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entraîne. Aussi est-il passé dans l'usage et dans les règles du droit des gens que le guide qui trompe les troupes peut être condamné à mort. Nous ne croyons mieux faire que de rappeler ici les développements que Bluntschli donne, sur cette solution adoptée par lui dans la règle 636 de son Droit international codifié, en se référant aux dispositions de l'article 95 des Instructions américaines de 1863: « La sévérité de cet article, » dit-il, « s'explique par les dangers auxquels peuvent se trouver exposées les troupes induites en erreur sur le chemin à suivre. Les conseils de guerre doivent cependant se garder d'admettre à la légère que le guide ait agi avec une intention coupable; il est très possible qu'il se soit trompé et ait eu l'intention de chercher et d'indiquer le bon chemin. Dans ce cas, il ne peut être puni. Pour le condamner, il faut la preuve de l'intention coupable, preuve qui peut naturellement résulter des faits et circonstances de la cause. »

G. Doit-on autoriser la réquisition d'ouvriers pour imprimer des publications hostiles au pays occupé et de nature à décourager la résistance?

Læning (1) admet, comme « licite, la contrainte exercée sur les imprimeurs, pour les forcer à imprimer les proclamations et autres publications de l'ennemi ». Mais, peut-être n'a-t-il pas en vue d'autoriser la réquisition d'ouvriers pour faire des impressions destinées à démoraliser le pays occupé.

Quoiqu'il en soit les Allemands ont mis en pratique, en 1870-1871, ce genre de réquisition. Ainsi le commissaire civil du gouvernement général de Reims, le prince de Hohenlohe, donna l'ordre à M. Lagarde, imprimeur, de publier le Moniteur officiel du gouvernement général. « Si vous insistez à refuser le concours de votre imprimerie, > portait l'ordre de réquisition, « les autorités militaires seront requises de l'occuper. Dans le cas où vos ouvriers se refuseraient à travailler à l'imprimerie, vous les avertiriez qu'en les faisant amener de force, je saurai les contraindre à travailler sous vos ordres. » Aucune nécessité ne peut justifier cette contrainte antipatriotique imposée à la population (2).

1. V. Revue de droit international, 1872, p. 649.

2. Les feuilles périodiques publiées par les Allemands étaient affichées dans les villes et les communes, et les maires contraints de s'y abonner; on les distribuait

Tels sont les services personnels au sujet desquels le droit de réquisition peut soulever des difficultés. Les explications qui précèdent déterminent suffisamment la portée de la règle édictée par l'article 36 du projet de Déclaration de Bruxelles, sur l'étendue à donner à ces prestations. Nous ne nous y arrêterons pas davantage.

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Les armées belligérantes atteignent de nos jours des effectifs considérables et les opérations sont menées avec une extrême rapidité. Il est donc plus important et plus (difficile que jamais d'assurer, au milieu des éventualités de la guerre, au moment et aux endroits opportuns, la réunion et l'envoi des approvisionnements et des moyens de transport de toutes sortes.

Il serait téméraire, dans les services de seconde ligne, de vouloir créer ou reconstituer les ressources des magasins et dépôts de l'arrière en recourant constamment au territoire national ou à des marchés passés à l'extérieur, ou avec les détenteurs de denrées, citoyens du pays occupé : il faut en effet compter avec l'impossibilité de solliciter de la mère patrie des sacrifices illimités; avec les charges écrasantes, parfois la pénurie du Trésor; avec l'encombrement, la lenteur ou l'interruption des voies de communication; avec la crainte feinte ou réelle des habitants du pays envahi, qui allégueraient les rigueurs de la législation pénale punissant le négoce avec l'ennemi, etc.

aux avant-postes et on les introduisait dans Paris à l'aide d'espions. On publiait et on accréditait de la sorte toutes nouvelles vraies ou fausses, et ces dernières ne marquaient pas. On travaillait ainsi à démoraliser les esprits. (V. commandant Guelle, loc. cit., p. 61; Délerot, Versailles pendant l'occupation, p. 102. A l'aide de l'imprimerie Beau mise en réquisition on publia à Versailles le Moniteur officiel au département de Seine-et-Oise.)

Dans les services de première ligne, il n'est pas davantage possible de remplacer, au moyen des convois exclusivement, les provisions consommées. Trop lourds, trop encombrants les convois sont souvent laissés en arrière pour ne pas ralentir la marche et trop éloignés pour servir utilement à la nourriture des hommes et des chevaux, ou pour fournir les objets nécessaires à la reconstition des réserves emmenées par les corps. Si donc l'on ne veut pas laisser les troupes manquer, ni les services de l'armée en désarroi ou 'en souffrance, la réquisition s'impose comme une nécessité absolue.

