu revenir avec douleur, et auquel je ne me suis rallié qu'avec défiance; car je ne déguiserai point ma répugnance avant cette réunion, ni le but de cette réunion même, qui était de limiter une autorité jadis terrible, et de concourir à mettre obstacle au rétablissement de son ancien despotisme. Jene satisferai pas non plus ceux qui exigent qu'on peigne cet homme comme ne pouvant être qu'un tyran, et tous les membres de son gouvernement comme ses complices. Mais l'impartialité doit se résigner à déplaire, et se consoler en opposant un extrême à l'autre. Il doit m'être permis de parler avec justice de celui que je n'ai jamais flatté; et, sur ce point, je me sentirai moins gêné que ceux qui ont à se venger sur lui de leur propre bassesse, et qui croient se laver, par des invectives sans discernement, d'un avilissement sans bornes. Je travaillerai donc à faire connaître, mieux peutêtre qu'on ne le connaît jusqu'ici, le caractère de

cet homme, doué par la nature de facultés immenses et de qualités contradictoires; objet d'une haine méritée et d'un enthousiasme non moins naturel; favorisé par la destinée; égaré par ses alentours; bien au-dessous des grands citoyens qu'il n'a pas voulu prendre pour modèles; bien au-dessus de ses esclaves qui l'ont enivré de leurs adulations; dépositaire du bonheur du monde et de son propre bonheur, et funeste au monde autant qu'à lui-même. Les espérances des amis de la liberté cruellement déçues; une lutte opiniâtre contre les besoins et la raison de son siècle ; la gloire de Washington dédaignée; la France livrée aux périls d'une contre-révolution et aux ressentimens de l'Europe, pourront me rendre quelquefois sévère. Mais je n'oublierai jamais, cependant, que la France et l'Europe lui ont rendu hommage, et qu'il est relégué sur une roche aride et prisonnier de l'étranger.

Ces lettres traiteront aussi de ce qui s'est passé depuis l'abdication de Napoléon, et de la conduite des défenseurs de la patrie, avant le rétablissement du Roi sur le trône. Je réfuterai beaucoup de rumeurs mal fondées, et plusieurs imputations calomnieuses. Je montreraila France plus admirable dans ses revers que dans ses succès; nos armées proscrites et déposant les armes pour se résigner

à la proscription; nos généraux quittant leurs légions pour errer sans asile, et préférant l'exil ou même l'échafaud à la guerre civile. Ce spectacle, j'ose le dire, frappera d'émotion les âmes généreuses, comme les traits les plus sublimes des annales de l'antiquité,

Une ou deux lettres seront consacrées à expliquer cette mission dont j'ai fait partie, mission dans laquelle, encore aujourd'hui, ceux qui appellent l'étranger de tous leurs vœux et de toute la puissance qu'ils ont conservée, cherchent un prétexte pour persuader à la France que ses derpiers soutiens demandaient pour elle un prince étranger; assertion mensongère, dont ceux qui l'accréditent connaissent eux-mêmes toute la fausseté, mais qu'ils répètent chaque fois qu'il leur importe de donner le change sur leurs propres négociations et leurs propres manœuvres.

Je suis animé, dans cette publication, du désir qui a été la pensée dominante, le mobile unique de toute ma vie, je veux dire celui de voir la liberté constitutionnelle s'établir paisiblement parmi nous: car ces lettres offriront, je le crois, la démonstration que la même sagesse qui, au 5 septembre 1816, a préservé la France d'une dissolution imminente, était disposée, le 5 mars 1815, à prendre toutes les mesures susceptibles de réparer les fautes nom

breuses d'un ministère inhabile, et d'écarter de nous les malheurs qui nous ont accablés durant trois années. Sans doute je mériterai d'autant plus la haine de ceux qui s'intitulent exclusivement les royalistes, que je séparerai mieux leurs intentions de celles du Roi. Tout ce qui tend à unir plus intimement le monarque au peuple, excite la fureur des hommes qui voudraient que son règne ne fut que pour eux. Mais lorsqu'on n'a d'autre but que de dire ce qui est vrai, et de concourir à ce qui est utile, on peut supporter bien des inimitiés et rester indifférent à bien des

menaces.

LETTRE II.

De l'état de la France au moment du débarquement de Bonaparte en 1815.

POUR

OUR nous faire une juste idée des causes du retour et du triomphe de Bonaparte au 20 mars, il faut commencer, ce me semble, par rechercher dans quel état se trouvait la France au moment

où l'homme qui, durant quatorze années, l'avait gouvernée despotiquement, reparut sur ses côtes suivi d'un petit nombre de compagnons d'armes. Mais comme l'état de la France, à cette époque, tenait essentiellement au système adopté par les Ministres du Roi depuis 1814, quelques observations sur ce système sont indispensables.

Je crois ne rien dire d'inconvenant ou de téméraire, en affirmant que, lorsque par suite des défaites de nos armées, la chance du rétablissement des Bourbons sur un trône qu'ils avaient cessé d'occuper depuis vingt ans, s'offrit pour la première fois à la pensée des Français, le sentiment de la grande majorité de la Nation fut de l'étonnement et de l'inquiétude.

Cette assertion, je le sais, pourra exciter beaucoup de clameurs. Il y a plusieurs manières de flatter les rois. L'une de ces manières, sans doute, c'est de prétendre qu'ils ont toujours été regrettés, que le peuple dont ils étaient éloignés a gémi sans interruption de leur absence, et qu'au milieu de luttes terribles, de révolutions épouvantables, de guerres sanglantes, ils étaient encore présens à son souvenir. Mais on leur affre, j'ose le penser, un hommage non moins digne d'eux et aussi flatteur, quand on leur dit qu'ils ont regagné, par une conduite prudente et par des mesures nationales,

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