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l'arrière l'envoi d'un personnel immédiatement nécessaire, enfin, et d'une manière générale, l'insuffisance des moyens dont on dispose, l'intérêt supérieur de l'action et de la sécurité de l'armée occupante, nécessitent et légitiment les réquisitions de services personnels imposés aux habitants.

§ II.

Limites dans lesquelles doivent être contenues ces réquisitions.

La faculté de requérir des services personnels est, il faut bien le reconnaître, peu conciliable en principe avec le respect dû à la personne des citoyens paisibles.

I. On doit donc la considérer comme une mesure exceptionnelle et la prohiber en dehors des cas d'absolue nécessité, qui seuls la justifient.

II.

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En outre, on ne saurait demander à personne de fournir des prestations exagérées, c'est à dire qui ne seraient en rapport ni avec ses forces ni avec sa condition.

III.-Les individus dont les services sont requis ne doivent pas être exposés aux dangers des combats. Si l'on admet par exemple, comme nous le faisons plus loin, la réquisition d'habitants pour servir de conducteurs ou de bateliers, ils ne doivent pas être astreints à conduire les voitures et bateaux à un endroit où ils pourraient être atteints par les projectiles.

IV. Enfin, les habitants n'étant pas sous la domination de l'occupant et restant, jusqu'à la conclusion de la paix, les sujets de l'État occupé, doivent fidélité à ce dernier; on ne peut donc réclamer d'eux des services qui constitueraient une violation de leurs devoirs envers la patrie.

Mais quels sont ces services?

L'article 48 du projet russe mis en délibération à la Conférence de Bruxelles stipulait, à ce sujet, que « la population d'une province occupée ne peut être forcée ni à prendre part aux opérations militaires contre son gouvernement légal, ni à des actes de nature à contribuer à la poursuite des buts de guerre au détriment de la patrie (1). » Le général de Voigts-Rhetz, délégué de l'Allemagne, demanda la

1. Protocole VII. — Séance de la commission, 7 août 1874, Annexe III. Archives diplomatiques, 1876, t. I, p. 126.

suppression de la dernière phrase « ni à des actes de nature, etc.; » il désirait en outre qu'on substituât aux mots « prendre part » ceux de << prendre part active ». M. le colonel comte Lanza, délégué de l'Italie, partagea l'avis de M. le général de Voigts-Rhetz sur la suppression de la dernière partie de l'article 48, alléguant « qu'aucun gouvernement ne pourra s'engager à ne pas requérir de guides, à ne pas faire travailler des ouvriers du pays aux voies de communication, à ne pas imposer à des voituriers des transports de subsistances et autres services semblables. » M. le baron Lambermont, délégué de la Belgique, fit observer que la motion du général de Voigts-Rhetz pourrait offrir du danger. « On s'en prévaudrait, » ajoutait-il, << pour justifier tous les actes qui ne rentreraient pas dans la qualification proposée. Il croyait en outre qu'il « convenait de conserver la fin de l'article, parce que sa suppression serait contraire au but humanitaire que l'on poursuivait. » La commission partagea la manière de voir de M. le baron Lambermont, relativement aux mots « part active» mais elle se prononça pour la suppression de la partie finale de l'article 48 (1) .Cet article, devenu l'article 36 du projet de Déclaration adopté définivement par la Conférence, a été libellé en conséquence comme il suit : « La population d'un territoire occupé ne peut être forcée de prendre part aux opérations militaires contre son propre pays. » La même idée se retrouve dans l'article 40: « L'ennemi ne demandera aux communes ou aux habitants que des prestations et des services..... qui n'impliquent pas pour les populations l'obligation de prendre part aux opérations de guerre contre leur patrie (2). »

Ainsi, d'après ce qui précède, la Conférence à entendu prohiber les actes exigeant une part active aux opérations militaires. De plus, elle a indiqué qu'il y avait des actes hostiles en dehors de ceux-là, et d'une gravité moindre, dont l'ennemi ne pouvait exiger l'accomplissement. Mais elle ne les a pas définis, et les articles 36 et 40 actuels sont conçus en des termes trop vagues pour donner une solution précise.

