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octrois ou des régies, s'il en existe, donneront aussi pour certaines denrées, les liquides notamment, des indications assez précises.

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II. Zones de réquisition. Les ressources des localités évaluées, il faudra répartir chacune des communes entre les corps de troupes ou services, de manière que chaque lotissement ait une affectation nettement déterminée. Odier fait ressortir, dans les termes ci-après, l'importance considérable de ces zones d'action (1) : « Imaginez une division où des règles seront sagement établies et sévèrement observées. Les gardes sont disposées, les corvées commandées, le camp se forme, les abris se construisent; les détachements sont partis en ordre, ils rentrent de même; les paysans les suivent, apportant ce qui leur a été demandé; aucun soldat ne manque à l'appel, et le camp est pourvu. Imaginez, au contraire, une division, un corps d'armée où ces mêmes détails sont négligés: on arrive à la position, au cantonnement, les chefs abandonnent leurs troupes, les soldats sont épars et le camp est désert; l'un cherche du bois, un autre de l'eau ; celui-ci de la paille, des vivres, des fourrages; le domicile des citoyens est violé, les denrées gaspillées, les caves enfoncées, les greniers vidés, l'autorité des officiers est méconnue, leur logement lui-même n'est pas à l'abri des incursions du soldat. Sous le prétexte de se procurer le nécessaire, on enlève les meubles des habitants, et la ville et le village sont transportés au camp. Dans ce pillage, car il faut appeler les choses par leur nom, les soldats de service manquent de tout; une partie des autres, se trouvant mieux sous un toit que sous l'abri d'ur bivouac, restent dans les maisons d'où la générale peut à peine les arracher. Cependant si cette troupe est placée près d'un village bien pourvu, on perdra encore peu de monde, malgré tout ce désordre :

d'évaluation ne sont plus d'un usage pratique; les approvisionnements n'existent que chez les commerçants; une vérification sur place peut seule en faire connaitre l'importance.

Ajoutons encore que dans certains pays les produits de la récolte sont exportés en entier. Tel est le cas pour les céréales lorsque le blé ne constitue pas la nourri ture habituelle des habitants. En 1859, dans la Lombardie, où l'on avait compté sur d'abondantes ressources pour l'alimentation de l'armée française, on ne trouva guère chez la plupart des habitants que du maïs servant à faire la polenta, nourriture peu goûtée de nos soldats et que l'administration ne réussit pas à faire accepter (V. intendant Cretin, loc. cit., p. 380 et 388).

1. Intendant Odier, Cours d'administration militaire, t. VI, p. 232 à 234.

mais si ce lieu ne suffit pas, et si les plus avides ont dérobé, au profit d'un petit nombre, ce qui eût suffi pour la subsistance de tous, les derniers venus se jettent sur les pays voisins; de village en village ils s'étendent dans la campagne, se logent, s'arrêtent une heure de trop, perdent la trace de leurs corps et sont égarés pour le reste de la campagne. Une telle division sera infailliblement réduite de 8.000 à 2.000 hommes en moins de quinze jours, sans avoir combattu,comme cela s'est vu plusieurs fois. >

Ce tableau, présenté par un savant administrateur militaire, est la meilleure démonstration de l'utilité pour la population et l'armée de l'évaluation des ressources du territoire et de leur affectation méthodique à des groupes bien déterminés. Cette fixation des zones d'alimentation, combinée avec l'usage régulier de l'action individuelle et directe des corps de troupes auxquels elles sont affectées, a été une des causes de succès de l'armée prusienne en 1870-1871 (1).

L'importance des zones de réquisition n'est pas moindre à un autre point de vue encore, qui est d'éviter des compétitions et des rivalités entre les troupes pour l'exploitation locale. Tout corps de troupe à qui l'on assigne une localité comme cantonnement,» dit à ce sujet le général von der Goltz, « est jaloux de son droit passager de propriétaire et voit d'un mauvais œil tout intrus. De même qu'on fait bien d'assigner dans les localités d'une certaine importance les différents quartiers à tels ou tels corps, de même aussi l'état-major devra assigner très exactement aux grandes unités le territoire qu'elles ont à occuper, sans quoi il surgira immanquablement des conflits. Dans tout ce qui touche aux subsistances, l'égoïsme joue un grand rôle. Le généralissime déterminera donc les rayons au delà desquels les corps d'armée ne doivent pas s'étendre le général commandant fera de même pour les divisions, l'artillerie du corps et les colonnes. Il ne suffit pas de tracer des démarcations il faut de plus indiquer à quels corps reviennent les localités situées sur ces lignes mêmes (2). »

1. V. à ce sujet, intendant A. Baratier, l'Intendance militaire pendant la guerre de 1870-1871, p. 11, et Essai d'instruction sur la subsistance des troupes en campagne dans le service de première ligne., loc. cit., p. 569; intendant Cretin, loc. cit., p. 382. Comp. les articles 28 et 38 de l'instruction française sur le service d'alimentation en temps de guerre et l'article 11 de l'instruction du 12 avril 1889 sur les officiers d'approvisionnement.

2. La Nation armée, p. 244.

§ II.

A qui les réquisitions doivent-elles être adressées ?

Quand la réquisition est locale, l'ordre de fournir les prestations nécessaires à l'armée doit être adressé, autant que possible, à l'autorité municipale ou, à défaut, aux notables (1).

Cela offre tout d'abord l'avantage, comme nous le verrons tout à l'heure, de permettre une répartition plus équitable des charges de la réquisition entre les habitants.