Mais, dira-t-on, pourquoi ne pas recourir à des conventions amiables, à des achats, pour se procurer sur le pays les objets dont on a besoin. Assurément il vaudrait mieux pouvoir le faire. Ce serait plus avantageux pour les habitants et plus équitablé, parce que la propriété privée serait pleinement respectée. L'armée y gagnerait aussi car, les réquisitions sont-elles générales, elles s'adressent souvent d'une manière plus spéciale à un nombre restreint de détenteurs (farines, blés, cuirs, draps, etc.) dans la circonscription frappée; les réquisitions pèsent alors lourdement sur l'industrie atteinte qu'elles inquiètent par l'appréhension d'un non-paiement ou d'une indemnité tardive, les produits se cachent, le travail s'interrompt, le commerce s'arrête (1). Les réquisitions sont-elles locales, des inconvénients analogues apparaissent. Elles exigent en outre des recherches, une perte de temps sensible et donnent des résultats incomplets ou incertains. Les achats suivis de paiement immédiat attirent au contraire les denrées, facilitent la réunion des approvisionnements (2). Mais la plupart du temps, ou bien les troupes manqueront d'argent pour acheter, ou bien la crainte simulée ou réelle de la législation pénale relativement au commerce avec l'ennemi

1. V. intendant Delaperrière, Cours de législation et d'administration militaires, 2e partie, t. II, p. 789; intendant A. Baratier, à son cours; intendant Odier, Cours d'études sur l'administration militaire, t. V, p. 345, et suiv.

2. Les Allemands reconnurent bien en 1870-71 la supériorité des achats sur les réquisitions. Le général de Manteuffel, commandant la première armée, prescrivait les mesures suivantes, dans l'ordre du 4 novembre 1870, relatif aux dispositions à suivre pour la marche vers le nord-ouest, après la capitulation de Metz. « En route on n'entreprendra pas de réquisitions de vivres; par contre, l'achat des denrées est autorisé on s'en remet aux corps de s'ouvrir un marché par les mesures appropriées. » (V. Le service des subsistances à la première armée, Revue militaire de l'étranger, 2 sem. 1872, p. 277.) A la deuxième armée, sous les ordres du prince Frédéric Charles: En prévision des besoins qui pouvaient se présenter, le général en chef

paralysera les bonnes dispositions des habitants, ou bien la population fera preuve d'inertie ou de malveillance. La réquisition lèvera tous ces obstacles: dans un grand nombre de circonstances elle prévaudra nécessairement sur les achats (1).

invita, dès le commencement de novembre 1870, les corps d'armée à garnir leurs caisses de guerre, afin qu'on pût acheter au comptant tout ce que l'administration ne pourrait fournir. De son côté, l'intendance devait faire afficher, dans les communes françaises placées sur la route de l'armée, les prix qui seraient payés pour le pain, la viande, le lard, le café, les légumes, le sel, le vin, la bière, l'eau-de-vie, les cigares, le tabac,l'avoine le foin,la paille, la farine de blé et celle de seigle, ainsi que l'indemnité représentative en argent allouée en remplacement des vivres, savoir 1 fr. 50 par homme et 1 fr. 25 par cheval. On prévint en même temps qu'on appliquerait le système des réquisitions, d'après les lois de la guerre, si les habitants ne livraient pas leurs denrées aux prix indiqués, et on s'adressa aux préfets, aux sous-préfets et aux maires pour que, dans l'intérêt du pays, les vendeurs se présentassent de bonne volonté. L'intendance générale tout d'abord n'approuva pas ces mesures, mais dans la suite, elles donnèrent les résultats les plus favorables. » (V. La deuxième armée allemande. Étude sur l'historique des services administratifs et du service des étapes jusqu'au départ de Metz, de von der Goltz; Revue militaire de l'étranger 1er semestre 1874, p. 61.) « Quand, à la fin du mois de novembre 1870, la deuxième armée allemande organisa des marchés dans la Beauce, au nord d'Orléans, où depuis le commencement d'octobre il y avait eu un mouvement continuel de troupes, où les réquisitions ne donnaient plus rien, les hauts prix offerts provoquèrent l'envie de vendre. On vit soudain que ce n'étaient pas les provisions qui manquaient, mais les sacs pour les y mettre. C'est dans des rideaux cousus ensemble, des housses de meubles, des draps de lits, dans des caisses et des paniers que les paysans apportaient l'avoine dont l'armée avait besoin, et finalement l'offre fut si forte qu'il en résulta une baisse de prix.» (Général von der Goltz, la Nation armée, p. 437.) D'ailleurs les contributions en argent dont les Allemands taxèrent d'une manière exagérée les départements envahis facilitaient singulièrement ces achats.

