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AVERTISSEMENT

L'ouvrage que nous publions aujourd'hui est une étude de droit des gens, de droit public français et d'administration militaire. Il est le résultat d'un long travail, appuyé sur les documents les plus sérieux, et accompli avec la préoccupation constante de faire non pas une œuvre purement spéculative, mais un livre théorique et pratique. Il s'adresse à la fois aux populations, aux autorités militaires, aux autorités admi nistratives, spécialement aux municipalités. Il éclairera les unes et les autres sur le rôle qu'elles ont à remplir, sur l'étendue de leurs droits et de leurs obligations.

Afin de faciliter les recherches, nous avons cru devoir établir avec soin trois tables distinctes: la première présente l'analyse des matières dans l'ordre successif où elles sont traitées; la seconde les contient groupées dans deux index alphabétiques différents pour chacune dés parties dont se compose cet ouvrage; la troisième, particulière à notre législation, indique les principaux textes cités (lois, décrets, règlements, instructions, notes ministérielles, articles des codes) et les pages dans lesquelles ils sont mentionnés ou développés.

Nous avons placé en appendice les deux lois allemandes des 13 juin 1873 (1) et 13 février 1875 sur les réquisitions militaires pour les deux périodes du temps de paix et du temps de guerre. La lecture de ces textes, comparés avec les explications de la loi de 1877, fera suf.

1. Nous avons désigné cette loi à plusieurs reprises, au cours de cet ouvrage, et à l'exemple d'autres auteurs, sous la date du 30 mai 1873, qui est celle du vote en dernière lecture par le Reichstag. La date du 13 juin, qui est celle de la promulgation est certainement préférable.

VIII

fisamment ressortir les différences et les ressemblances des législations française et allemande sur ce point et dont quelques-unes ont d'ail leurs été relatées au passage. Nous y avons ajouté, à titre de renseignement, un décret du 16 juillet 1890 concernant l'Etat indépendant du Congo et qui est visiblement emprunté à notre loi de 1877.

Tel qu'il est, le présent ouvrage présente certainement des imperfections, peut-être des lacunes. Nous espérons pourtant qu'il peut rendre quelque service dans l'exécution des réquisitions, dont l'emploi subsidiaire devient de plus en plus nécessaire aux armées et entraîne comme conséquence la nécessité de sérieuses garanties.

Nous nous réservons, si le temps ne nous fait pas défaut, de compléter plus tard cette étude par deux autres, de droit public français, portant l'une, sur le logement et le cantonnement des troupes chez l'habitant et sur la réparation des dommages causés aux propriétés privées par les troupes pendant les grandes manœuvres, l'autre, sur la réquisition des chevaux, juments, mulets et voitures et l'application de la loi du 3 juillet 1877 à l'Algérie.

de

Nous croyons devoir remercier notre ancien maitre, M. L. Renault, professeur de droit international public à la Faculté de droit de Paris, autrefois chargé des conférences de droit des gens à l'École supérieure guerre, dont les leçons et les conseils nous ont été ici des plus utiles. Nous ne saurions oublier non plus de mentionner les services que nous ont rendus les cours et les ouvrages de MM. les intendants Baratier, Cretin et Delaperrière. Ceux de M. l'intendant Baratier notamment nous ont en quelque sorte ouvert et préparé la voie : ils ont été constamment pour nous des guides précieux. Nous ne pouvions lui témoigner mieux notre gratitude qu'en lui offrant la dédicace de cet ouvrage qu'il a bien voulu accepter.

INTRODUCTION

Quand deux États ne parviennent pas à s'entendre pour concilier entre eux ce qu'ils croient être leurs devoirs, leurs droits et leurs intérêts, ils recourent à la lutte armée, à la guerre, pour décider lequel d'entre eux étant le plus fort imposera à l'autre sa volonté. Les forces matérielles, la violence, sont mises au service des deux pays, déchaînant avec elles le cortège de misères et de douleurs inséparables de ce redoutable événement.