De plus, on évite ainsi le contact direct entre les habitants imposés et les soldats, ce qui est d'une extrême importance, car, ainsi que le dit très justement le général de Clausewitz, « il est rare que livrés à eux-mêmes, les hommes ne s'adjugent pas plus qu'il ne leur est raisonnablement nécessaire, de sorte qu'une bonne partie des ressources se perd ainsi sans profiter à personne (2). »

En outre, dans le cas où la réquisition serait exagérée, la municipalité essayera, si elle en a le temps avant l'exécution, d'obtenir des réductions, sinon elle réunira ce qu'il sera possible de fournir et fera valoir à l'autorité militaire les motifs qui ont empêché les habitants de livrer davantage.

Enfin l'intervention de l'autorité municipale ou des notables facilitera le règlement d'une juste indemnité dont l'occupant, s'il peut payer, débattra au besoin le chiffre avec le chef de la commune. Celui-ci pourrait alors être chargé de faire distribuer aux ayants droit la somme payée en bloc à la commune pour plus de simplicité.

Si la réquisition est générale, il sera plus simple de l'adresser au fonctionnaire préposé à la division administrative qu'elle frappe: gouverneur de province, préfet, etc. Là où l'autorité civile supérieure aurait disparu, on pourrait s'adresser à des commissions composées des citoyens les plus importants qui seraient chargés d'exécuter la

1. Sic, art. 105, Règlement français du 28 octobre 1883 sur le service des armées en campagne. Comp. art. 19 de la loi du 3 juillet 1877 et art. 35 du décret du 2 août 1877.

2. Général de Clausewitz, loc. cit., tome I, p. 353.

réquisition, comme nous l'avons fait en l'an IX, pendant la période d'occupation des pays rhénans (1).

Dans le cas où la réquisition aurait pour but la délivrance de denrées existant en abondance chez des détenteurs particuliers, par exemple des cuirs, habillements, blés, etc., la réquisition pourrait être faite à ces détenteurs directement.

Enfin si une réquisition urgente était nécessaire sur un point éloigné du siège de la municipalité, il est évident qu'on s'adresserait directement aussi aux habitants, et non à l'autorité civile dont on n'aurait pas le temps de réclamer le concours.

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Forme de la réquisition : Ordre écrit. Avis préalable.

Il est à désirer que la réquisition soit toujours faite en vertu d'un ordre écrit et signé (2) mentionnant clairement la nature et la quantité des prestations à fournir, la durée du service, le jour, l'heure et le lieu de la livraison. Ces diverses indications permettent en effet de déterminer l'étendue de l'obligation imposée, et elles en facilitent, à l'avantage de tous, la bonne exécution. La désignation de la qualité du requérant n'est pas moins indispensable afin de permettre à la municipalité, le cas échéant, de pouvoir réclamer contre un ordre qui lui paraîtrait émaner d'une personne ou d'uneautorité requérant sans droit.

Si on le peut, on avertira les municipalités de la réquisition un peu à l'avance (3), et, autant que possible, la veille même de l'arrivée des troupes. Les habitants auront ainsi le temps de préparer plus facilement, en dehors de la présence de l'ennemi et pour le moment fixé. la fourniture des quantités de denrées mises à leur charge; l'autorité locale pourra, de son côté, réunir, à l'endroit déterminé, pour les remettre à l'autorité militaire, les prestations livrées par la population.

1. V. intendant Delaperrière, loc. cit., p. 790 et 792; intendant Odier, loc. cit., t. V, p. 349 et suiv.

2. Comp. dans ce sens, art. 3, loi du 3 juillet 1877 et art. 9, décret du 2 août 1877. 3. Comp. art. 30 de l'instruction du 30 août 1885, sur le service de l'alimentation en temps de guerre.

Cet avis sera distinct de l'ordre de réquisition, lorsque les denrées n'exigeront pas de manutention, parce que, en cas de contre-ordre, il n'en résultera pas de perte sensible pour la localité; d'autres fois, l'avis préalable se confondra avec l'ordre de réquisition. Cela aura lieu s'il s'agit de denrées nécessitant une préparation assez longue, comme le pain, la viande fraîche, etc.; sinon la crainte bien naturelle d'un changement d'itinéraire et des pertes qui en proviendraient empêcherait la population d'obéir à un avis qui resterait pour elle dépourvu de tout caractère impératif. De même si l'on appréhendait que les foins ne fussent pas rentrés, les avoines pas battues, ou que certaines récoltes fussent encore en terre ou sur pied, il serait bon d'employer cette forme, sauf à convertir ensuite, s'il est possible, la réquisition en convention amiable suivie de paiement.

Les avis préalables de réquisition adressés aux municipalités feront connaitre les quantités à livrer au jour fixé, mais sans mentionner l'arme à laquelle appartiennent les troupes, ni à plus forte raison les numéros des régiments. Ces indications seraient inutiles ou même dangereuses. On devra se garder aussi de donner à l'avis distinct de l'ordre de réquisition une forme vague pouvant laisser pressentir une modification dans l'itinéraire, car il ne produirait alors aucun effet utile (1). Il s'agit d'ailleurs là de questions de détail qui · échappent à des règles fixes.

SIV.

Autorité compétente pour requérir.

Afin de ne pas réclamer des prestations dépassant les exigences de la nécessité ou les ressources du territoire frappé de réquisition, pour ne pas exposer le pays occupé à des vexations ou à des charges écrasantes résultant de l'arbitraire d'une action multiple et non coordonnée, il faut dans l'exercice de la réquisition une volonté, une direction unique, sauf à la mettre en mouvement à l'aide d'un nombre suffisant d'agents expressément délégués à cet effet.

Le Manuel de droit international à l'usage des officiers de l'armée

1. V. intendant Cretin, loc. cit., p. 384 et suiv.; intendant A. Baratier, à son

cours.

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