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en temps de guerre, le plan de ravitaillement dressé pour chacune de nos grandes places, a ses devoirs tout tracés d'avance, de telle sorte qu'au moment de la mobilisation, il ne puisse y avoir ni doute, ni hésitation pour personne. » Les maires ne procèdent donc pas à leur gré; représentants de l'autorité militaìre, ils se conforment aux ordres qu'ils en ont reçus par la voie hiérarchique.

Ils puisent dans cette situation une force suffisante pour l'exécution de la réquisition, qui conserve aux yeux de la population, son caractère comminatoire. Sans doute, il n'y aura pas toujours derrière le maire un chef militaire présent pour prescrire des perquisitions domiciliaires et l'exécution manu militari, en cas de retard ou de refus. Mais l'autorité militaire prévenue pourrait employer l'appareil de la force pour exécuter des perquisitions domiciliaires, et ce droit suffira, avec les pénalités ordinaires, pour prévenir toute résistance de la part de la population, qui sait que le maire agit en vertu d'ordres rigoureux et sévères.

6o Le maire, délivrant l'ordre de réquisition et étant le délégué du gouverneur de la place, ne peut continuer à prendre en main la défense des intérêts de ses administrés. Aussi le règlement de 1890 lui prescrit-il d'adresser ses réquisitions « à son suppléant légal. Les explications qui précèdent établissent suffisamment qu'il n'y aura pas à craindre, comme on l'avait dit, que l'action du maire reste inefficace vis-à-vis de ce suppléant.

Celui-ci serait d'ailleurs, en cas de refus, passible de l'amende de vingt-cinq à cinq cents francs, prévue par l'article 21 de la loi du 3 juillet 1877. Il ne s'exposera certainement pas à encourir cette pénalité, dont la gravité a justement pour but, comme nous avons eu déjà l'occasion de le constater, sous l'article 21, de prévenir toute négligence et de bien pénétrer la population que l'exécution de la réquisition constitue pour celui qui en est chargé, une obligation des plus sérieuses.

Le système adopté par la loi du 5 mars et le règlement du 3 juin 1890 paraît donc bien ne pas présenter les inconvénients que son application avait pu faire craindre. Il reste pourtant encore une objection que nous n'avons pas réfutée, et qui était une de celles qui préoccup aient le plus les adversaires de la loi nouvelle; nous voulons parler de la difficulté d'assurer le transport et la livraison des de nrées livrées par la population jusqu'à la place à laquelle elles sont

destinées. Ces obstacles, dont le règlement du 3 juin 1890 ne s'est pas préoccupé, ne sont pas insurmontables. Ils constituent des détails très sérieux d'application dont l'administration de la guerre a prévu le fonctionnement au mieux des intérêts de chacun, en établissant à proximité des communes où sont exercées les réquisitions, des centres de réception désignés à l'avance, où l'autorité militaire prendra en charge les objets livrés, en donnera reçu et assurera ensuite, à l'aide des moyens dont elle dispose, le transport par les voies rapides jusqu'à destination.

7° Les réquisitions faites pour la formation des approvisionnements des habitants des places de guerre frappent une très grande étendue de territoire et revêtent en fait un certain caractère de généralité. Mais on continue à délivrer autant d'ordres de réquisitions qu'il y a de communes frappées; en droit, la réquisition n'est donc pas générale, elle reste locale comme l'avait voulu le législateur de 1877, bien qu'elle reçoive en vertu de la loi nouvelle une extension qu'il n'avait pas prévue.

III. L'œuvre de la loi du 5 mars et du règlement d'administration publique du 3 juin 1890 a été complétée par un décret du 12 mars 1890, « déterminant les règles générales du ravitaillement de la population civile des places fortes. >>

Aux termes de l'article 1er de ce décret, « toutes les mesures d'exécution nécessaires pour assurer, en cas de siège, la subsistance de la population civile des places fortes, tant du corps de place que des communes englobées dans le périmètre de défense, doivent être préparées, dès le temps de paix, pour la partie de cette population que l'autorité militaire estime pouvoir conserver dans l'enceinte de la place. »

Suivant l'article 2, « pour subvenir aux besoins des populations en vivres, fourrages, combustibles et autres denrées, on procédera: << 1° Par des achats ou réquisitions à exécuter dans la partie de la zone immédiate de ravitaillement qui se trouve sur le territoire placé sous le commandement du gouverneur de la place;

« 2o Par des achats ou réquisitions à exécuter sur le territoire national, en dehors des limites de ce commandement, soit dans la zone immédiate de ravitaillement, soit dans les centres de ravitaillement distincts de cette zone et désignés d'avance;

<3° Par des achats en dehors du territoire national;

<< 4° Par des approvisionnements permanents, quand la formation d'approvisionnements éventuels, par les moyens prévus aux alinéas 1er, 2o et 3° ci-dessus, aura été reconnue insuffisante par le Ministre de la guerre.

« Ces approvisionnements permanents sont constitués et entretenus dès le temps de paix, en conformité des crédits votés par les Chambres. »

Les articles 4, 6 et 7 de ce décret disposent en outre :

Art. 4. « Le Ministre de la guerre a, dans ses attributions, le service des approvisionnements, éventuels ou permanents, destinés à la population civile des places fortes. Il détermine la nature et l'importance des approvisionnements éventuels, les procédés par lesquels ils doivent être réalisés, les zones ou centres de ravitaillement affectés à chaque place pour les diverses denrées. Il désigne les places dans lesquelles il y a lieu d'entretenir des approvisionnements permanents, fixe la nature et l'importance de ces approvisionnements et en assure la constitution et l'entretien, dans les limites des crédits votés par les Chambres.

