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de réquisition, dit-il avec raison « que le devoir auquel il obéit en se dépouillant, pour une nécessité d'ordre supérieur, d'une portion de sa propriété, lui constitue un droit de dédommagement absolu. Cette indemnité ne peut être préalable, mais elle n'en reste pas moins due, et ce principe est nettement reconnu dans l'article 2 de la loi qui alloue pour toute prestation une indemnité représentative de sa valeur (1). »

Au surplus, la réquisition ne porte pas seulement sur la propriété des choses mobilières. Elle a souvent pour objet l'usage, la jouissance de meubles ou d'immeubles: chevaux, voitures, machines, outils appareils, moulins, maisons, etc. De même qu'il y avait tout à l'heure expropriation et une sorte de vente d'objet mobilier, de même il a ici privation de jouissance et une espèce de contrat forcé de louage. Donc une indemnité est due.

Enfin la réquisition s'étend souvent aussi à des services personnels: ouvriers pour l'exécution de travaux militaires, conducteurs, messagers, guides, etc. La réquisition s'adresse alors d'une manière réquente à une classe peu aisée, qui a besoin de son salaire journalier pour vivre. Il serait rigoureux et injuste de lui refuser ce salaire. La réquisition forme d'ailleurs, dans cette hypothèse, une espèce de contrat forcé de louage d'ouvrage ou d'industrie. Une indemnité doit être également payée.

La loi et le décret de 1877 ne font donc que rester d'accord avec l'équité et les principes quand, après avoir établi la règle ils accordent une indemnité de location » pour l'emploi des machines, voitures et wagons requis aux Compagnies de chemins de fer (art. 32 de la loi et 62 du décret), une indemnité, pour le logement et le cantonnement des troupes chez l'habitant (art. 15 de la loi), pour l'usage temporaire des navires, bateaux, embarcations de commerce et leurs équipages (art. 43, § 3, du décret), pour le paiement des services personnels des médecins, guides, messagers, conducteurs, ouvriers, etc. (art. 20, 22, 49 du décret, etc.).

Ces divers exemples confirment d'ailleurs la portée et la généralité du principe inscrit dans l'article 2 de la loi : « Toutes les prestations donnent droit à des indemnités représentatives de leur valeur. »

1. V. Journal officiel, loc. cit., p. 6.479.

II.

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Nous terminerons par deux observations:

A. L'article 2 ne statue que sur l'indemnité à payer pour la prestation même de l'objet ou du service requis. Il reste muet sur les détériorations que l'objet aurait pu subir, au cours de l'exécution du service pour lequel il a été employé. D'après l'article 1732 du Code civil, le preneur d'un immeuble doit une indemnité en réparation des dégradations imputables à sa faute ou à sa négligence. Plus généralement encore et suivant l'article 1382 du même code, toute personne qui,par son fait, ou sa faute cause un dommage à autrui doit le réparer. L'équité exigeait également qu'une indemnité fút accordée en dédommagement des détériorations subies par le matériel employé à la suite de réquisitions.

Le principe a été expressément ou implicitement consacré dans l'article 14 de la loi, dans les articles 14, 15, 16, 17, 18, 28, 29, 49, du décret de 1877. Nous y reviendrons plus tard.

B. L'article 2, après avoir posé la règ le générale de l'indemnité, prévoit aussitôt les exceptions. Toutes les prestations donnent droit à une indemnité, « sauf dans les cas déterminés par l'art. 15 de la loi. »

Ces cas sont au nombre de trois. Ils concernent le logement et le cantonnement des troupes chez l'habitant. Nous n'avons pas à en parler ici.

D'après l'article 12 de la notice n° 5, annexée au règlement du 20 novembre 1889 sur le service des étapes aux armées : « En toutes circonstances, même en pays ennemi, il est alloué aux conducteurs une solde journalière que fixe le commandant de l'armée. Cette solde, conjointement avec la ration de vivres, permet aux conducteurs de subsister; elle pourvoit en outre à la ferrure et au petit entretien de l'équipage. Néanmoins il n'est pas alloué de solde pour les réquisitions journalières dites de cantonnement ou n'exigeant pas un service de plus de 24 heures. » Cette dernière partie de l'article 12 de la notice paraît en désaccord avec le principe posé par l'article 2 de la loi qui n'admet d'exception que dans les trois hypothèses relatives à l'indemnité pour le logement et le cantonnement des troupes chez l'habitant. Ne s'exposera-t-on pas à de nombreuses réclamations auxquelles il parait bien difficile de ne pas donner satisfaction? Déjà en effet, dans une circulaire du 4 août 1871, le Ministre de la guerre avait décidé que tout transport ayant exigé, au

