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Nous nous bornons à ces exemples: énumérer d'une manière complète les services personnels susceptibles de réquisition serait impossible, ils dépendent de la variété des circonstances qui les provoquent. Il suffit qu'ils soient motivés par la nécessité et qu'ils ne dépassent pas les limites ci-dessus, sur lesquelles nous n'avons pas à revenir.

SECTION II

OBJETS MATÉRIELS SUJETS A RÉQUISITION.

La réquisition comprend tous les objets matériels « en rapport avec les nécessités de la guerre généralement reconnues. >

Ce sont notamment :

1° L'installation matérielle des troupes, (cantonnements, camps, bivouacs);

2° La subsistance de l'armée en campagne;

3o Les moyens de transport par les routes de terre, par les voies ferrées et par eau; les moyens de correspondance: postes, télégraphes, etc. 4o Les locaux et toutes autres prestations destinées aux soins des blessés et malades;

5 Les objets d'habillement, d'équipement, de harnachement et de campement;

6o Les matériaux, outils, machines, appareils, etc., destinés à l'exécution des divers services de l'armée, réserve faite pourtant des cas où les objets requis doivent servir à l'exécution des travaux ayant des rapports directs avec les opérations de guerre proprement dites.

En étudiant dans un paragraphe spécial chacune des six espèces de réquisitions qui précèdent, nous rencontrerons parfois, à côté d'elles ou à leur place, un droit distinct de saisie sur certains objets (chemins de fer, bateaux, télégraphes, approvisionnements d'armes, de munitions, de draps, cuirs, etc.) appartenant à des particuliers. Ce droit reconnu à l'occupant (art. 6, projet de Déclaration de Bruxelles), même s'il n'a pas besoin de ces objets pour son usage, et avant tout pour empêcher l'adversaire de s'emparer et de se servir de moyens

de nature a être employés pour les opérations de guerre, sera nécessairement aussi l'objet de notre attention. Nous étudierons les hypothèses où il s'ouvre, au fur et à mesure qu'elles se présenteront à nous dans l'examen des six paragraphes précédents, sauf à grouper en terminant celles que nous n'aurions pas ainsi rencontrées.

Peut-être nous objectera-t-on d'avoir donné à cette section des développements trop étendus, sinon trop techniques. Mais il était difficile, en cette matière, de séparer la question de droit des gens du point de vue purement pratique, pour avoir des notions suffisantes sur le rôle de la réquisition eu égard à l'organisation et aux théories généralement admises sur l'administration des armées modernes. C'est un élément de fait qu'il faut bien d'ailleurs pouvoir apprécier, pour savoir dans quelle mesure le droit des gens peut modifier les données qui en résultent, et connaitre l'étendue des charges que la nécessité militaire ainsi limitée pourra imposer aux populations.

Il ressortira d'ailleurs de ces explications la meilleure preuve de la nécessité, de la légitimité des réquisitions et de l'importance qu'elles sont appelées à prendre dans les guerres à venir.

SI.

Installation matérielle des troupes cantonnement, camps, bivouacs.

Suivant les circonstances, les troupes en campagne sont cantonnées, bivouaquées ou campées.

On entend par cantonnements, les lieux habités que les troupes occupent sans y être casernées.

Les camps sont les lieux choisis et préparés à l'avance, dans un but déterminé, où les troupes doivent faire un séjour de quelque durée sous de grandes tentes ou dans des baraques.

Les bivouacs sont les endroits où les troupes s'établissent pour un séjour généralement très court, sous des abris improvisés, ou en plein air, ou sous de petites tentes (1).

I. Cantonnement. -Des trois modes d'installation indiqués ci-dessus, le cantonnement est celui qui assure le mieux le repos des hommes, des chevaux et des mulets appartenant à l'armée.

1. Ces définitions sont empruntées au règlement français sur le service des armées en campagne (art. 39, décret du 26 octobre 1883).

Les troupes, quand elles sont placées à quelque distance de l'ennemi, ont le plus souvent le temps de se concentrer et de se porter en avant afin d'aller prendre une position de combat, ou de se mettre en route sans rencontrer de difficultés. Elles pourront donc s'étendre sur le pays au lieu de rester groupées d'une manière trop compacte, en sorte qu'elles trouveront facilement de la place chez l'habitant. Si l'obligation de pousser rapidement des effectifs nombreux sur un point. déterminé contraint à marcher très condensé, les locaux disponibles deviendront insuffisants; on sera forcé de faire bivouaquer une plus ou moins grande partie des hommes et des chevaux, après avoir bondé les localités occupées. Il en sera de même pour les troupes placées au voisinage de l'ennemi; la sécurité de l'armée, indépendamment de l'insuffisance des habitations, exige alors que l'on recoure en partie au bivouac, en partie au cantonnement.

Ces détails montrent que chaque habitant aura un nombre plus ou moins élevé d'hommes à loger, suivant que le cantonnement sera large ou resserré. Est-il possible de déterminer à l'avance des chiffres moyens indiquant l'étendue des obligations qui peuvent incomber par maison? On admet généralement qu'on doit compter 2 à 6 hommes par feu pour le cantonnement étendu, par habitant pour le cantonnement resserré, mais ces chiffres constituent de simples indications. Il est très difficile d'établir une règle générale d'évaluation sérieuse. Deux centres égaux en population présenteront souvent de notables différences comme capacité de cantonnement. Les dissemblances ne seront pas moins manifestes, entre les localités de plaine et de montagne, entre les villes et les villages (1).

