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tif russe. N'inclinait-il pas en effet à substituer à la souveraineté de l'occupé celle de l'occupant, de telle manière que celui-ci « pût exiger de la population locale tous les impôts, services et redevances en nature et en argent, auxquels ont droit les services du gouvernement légal. » (Texte de l'art. 52, projet primitif.)

Cette idée de substitution de souveraineté, qui se présentait certainement à la simple lecture des textes de M. le colonel fédéral Hamnier et de l'article 52 du projet primitif russe, n'était pourtant dans la pensée de personne à la Conférence, au sujet des réquisitions. Comme le remarquait M. de Lansberge, délégué des Pays-Bas, d'abord partisan du système russe, «< il ne s'agit pas ici de déclarer valable dans le pays occupé une législation étrangère, mais d'obtenir de l'ennemi qu'il limite les prestations à exiger des populations occupées à ce qu'il serait en droit de demander aux populations de son propre pays. On arriverait ainsi à obtenir un traitement plus favorable pour les habitants du territoire envahi (1). » Si on lit avec soin les protocoles XV et XVI de la commission déléguée par la Conférence, dans l'exposé d'aucun des systèmes proposés, on ne voit émettre, à cette occasion, l'idée d'une substitution de souveraineté sous une forme quelconque. Cette idée reste étrangère à l'exercice de droit de réquisition fondé sur la seule nécessité. A quels usages se référera-t-on pour limiter les prestations exigibles des populations que l'on veut avant tout ménager: à ceux de l'un des deux adversaires ou bien à ceux qui sont généralement reconnus dans la guerre? Tel est le point sur lequel on discute, et la portée des trois systèmes. Le système suisse et le projet primitif russe, en outre de l'ambiguïté de leurs termes, avaient l'un et l'autre l'inconvénient reproché au système suisse par M. le colonel Staaff, délégué de la Suède et de la Norvège, « de mesurer les droits du vainqueur à l'étendue des sacrifices extraordinaires que l'État peut, dans un cas donné, réclamer de ses sujets (2). >

Ces deux systèmes n'offraient donc pas, pour la population du territoire occupé, la garantie que l'on voulait lui donner. Comme le disait M. Bernard, à la quatrième commission de l'Institut de droit

1. Protocole XV, loc. cit. p. 206.

2. Protocole XV, ibid. Il était facile d'objecter encore au projet primitif russe, comme le fit M. le général de Voigts-Rhetz, qu'il pourrait arriver que l'occupé n'eût pas de règlements sur la question » (ibid. p. 206). S'il en a, il arrivera très bien qu'ils soient difficiles à connaître et à bien appliquer par l'occupant.

international, en 1874-75 : « Il n'y a pas d'analogie, entre ce qu'un gouvernement peut exiger de ses sujets pour la défense de leur pays, et ce qu'un occupant peut réclamer d'eux pour le mettre en état d'envahir et de conquérir ce même pays (1). »

§ II. Règles adoptées par la Conférence de Bruxelles et par l'Institut de droit international. La Conférence de Bruxelles a adopté à juste titre le troisième système, dans l'article 40 ci-après, dont le texte fut présenté à la Commission de la Conférence, dans la séance du 20 août 1874, par M. le baron Jomini, délégué de la Russie:

<< La propriété privée devant être respectée, l'ennemi ne demandera aux communes ou aux habitants que des prestations et services en rapport avec les nécessités de guerre généralement reconnues, en proportion avec les ressources du pays,

et qui n'impliquent pas pour les populations l'obligation de prendre part aux opérations de guerre contre leur patrie. »

Cette formule nous semble, comme à M. Rolin-Jaequemyns (2), la plus logique, dans cette matière de droit des gens où les besoins de toute armée occupante, quelle qu'elle soit, sont de même nature. Toute question de législation interne doit donc être laissée de côté (3). L'occupant pourra sans doute se servir dans la pratique, soit de la

1. Rapport de M. Rolin-Jaequemyns, loc. cit., Revue de droit international, 1875 p. 505.

2. loc. cit., p. 504.

3. M l'intendant Delaperrière, (loc. cit., p. 787.) estime que la Conférence de Bruxelles aurait adopté le deuxième système. « D'après cette théorie, l'occupation du territoire aurait pour effet de conférer à l'ennemi une sorte de souveraineté temporaire, lui donnant tous les droits qu'avait le Gouvernement dépossédé vis-à-vis de ses sujets,et lui permettant de les exercer à son profit et aux mêmes conditions; ce droit de souveraineté temporaire n'existerait d'ailleurs qu'autant qu'il y a occupation effective à titre de belligérant, et cesserait, dès que serait intervenu un traité ou un armistice. Il en résulterait que les réquisitions seraient demandées par l'envahisseur dans les conditions posées par la loi même du pays et donneraient droit à indemnité ; sous réserve des cas d'urgence qui donneraient aux chefs militaires le droit de procéder eux-mêmes à la répartition des prestations requises et, au besoin, par l'exécution. militaire. Les explications données ci-dessus montrent que ce système a été très nettement écarté par la Conférence; l'idée de substitution de souveraineté est d'ailleurs étrangère au droit à l'indemnité qui se conçoit très bien dans la théorie adoptée par l'article 40, en dehors de toute question de droit public interne.

loi spéciale que son armée emploierait en territoire national, soit de la loi qui régirait le pays occupé, mais l'une ou l'autre sera seulement pour lui un guide, et rien de plus, au point de vue du droit des gens.