cours de la guerre de 1870-71, un déplacement de moins de 24 heures serait imposé gratuitement au patriotisme des habitants. Cette décision provoqua beaucoup de protestations, et une circulaire du 20 septembre 1871 interpréta la précédente, en restreignant la gratuité seulement au premier service de 24 heures, pour toute personne qui en aurait effectué plusieurs. Cette décision etait au fond dans l'esprit de l'ancienne législation qui admettait la gratuité des transports ayant un caractère local lorsque le trajet n'excédait pas deux et trois lieues (LL. des 23 brumaire an III et 7 vendémiaire an IV) (1). Mais elle n'en reste pas moins contraire à la législation actuelle.

Nous devons d'ailleurs reconnaître qu'à s'en tenir aux principes d'équité, la disposition de l'article 12 du règlement du 20 novembre 1889 est très raisonnable; on pourrait donc modifier la loi du 3 juillet 1877 par une loi nouvelle consacrant une quatrième exception au principe de l'indemnité. Il ne paraît pas en effet excessif d'imposer aux populations cette charge bien légère si les municipalités savent la répartir. Cette mesure serait à la fois une sérieuse économie pour les finances de l'État, et une grande simplification de comptabilité, car ces petites courses locales dans les cantonnements seront très fréquentes (2).

L'article 2 de la loi du 3 juillet 1877 se borne à énoncer la règle générale du droit à indemnité. Qui fixera le montant de la somme

1. V. Intendant A. Baratier, les Réquisitions en temps de guerre, p. 32. 2. V. Intendant A. Baratier, loc. cit., p. 32. Dans son projet annexe, M. l'intendant Baratier proposait un article 34, ainsi conçu: « Tout service de transport, qui n'excédera pas vingt kilomètres (aller et retour) et qui ne tiendra pas le citoyen requis, plus de vingt-quatre heures absent de son domicile, sera effectué gratuitement. « Les communes » (dans ce projet, la réquisition était une charge communale dont les budgets communaux devaient faire recette et dépense) « peuvent de même être astreintes à prêter gratuitement le couchage nécessaire aux ambulances et à fournir sans rémunération les corvées de salubrité ou d'inhumation, le service de guides ou de messagers. En général, aucune indemnité n'est due pour le gite de cantonnement, si ce n'est après le deuxième jour, non plus que pour les locaux servant de bureaux, de prison, de posie aux troupes en marche ou en cantonnement (p. 48).

M. l'intendant Baratier faisait d'ailleurs observer (p. 32), que les réclamations provoquées par les circulaires du Ministre de la guerre des 4 août et 20 septembre 1871 précitées, témoignaient de la nécessité d'une disposition légale en pareille matière.

due? Par qui, comment et dans quel délai les indemnités serontelles payées ? Comment seront tranchés les différends, en cas de contestation? Toutes ces questions sont résolues dans le titre V de la loi et du décret de 1877; nous les examinerons dans notre titre IV.

TITRE II

DES PRESTATIONS A FOURNIR PAR VOIE DE RÉQUISITION

(Loi et décret de 1877: Titre II et articles 23 du Titre IV de la loi et 43 du Titre IV du décret. Loi du 29 janvier 1881 sur la marine marchande (art. 9, § 8). Art. 475, 12°, du Code pénal; article 9 de la loi du 3 avril 1878 et article 7 de la loi du 9 août 1849, relatives à l'état de siège.)

L'article 5 de la loi du 3 juillet 1877 énumère, comme il suit, les (différentes prestations (objets matériels et services personnels) susceptibles de réquisition:

«Est exigible, par voie de réquisition, la fourniture des prestations, nécessaires à l'armée et qui comprennent notamment :

1o Le logement chez l'habitant et le cantonnement pour les hommes et pour les chevaux, mulets et bestiaux dans les locaux disponibles ainsi que les bâtiments nécessaires pour le personnel et le matériel des services de toute nature qui dépendent de l'armée ;

2° La nourriture journalière des officiers et soldats logés chez l'habitant, conformément à l'usage du pays;

3° Les vivres et le chauffage pour l'armée; les fourrages pour les chevaux, mulets et bestiaux; la paille de couchage pour les troupes campées ou cantonnées;

4° Les moyens d'attelage et de transport de toute nature, y compris le personnel;

5o Les bateaux ou embarcatious qui se trouvent sur les fleuves, rivières, lacs et canaux;

6° Les moulins et les fours;

7° Les matériaux, outils, machines et appareils nécessaires pour la construction ou la réparation des voies de communicatiion, et, en général, pour l'exécution de tous les travaux militaires;

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