<< Il semblerait puéril de caractériser par des chiffres les cantonnements resserrés ou étendus. La seule chose qu'il importe de considérer, c'est le temps qu'il faut pour concentrer un corps de troupes, le faire sortir de ses cantonnements, le déployer pour combattre, ou le mettre à même d'entreprendre une opération quelconque. C'est cette considération qui influe d'une manière décisive sur l'étendue même du rayon des cantonnements, sur le degré de densité des troupes auxquelles on fait occuper ces cantonnements(2). »

1. Comp. Général Lewal, Études de Guerre, Tactique des stationnements, p. 10 et suiv.

2. Général Bronsart von Schellendorf, loc., cit. p. 215. (V. aussi les chiffres don

Les cantonnements larges ménagent les populations et permettent plus facilement d'exiger, au besoin, la nourriture par le logeur. Il en est différemment des cantonnements resserrés : les maisons, hangars, granges, écuries, remises, servent alors d'abri à tout ce qui peut y être contenu en hommes et en chevaux.

Les usines et fabriques, les châteaux, les fermes, les granges, présentent de grandes ressources, surtout pour la cavalerie. Les villages et les bourgs sont préférables aux villes pour conserver le groupement des différentes armes; les villes sont surtout utiles au cantonnement de l'infanterie (1).

Les habitants peuvent être tenus d'éclairer toute la nuit les rues à l'aide de torches, d'entretenir de la lumière à leurs fenêtres et de laisser la porte de leur maison ouverte; si l'on craint quelque alerte et des difficultés de rassemblement, on percera des brèches dans les haies et les clôtures.

Afin de faciliter la réunion des troupes on occupe de préférence les rez-de-chaussée.

Les soldats ont droit dans leurs logements au feu et à la lumière. La paille de couchage est généralement demandée si les hommes font un certain séjour.

On doit tenir compte, dans l'établissement et la répartition du

nés ci-dessous, relevés dans quelques communes du département de la Marne en 1870 et concernant le nombre de soldats cantonnés et nourris chez l'habitant parag II, p. 49.)

1. Le général von der Goltz fait observer, avec raison, que l'armée a un grand intérêt à ne pas entasser trop d'hommes chez l'habitant. Nous croyons devoir citer ici en entier le passage qui traite de ce point particulier et confirme en même temps les données qui précèdent : « Quiconque a vu la guerre de près sait avec quelle vitesse toutes les provisions s'épuisent, dans les localités sur lesquelles se répand un torrent de soldats Les magasins se vident ou sont fermés, les provisions disparaissent, il n'en arrive pas de nouvelles. Dans les cantonnements bondés de monde, il n'y a pas possibilité de se reposer pendant le jour, de dormir pendant la nuit. Il est donc nécessaire de les répartir sur une assez grande étendue de pays. Les richesses, les occupations et le genre de vie des populations : voilà sur quoi on se réglera. En plaine, où l'on s'occupe exclusivement d'agriculture, on peut compter en moyenne un garnisaire par âme, si l'on veut que le soldat soit commodément logé. Il faut évidemment faire une exception pour les localités où il y a des fabriques, les villages de tisseurs de lin, les districts de mineurs et les grandes villes. Berlin, avec son million d'habitants, ne pourrait jamais loger un million de soldats, tandis qu'un village à peu près bien bâti peut même dépasser en garnisaires son chiffre d'habi tants. » (La nation armée, p. 240.)

cantonnement, de certaines considérations qui en limitent les charges. Ainsi :

1o Dans le cas où les belligérants auraient adhéré à la convention de Genève du 22 août 1864, l'occupant devrait appliquer l'article 5 de cette convention ainsi conçu: « Tout blessé recueilli et soigné dans une maison y servira de sauvegarde. L'habitant qui aura recueilli chez lui des blessés sera dispensé du logement des troupes, ainsi que d'une partie des contributions de guerre qui seraient imposées. >>

Cet article, conçu dans la louable intention de stimuler le zèle charitable envers les blessés, avait une rédaction un peu vague. Deux ou trois soldats soignés dans un vaste établissement ou château suffisaient-ils pour exempter de la charge du cantonnement? Des abus et des difficultés pouvaient se produire. Aussi la convention additionnelle du 20 octobre 1868 vint-elle interpréter comme il suit l'article 5 précité : « Conformément à l'esprit de la convention et aux réserves mentionnées au protocole de 1864, il est expliqué que, pour la répartition des charges relatives au logement des troupes et aux contributions de guerre, il ne sera tenu compte que dans la mesure de l'équité du zèle charitable déployé par les habitants (1). »

2o Les églises, temples, synagogues ne seront pas assujettis en principe au logement et au cantonnement des troupes. C'est l'application de l'article 38 du projet de Déclaration de Bruxelles. « L'hon neur et les droits de la famille, la vie et la propriété des individus, ainsi que leurs convictions religieuses et l'exercice de leur culte doivent être respectés (2). » Est-ce à dire que les édifices désignés plus haut ne devront jamais recevoir de troupes? M. le baron Lambermont, délégué de la Belgique à la Conférence de Bruxelles, reprenant une idée déjà indiquée par Caratheodory-Effendi, délégué de la Turquie, avait proposé à ce sujet de modifier l'article 8 du projet de Déclaration, en adoptant la disposition suivante: « L'armée d'occupation ne peut prendre possession des églises, hôpitaux, établissements de charité ou d'instruction, à moins qu'ils ne soient indispensables pour l'installation des malades et des blessés, non plus que des musées, etc. M. le général de Voigts-Rhetz, délégué de l'Allema

1. V. en ce sens art. 59 du Manuel des Lois de la guerre sur terre.

2. Sic, art. 49, Manuel des Lois de la guerre sur terre.

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