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succès prodigieux en ont quelque temps maintenu l'apparence; les revers sont venus : tout s'est écroulé. A vous, à vos conseils seuls, en est la faute. Laissez-nous respirer enfin; ne reproduisez pas vos théories serviles, la France les repousse. Vos promesses d'ordre et de paix sous un pouvoir sans bornes, les faits les démentent. L'aurore d'un régime constitutionnel brille sur nos têtes; ne troublez pas de nouveau nos destinées.

Nous avons peu de mots à ajouter, et nous terminerons cette préface.

En consentant à la réimpression des Lettres sur les Cent Jours, nous nous sommes demandé si la justification de ceux qui s'étaient ralliés à Bonaparte après qu'il eût repris le pouvoir, ne paraîtrait pas impliquer des regrets qui seraient déplacés, des espérances qui seraient coupables; mais nous avons trouvé que cette objection avait été réfutée d'avance (1).

Si, comme nous le pensons, notre réponse était satisfaisante il y a dix années, elle est plus péremptoire encore à l'époque actuelle.

Tout retour à ce qui n'existe plus, à ce quì ne doit jamais reparaître, supposerait, en pre

(1) Voy la lettre VII de la seconde partie.

mier lieu, des bouleversemens qui ne pour raient être que funestes à la liberté constitutionnelle que nous sommes prêts d'atteindre, et secondement, soumettrait nos affaires domestiques à des influences étrangères, dont aucun Français ne peut supporter l'idée, et qu'aucun homme éclairé ne peut désirer. En effet, les traditions de l'empire entées sur une éducation autrichienne; le dogme de la légitimité écrit sur deux drapeaux, et, à ce titre, l'obéissance passive exigée à double, et la peine de la rébellion partant de deux points différens, pour frapper tantôt une portion du pays, tantôt l'autre ; les amis de la liberté accusés tour à tour par chaque parti, d'être les agens hypocrites du parti contraire, et leur opposition à la tyrannie ou à l'arbitraire suspecte de complots et transformée en conspirations, ne serait-ce pas la combinaison la plus désastreuse pour une nation qui a joui de ses droits, si toutefois cette nation avait l'imprudence de la provoquer ou la faiblesse de la subir?

Disons-le franchement, lorsqu'une dynastie ancienne ne veut pas des institutions nouvelles, il se peut qu'une nation tourne ses regards vers des hommes nouveaux. C'est ce qui a eu lieu sous les Stuarts; mais lorsqu'une dynastie an

cienne accepte et observe les institutions nouvelles, c'est un avantage pour la liberté.

Il est bon pour la liberté qu'une dynastie soit incontestée, il est mauvais qu'elle ait des compétiteurs. Pour se maintenir, elle est obligée de faire à la liberté plus d'une brèche; elle fait ces brèches au nom de la liberté même, et accuse ceux qui la défendent d'être les agens de ses ennemis. C'est ainsi que Guillaume III, sous le prétexte que Jacques II conservait des adhérens, justifiait les précautions vexatoires et nombreuses qui signalèrent les premières années de son règne, et par une préoccupation fâcheuse, mais naturelle, les partisans ombrageux d'une liberté naissante et les amis timides d'un repos long-temps troublé devenaient plus indulgens pour son arbitraire.

J'énonçais cette opinion en 1814, et j'ajoutais que, bien que la révolution anglaise de 1688 fût noble et heureuse, il eût mieux valu pour l'Angleterre que les Stuarts, respectant les droits du peuple, l'eussent dispensé de Guillaume III. Sous les Stuarts constitutionnels, l'Angleterre eût joui plus tôt d'une liberté plus grande; elle n'aurait pas eu deux guerres civiles; les précautions que Guillaume III dut prendre pour éloigner les partisans de la dynastie dépossédée,

introduisirent long-temps des restrictions aux garanties individuelles et à l'action libre de la presse.

Plus un gouvernement est nouveau, fût-il établi d'après les principes de la liberté, plus il est inquiet et dur; plus un gouvernement est ancien, pourvu qu'il ne repose ni sur la théocratie, ni sur le despotisme, ni sur l'oligarchie, moins il est soupçonneux, et par conséquent plus il est doux.

Nous ne faisons ici notre cour à personne, et dans ce que nous écrivons, il y a de quoi irriter les fanatiques de deux factions contraires; mais quand on a indissolublement voué son nom et sa vie au triomphe de certains principes, on se console des désapprobations partielles, parce qu'on est sûr de rencontrer tôt ou tard l'approbation générale,

L'hypocrisie des enthousiasmes ne trompe plus un peuple éclairé; ceux qui les professent ne les éprouvant pas eux-mêmes, ne sauraient communiquer à d'autres ce qu'ils ne ressentent point. Ils répètent avec emphase des formules convenues : la foule s'attroupe un instant, les regarde, les reconnaît, les méprise, et passe, occupée qu'elle est de ses intérêts véritables, sachant ce qu'elle veut, le.repos, le travail,

l'industrie, la sûreté; mais sachant aussi que ces choses ne s'obtiennent qu'à l'abri de garanties solides et non disputées : car, de même qu'il est impossible de soulever les masses pour des questions abstraites qui ne les touchent pas immédiatement, il est impossible aussi, dans l'état actuel de leurs lumières, de persuader à ces masses qu'elles ne doivent s'occuper que de leurs jouissances, et non de la défense des droits sur lesquels ces jouissances reposent.

Il fut un temps où l'on disait aux hommes, qu'importe que vous soyez libres, pourvu que vous soyez heureux? et les hommes s'étonnaient de ne pas être heureux en se résignant à n'être pas libres. Aujourd'hui ce langage est usé; quelques gouvernemens le tiennent encore, mais les peuples n'y croient plus. Les plus ignorans, comme les plus instruits, les plus simples, comme les plus éclairés, savent que la liberté civile, c'est-à-dire les jouissances, ne sont assurées que par la liberté politique, c'est-à-dire par les garanties les séparer, c'est vouloir construire un édifice sans lui donner de fondemens, en prétendant que l'on n'a besoin, pour être logé, que des appartemens que l'on habite.

Le Gouvernement actuel de la France, avec

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