« Ces dispositions ne font pas obstacle aux mesures qui pourraient être prises dans le même but, pendant le temps de paix, par les municipalités dans les limites de leurs attributions, à la charge par elles d'en donner connaissance à l'autorité militaire. >>

Art. 6. « Dès que l'ordre général de mobilisation est donné, les places de première urgence procèdent immédiatement, et sans autre avis, à la formation de leurs approvisionnements éventuels, dans les conditions et dans les zones de ravitaillement précédemment déterminées par le Ministre de la guerre.

<< Le Ministre de la guerre peut, d'ailleurs, si les circonstances l'exigent, prescrire le ravitaillement immédiat d'une place de première urgence, sans que l'ordre général de mobilisation soit donné. Avis en est alors adressé par lui à toutes les autorités qui doivent concourir à ce ravitaillement sur l'ordre du gouverneur de la place; ce dernier n'emploie, dans ce cas particulier, que le procédé des achats, à l'exclusion des réquisitions.

<< Les places de deuxième urgence attendent un ordre spécial du Ministre de la guerre, même en cas de mobilisation, pour procéder à leur ravitaillement. >>

Art. 7. « Dès que le ravitaillement d'une [place est prescrit, soit par un ordre spécial du Ministre, soit comme conséquence de l'ordre général de mobilisation, le gouverneur de cette place passe immédiatement aux mesures d'exécution consignées sur le journal de ravitaillement de la place, approuvé d'avance par le Ministre de la guerre.

«En ce qui concerne la partie de la zone de ravitaillement placée sous son commandement, il dirige et surveille l'exécution de ces mesures, il fait passer les marchés et solder les réquisitions, dans les conditions prévues par l'article 27 de la loi du 3 juillet 1877, par l'autorité administrative sous ses ordres.

<<< Si la place doit recourir à des centres de ravitaillement placés en dehors de son commandement, le gouverneur de la place prévient les autorités militaires ou civiles qui ont été désignées d'avance dans ces centres, d'exécuter les achats ou réquisitions dont elles doivent posséder le détail dès le temps de paix. Il délègue, dans ce but, aux autorités civiles, s'il y a lieu, les droits de réquisition nécessaires pour l'acquisition et le transport des denrées. L'ordonnancement des dépenses est fait, dans ce cas, par l'autorité administrative militaire du lieu de livraison du matériel ou des denrées auxquels ces dépenses sont relatives (1)..... »

Nous n'avons pas à entrer ici dans d'autres détails à ce sujet. Nous nous contenterons de rappeler en terminant que les Ministres de la guerre et de l'intérieur, dans le but d'assurer la formation des approvisionnements permanents des habitants des places de guerre, ont déposé, le 10 novembre 1890, à la Chambre des Députés, un projet de loi d'ailleurs étranger au droit de réquisition. Ce projet a été adopté d'urgence dans la séance du 27 mai 1891 avec quelques modifications proposées au nom de la commission de l'armée par M. G. Berger, dans son rapport du 19 mars de la même année. Il est soumis actuellement à l'examen du Sénat.

1. V. le texte complet du décret et le rapport qui l'accompagne, Journal officiel du 16 mars 1890, p. 1397 et 1398.

CONCLUSION

Il nous est facile de constater avec quel soin scrupuleux le législateur a ménagé les intérêts privés des habitants, tout en pourvoyant aux besoins de l'armée et de la défense nationale. Les principes de notre droit public, quant à la liberté des personnes et au respect de la propriété, n'ont subi que les atteintes imposées par les nécessités d'intérêt public de l'ordre le plus élevé. Les cas d'ouverture du droit de réquisition, les autorités chargées de l'exercer, ont été strictement déterminés; les formalités à suivre pour arriver à la livraison, nettement tracées; le paiement d'une juste et équitable indemnité, l'examen et le jugement rapides des réclamations ont été assurés; l'inertie, le refus d'obéissance et les abus de pouvoir, réprimés.

Certaines lacunes existent pourtant dans ceux des titres de la loi et du décret de 1877 que nous avons étudiés.

1° Tels qu'ils sont, la loi et le décret de 1877 suffisent pour subvenir par voie de réquisition aux besoins des troupes dans les marches et au jour le jour dans les cantonnements. Mais ils nous paraissent d'une application plus compliquée quand il s'agira de former ou de compléter les approvisionnements destinés aux magasins ou aux services généraux de l'armée. Les réquisitions générales que le législateur de 1877 a systématiquement écartées (V. suprà, p. 223 et 224) nous eussent semblé préférables à la multitude de réquisitions locales que les généraux ou fonctionnaires de l'intendance auront alors à adresser pour arriver aux mêmes résultats. La loi allemande du 30 mai 1873 a été, croyons-nous, mieux inspirée en admettant, à côté des réquisitions locales dont elle fait une charge communale (art. 3 à 7), les réquisitions générales pour certaines denrées déterminées: pain, avoine, foin, paille et viande. Elle consacre à cet effet un chapitre spécial en trois articles (art. 16 à 18): Des prestations provinciales. Le Conseil fédéral rend la décision prescrivant la fourniture des dites denrées aux magasins de guerre (art. 16). La réquisition se fait par circonscriptions de prestations, formées dans les États fédéraux par les gouvernements respectifs. Le Conseil fédéral détermine celles des prestations à livrer et les circonscriptions tenues de les fournir. La

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