Au milieu de ces luttes sanglantes, le droit international est venu pourtant peu à peu produire ses heureux effets : « On a réussi à civiliser les lois de la guerre et à renverser en grande partie les usages barbares admis jadis pendant les hostilités. Les guerres sont devenues plus humaines, on les a régularisées; on en a diminué les horreurs, et cela non seulement par des perfectionnements de fait dans la manière de faire la guerre, mais encore par le développement de principes internationaux sur la matière... En sorte que c'est sur un terrain où il semblait pouvoir le moins être question de droit, que l'esprit d'humanité, dont le droit international moderne est pénétré, a obtenu ses plus grandes victoires (1). »

C'est ainsi qu'il est communément admis aujourd'hui, comme le disait déjà Portalis, que « la guerre est une relation d'État à État et non d'individu à individu », (2) « relation dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu'accidentellement non point comme hommes, non pas même comme membres ou sujets de l'État, mais uniquement comme ses défenseurs : le droit des gens ne permet pas que le droit de guerre et le droit de conquête qui en dérive s'étendent aux citoyens paisibles et sans armes, aux habitations et aux propriétés privées, aux marchandises du commerce, aux magasins qui les renferment, aux chariots qui les transportent, en un mot à la personne et aux biens des particuliers (3). »

1. Bluntschli, le Droit international codifié, Introduction. Traduction de M. Lardy, 4e édition, p. 33.

2. Portalis, Discours d'inauguration au Conseil des prises du 14 floréal an VIII.

3. Talleyrand, Lettre du 20 novembre 1806 à l'empereur Napoléon, Moniteur universel du 5 décembre 1806.

Cette double règle du respect de la personne des citoyens paisibles et de la propriété des particuliers entraîne de nombreuses conséquences auxquelles nous ne pouvons nous arrêter, et dont quelquesunes sont d'ailleurs contestées comme une application trop large du principe.

Mais la règle générale elle-même est du moins reconnue par tous les publicistes, par tous les États civilisés. Elle est consacrée par les Instructions de 1863 pour les armées en campagne des États-Unis d'Amérique (1); par le projet de Déclaration internationale discuté à la conférence réunie à Bruxelles en 1874, sur l'initiative de l'empereur de Russie Alexandre II, pour réglementer les lois de la guerre ; par le Manuel de droit international à l'usage des officiers de l'armée de terre publié en France, sous les auspices du Ministre de la guerre, par le Manuel des lois de la guerre sur terre, élaboré en 1880 par l'Institut de droit international, etc.

L'armée, aussi bien quand elle envahit le territoire de son adversaire que lorsque son autorité s'établit suffisamment pour suspendre en fait l'autorité nationale, est tenue de respecter le double principe rappelé plus haut. L'occupation, qui lui crée des droits déterminés, lui impose étroitement ce devoir. Est-ce à dire qu'en toute circonstance aucun service personnel ne pourra être exigé des habitants, que l'inviolabilité de la propriété privée sera toujours respectée? Non, des exceptions s'imposent à ce sujet, et nous allons voir comment le droit de réquisition vient particulièrement déroger à la règle générale sur ce point.

La réquisition est la demande de prestations déterminées, nécessaires à l'armée, faite sous la forme d'une invitation ou d'une sommation, et poursuivie par la force, s'il est nécessaire d'y recourir pour sa réalisation (2).

Les réquisitions ont été employées pour la première fois par Washington, qui leur a donné leur nom, lors de la guerre de l'Indépen

1. Ces instructions sont pour ainsi dire la première codification des lois de la guerre continentale. Le projet fut élaboré par le professeur Lieber, un des jurisconsultes les plus honorés d'Amérique, revu par une commission d'officiers, et ratifié par le président Lincoln.

2. Comp. Féraud-Giraud, Occupation militaire. Recours à raison des dommages causés par la guerre, §38.

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