L'Institut de droit international, préoccupé de cette question,

1. Protocole XIV.

Séance de la commission, 18 août 1874, loc. cit., p. 202. 2. Archives diplomatiques, loc. cit., p. 295.

l'avait soumise à l'étude de ses membres, en cette forme: Que faut-il penser de la suppression, dans l'article 36 du projet adopté par la Conférence de Bruxelles,de la dernière partie du § 48 du projet primitif, interdisant de requérir la population pour « des actes de nature à contribuer à la poursuite des buts de guerre au détriment de la patrie? » Voici les réponses qui y furent faites (1).

M. den Beer Portugael croyait qu'on avait eu tort de supprimer ces mots. Il pensait « qu'il faudrait tout au moins traiter la population civile du pays envahi avec les mêmes ménagements que ceux avec lesquels on traite les prisonniers de guerre. L'article 36 ne lui paraissait pas aussi formel que les articles 25 et 26 (2). Il aurait voulu spécialement qu'il fût interdit de requérir des guides ou des voituriers; des guides, parce que, dans ce temps où l'on peut se procurer des cartes topographiques excellentes de tous les pays de l'Europe et où l'on a des procédés pour en tirer des masses d'exemplaires, aucune nécessité de guerre ne saurait justifier cette exigence qui répugne au patriotisme; des voituriers, parce que si l'on peut requérir des voitures, des chevaux, des mulets, du bétail, on ne peut agir de même avec des hommes. Libre aux voituriers d'accompagner leur propriété pour ne pas la perdre; mais s'ils préfèrent courir ce risque plutôt que de servir personnellement l'ennemi, il faut respecter, chez le paysan ou le voiturier, un sentiment que l'on respecte chez le soldat prisonnier. Ce sera à l'occupant à suppléer, comme il pourra, à ce refus de services. S'il ne le peut, il ne devra s'en prendre qu'à l'insuffisance de ses propres forces. Telle était certainement l'opinion de la commission de la Conférence, puisque la proposition de MM. de Voigts-Rhetz et Lanza de dire « prendre une part active » au lieu de « prendre part » a été rejetée. »

1. V. Rapport de M. Rolin-Jaequemyns, au nom de la quatrième commission, présenté dans les travaux préparatoires à la session annuelle de l'Institut de droit international, de la Haye, 1874-1875, Revue de droit international, 1875, p. 500 et suiv.

2. Voici le texte de ces deux articles 25 et 26 bien plus précis en effet que l'article 36 Art 25. «-Les prisonniers de guerre peuvent être employés à certains travaux publics qui n'aient pas un rapport direct avec les opérations sur le théâtre de la guerre et qui ne soient pas exténuants ou humiliants pour leur grade militaire, s'ils appartiennent à l'armée, ou pour leur position officielle ou sociale, s'ils n'en font point partie...... - Art. 26. Les prisonniers de guerre ne peuvent être astreints d'aucune manière à prendre une part quelconque à la poursuite des opérations de la guerre. >

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M. Moynier estimait « que la Conférence n'aurait pu maintenir l'interdiction proposée sans se mettre en contradiction avec ellemême. Car les services que l'on peut requérir en vertu de l'article 40 peuvent fort bien être de nature à contribuer à la poursuite des buts de la guerre au détriment de la patrie. » Cependant M. Moynier << considérait la rédaction actuelle comme trop vague, trop élastique. Il aurait voulu surtout préciser ce qui concerne les travaux de fortification. Leur destination est exclusivement militaire. Y travailler, c'est bien réellement << prendre part à des opérations militaires <<< contre son propre pays ». La conscience publique réprouve une pareille contrainte imposée aux populations. Mais il faudrait le dire nettement pour éviter toute équivoque. >>