La rédaction de l'article 40 donne lieu à une observation de forme. L'article débutant par ces mots : « La propriété privée devant être respectée », il semble que la suite du texte ne va concerner que les réquisitions portant sur les objets matériels. Le mot services signifierait donc l'utilité, l'avantage que l'ennemi retire de la chose fournie, le service que lui rend la livraison des objets matériels requis. On aurait tort de limiter ainsi la portée de l'article 40. En effet, au cours des délibérations de la Conférence de Bruxelles, M. le baron Lambermont avait demandé une explication sur le mot services « qui a un caractère plus personnel que le mot prestation ». M. le général de Voigts-Rhetz répondit que, « par cette expression on entend les offices rendus par les conducteurs de voitures, les serruriers, les maréchaux, les charpentiers et en général tous les ouvriers, à quelque métier qu'ils appartiennent », qu'il croyait « utile de conserver ce terme pour qu'on ne conteste pas plus tard le droit de réclamer ces genres d'offices »; qu'« en outre ils ne peuvent être contraires à l'article 48 » (art. 36 du projet de Déclaration actuelle) (1).

L'article 40 définitif vise donc à la fois les réquisitions d'objets matériels et celles de services personnels auxquels la dernière partie de l'article se rapporte plus spécialement. Il eût été plus simple par conséquent de le faire commencer ainsi : « La propriété privée et les personnes paisibles devant être respectées, etc... »

Le Manuel des lois de la guerre sur terre de l'Institut de droit international a été mieux inspiré en parlant dans deux articles, et même dans des parties distinctes, de ces deux sortes de prestations.

D'une part, en effet, l'article 48, situé au milieu des Règles de conduite à l'égard des personnes, dispose que « les habitants d'un territoire occupé, qui ne se soumettent pas aux ordres de l'occupant pourront y être contraints. L'occupant ne peut toutefois contraindre les habitants à l'aider dans les travaux d'attaque et de défense, ni à prendre part aux opérations militaires contre leur

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20 août 1874. p. 212.

propre pays. >> Voilà le principe posé, pour les réquisitions de ser

vices personnels.

D'autre part, l'article 56 placé parmi les Règles de conduite à l'égard des choses (propriétés privées) stipule que « les prestations en nature (réquisitions), réclamées des communes ou des habitants, doivent être en rapport avec les nécessités de guerre généralement reconnues, et en proportion avec les ressources du pays. » Voilà la règle tracée, pour les réquisitions d'objets matériels.

CHAPITRE II

Prestations qui peuvent être l'objet de réquisitions.

SECTION I

RÉQUISITIONS DE SERVICES PERSONNELS.

Nous avons indiqué, en parlant dans la section I du chapitre I des limites dans lesquelles les réquisitions de services personnels devaient être renfermées, les prestations qui ne pouvaient être exigées par l'occupant, et celles dont la légitimité avait soulevé quelque difficulté. Il reste un grand nombre d'autres services personnels, en dehors de ceux-là, que l'ennemi a le droit d'imposer à la population. C'est ainsi que l'occupant requerrait légitimement les habitants, pour la préparation des aliments des troupes logées ou cantonnées, pour couper les récoltes sur pied, les charger sur les voitures, battre le blé, l'orge, l'avoine restés en gerbes; des boulangers, pour aider à faire le pain; des bouchers, pour l'abat du bétail; des ouvriers: menuisiers, charpentiers, serruriers, charrons, bourreliers, etc., pour la construction de magasins ou pour certaines réparations de matériel etc.

De même la réquisition porterait encore, à juste titre, sur le traitement, par les habitants, des malades et blessés militaires qui ne pourraient être recueillis dans les ambulances et les hôpitaux de campagne ou de l'arrière, à la condition pourtant que la population ne fût pas mise en demeure de soigner les hommes atteints de maladies contagieuses. Les médecins, chirurgiens, pharmaciens civils, dont on jugerait l'assistance indispensable, seraient aussi légitimement requis de prêter momentanément leur concours à l'occupant; les habitants pourraient, après une bataille, et tout danger disparu, être appelés à aider à l'enlèvement des blessés, voire même à enterrer les morts, etc.

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