1. M. le général Lewal préfère aux achats les réquisitions'payées, à l'aide de contributions en argent levées dans ce but. « Le paiement, toujours et partout, simplifibeaucoup la réquisition. Il n'est pas onéreux pour le Trésor; en imposant préalablement des contributions de guerre en conséquence, on empêche les abus; on ne mécontente pas les populations, et l'on est mieux servi. Contribution de guerre et réquisition sont deux actes contingents: l'un ne va pas sans l'autre..... En pays ennemi, le mode le plus rationnel et le plus pratique dans tous les cas est d'abord de frapper des contributions en argent, puis de réquisitionner des denrées sous une forme ou sous une autre, en les payant ou en les acceptant comme partie de la contribution de guerre.» (Études de guerre. Tactique des ravitaillements, t. 1, p.228 et 232). Personne ne conteste les avantages de la réquisition payée; mais la théorie présentée par M. le général Lewal, pour arriver à ce résultat, nous semble trop absolue et dangereuse. Elle n'a égard aux circonstances ni de temps, ni de lieu: dans tous les cas la population fournit l'argent qui sert à l'indemniser; en pratique, l'occupant, pour subvenir aux réquisitions présentes ou ultérieures, prélèvera sur le pays traversé tout l'argent qu'il en pourra tirer, bientôt même, comme cela s'est pratiqué en 1871, les amendes seront imposées pour réprimer, non pas les violations des lois de la guerre, mais les résistances les plus légales; un prétexte fallacieux déguisera la cause

La réquisition porte sans doute atteinte à la propriété privée, des contributions imposées, l'ennemi ne cherchant plus qu'à remplir les caisses de l'armée. Il faut, croyons-nous, restreindre l'application della théorie présentée plus haut. Les contributions locales devront être frappées avec le plus grand discernement. Si elles ne s'adressent pas à des villes ou à un pays riche et peuplé, elles sont supportées très péniblement par les habitants qu'elles pressurent et deviennent, par là même, dangereuses. Elles peuvent évidemment être employées, mais l'argent qu'elles procurent servira à faire des achats, qui n'auront pas le caractère rigoureux et vexatoire de la réquisition. Dans tous les cas, elles doivent constituer l'exception et non la règle. Les réquisitions générales peuvent être plus facilement remplacées et leurs inconvénients, atténués, par l'imposition d'une contribution en argent sur la circonscription administrative qui aurait été l'objet de la réquisition : « Avec de l'argent obtenu par voie de contribution, l'armée pourra se procurer les objets nécessaires plus facilement et faire, de la sorte, renaître les transactions. En thèse générale, il est préférable de frapper des contributions au lieu de réquisitions générales, puis d'acheter dans le commerce local. »(Intendant Delaperrière, loc. cit. p. 789.) Cette théorie, qui est celle des administrateurs militaires (V. infrà chap. V. Des réquisitions ou contributions en argent) nous paraît bien préférable.

Le général Bronsart von Schellendorf (Service d'État-major, t. II. p. 272) émet l'avis que « la subsistance des quartiers » doit être assurée de préférence par la nourriture chez l'habitant: c'est la consécration des réquisitions locales. Quant aux magasins, dit-il, ils « doivent être, autant que possible, remplis avec les ressources du pays ennemi. Quand on n'arrive pas au résultat rien qu'à l'aide des réquisitions, on pourra avoir recours aux achats, mais on aura alors soin de couvrir les dépenses occasionnées par ces achats en percevant les impôts ou en levant des contributions. > Cela revient à dire que les réquisitions générales seront employées tout d'abord, et que les contributions fourniront l'argent nécessaire pour effectuer les achats destinés à remplacer les premières. En fait, en 1870-1871, les Allemands ont eu recours très fréquemment aux réquisitions sans aucune espèce de paiement; d'autres fois comme nous l'avons vu tout à l'heure, ils ont préféré les achats payés avec l'argent rélevé sur le territoire envahi; d'autres fois enfin, les réquisitions payées ont remplacé les conventions amiables.

M. le général Lewal (loc. cit., p. 230) s'élève également contre cette idée, que la réquisition occasionne des pertes de temps considérables et donne des résultats incomplets e incertains. A son avis, les recherches sont très faciles par les troures, et difficiles seulement par l'administration. On peut répondre à l'éminent auteur que la réquisition ne frappe pas seulement les localités occupées par les troupes, mais très fréquemment aussi les communes voisines. Dans ce cas, comme le dit le général de Clausewitz (Théorie de la grande guerre, t. I, p. 352): « Là où trente ou quarante soldats en imposeront à un paysan par leur présence dans sa maison, ils sauront certainement en obtenir tout ce qui leur sera nécessaire, tandis qu'un officier envoyé avec quelques hommes dans une localité pour y requérir des vivres, n'a ni le temps, ni les moyens de rechercher tous les approvisionnements. Les éléments de transport lui manquent en outre,et il ne peut transporter qu'une faible partie des ressources existantes. » Nous restons donc persuadés de la supériorité des achats sur les réquisitions même payées. Aussi ne sommes-nous pas surpris d'avoir entendu rapporter, qu'aux environs de Corbeil, l'autorité allemande ait offert, aux habitants qui venaient livrer leurs grains ou denrées conformément à des ordres de réquisition, des prix plus avantageux pour l'avenir, s'ils consentaient à des ventes amiables. Ces offres n'ont certainement pas dû être isolées.

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