Malgré ces motifs sérieux, M. Rolin-Jaequemyns « jugeait, avec MM. Landa et Neumann, la rédaction actuelle suffisante ». « Nous ne partageons pas, » ajoutait-il,« l'avis de M. M. Bernard que, si les principes des articles 36 et 39 sont de nature à être admis en pratique, leur expression est trop absolue. Il nous paraît bon et prudent de s'en tenir, pour ces matières encore peu définies dans tous leurs détails d'application, à l'énoncé de principes généraux, humains, dont il faut attendre le développement de la pratique et de l'opinion. En parlant spécialement des guides, des voituriers, des fortifications, on risquerait de manquer le but humain qu'on se propose, et de donner lieu à des difficultés d'interprétation dont se prévaudrait l'occupant. Il serait d'ailleurs difficile de faire accepter des rédactions suffisantes sur tous ces points. »

Il semble pourtant que la commission de l'Institut de droit international, qui n'était pas liée, comme les membres de la Conférence de Bruxelles, par des instructions officielles, aurait pu, sans établir une formule générale, proposer d'interdire certains actes, en conservant aux solutions données le caractère de décisions toutes particulières et limitatives. Au lieu de cela, la question est demeurée entière. Voyons donc les solutions auxquelles peuvent donner lieu les espèces les plus importantes.

A: L'occupant a-t-il le droit de requérir des habitants pour l'accomplissement de ses travaux de fortification?

On a reproché aux Allemands d'avoir contraint, en 1870-71, les habitants de Strasbourg à travailler aux travaux d'investissement.

Læning les en défend comme d'une accusation gratuite portée contre eux pour exciter notre haine. Le soin qu'il met à les en justifier prouve du moins qu'il reconnaît ces actes comme essentiellement blamables en eux-mêmes (1). C'est l'avis général, sinon unanime aujourd'hui. M. Moynier avait à juste titre demandé à la commission de l'Institut de droit international, en 1874-1875, de se prononcer formellement contre cette réquisition. L'Institut rompit, en 1880, le silence gardé jusque-là par sa commission. L'article 48 du Manuel des lois de la guerre sur terre contient en effet la règle suivante : << L'occupant ne peut contraindre les habitants à l'aider dans ses travaux d'attaque et de défense, ni à prendre part aux opérations militaires contre leur propre pays. »

B. Si les travaux d'attaque et de défense ne sont pas exigibles des habitants, il n'en est pas de même des travaux qui ne seraient qu'une participation à des actes d'administration pure et simple du pays occupé. L'ennemi peut donc obliger les habitants à rétablir, dans un intérêt général de voirie, la liberté et la facilité des communications interrompues par les faits de guerre. Assurément, les troupes d'occupation y trouveront des avantages pour leurs mouvements, mais, d'un autre côté, le rétablissement de la circulation sur des routes déjà existantes étant une opération aussi utile, comme mesure d'administration civile que comme mesure d'administration militaire, les habitants ont tout à gagner à l'exécution de ces travaux, et ce n'est point exercer sur eux de violence que de les appeler à y concourir(2). S'agit-il, au contraire, de l'emploi d'ouvriers du pays pour la réparation de routes purement stratégiques, comme les voies qui conduisent à un fort ou à un camp retranché, la réquisition dépasserait certainement la limite du droit de l'occupant. Dans ce même ordre d'idées, il semble très contestable que l'ennemi ait le droit de faire aider, par les gens du pays, les détachements de sapeurs du génie ou de troupes d'infanterie, précédant les colonnes pour aplanir les obstacles qui entraveraient la marche (3).

1. Læning, l'administration du gouvernement général de l'Alsace durant la guerre de 1870-1871, Revue de droit international, 1872, p. 650.

2. Féraud-Giraud, loc. cit., § 7; Læning, loc. cit., p. 650.

3. Contrà, art. 148 du décret du 26 octobre 1883 portant règlement sur le service des armées françaises en campagne.

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