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fement: enfuite j'en raporteray une autre que j'ay faite la apres mort d'une personne travaillée d'une cataracte, fur laquelle on n'avoit point fait l'operation : & enfin j'en raporteray deux autres faites apres la mort d'une autre perfonne, fur laquelle j'avois fait l'operation sur les deux yeux quelques tems avant fa mort.

PREMIERE OBSERVATION.

En l'année 1682. j'abaissay une cataracte fur Thomas Charié Maréchal demeurant à Châtres fous Méry. Cette cataracte, avant l'operation, me parut bonne, quoique la pupille eût de la peine à fe refferrer. Dans le tems de l'opération, apres que j'eus introduit l'éguille dans l'œil, & que j'eus détaché la cataracte, je m'aperçeus quelle s'avançoit fort en devant, lorsque j'apuyois l'éguille pour l'abaiffer, & qu'il fortoit par la pupille quelque chofe de blanc & fort flexible. Je crus facilement que c'étoit toute la cataracte qui paffoit par la pupille: cela me fit changer la fituation de mon éguille, pour en porter doucement la pointe à la partie fupérieure de la pupille, afin de retirer en dedans & d'abaiffer ce que je voyois : mais je fus furpris, en faisant ce mouvement, de voir un corps gros, blanc & rond, qui n'avoit point la forme d'une membrane, rouler fous mon éguille. Je reportay plufieurs fois la pointe de mon éguille fur ce corps & je l'abaissay: apres quoi je vis l'œil fort clair, & le malade alors diftingua les objets communs. Apres avoir enfin tenu quelque tems ce corps fujet, je retiray mon éguille.

Quelques jours apres, la cataracte remonta un peu,

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& j'aperçeus quelque chofe de blanc par delà la pupille, qui hauffoit & baiffoit au moindre mouvement de l'œil. Je crus que cela fe précipiteroit dans la fuite; je me trompay car apres que le malade fut guéry de la piqueure, cela continua, & il paffa ainsi l'hyver. C'étoit dans l'automne que l'opération avoit été faite.

Le primtems fuivant il me vint trouver, & me pria instamment de lui abbaiffer ce nuage, qui l'incommodoit fi fort, à ce qu'il me difoit, qu'il étoit obligé de fermer cet oil pour ne s'en fervir que de l'autre, qui avoit auffi été travaillé d'une cataracte, dont l'opéraration avoit été faite il y avoit envîron dix huit mois. J'allay donc chez lui: je remis l'éguille dans fon œil, je la portay au bas de la pupille, pour reprendre ce que j'avois abbaiffé par le bas & lui faire faire la culebute, comme l'enfeigne Guillemeau pour les cataractes qui ne demeurent pas fujettes; & je m'aperceus auffi-tôt que je faifois remonter ce corps blanc & rond que j'avois remarqué la premiére fois, mais qui ne me parut pas fi gros: je l'abbaissay enfin pour la feconde fois, & il refta fujet : & ce qui paroiffoit auparavant difparut entierement. Il vit alors de cet œil comme il voyoit du premier, & a vêçu prés de 19. ans depuis, n'étant mort qu'en l'année 1701. fort âgé.

Cette obfervation a été la premiére qui a commencé à me faire des-abufer de l'opinion commune; car je raisonnois ainfi : fi la cataracte eft une membrane qui s'engendre entre l'uvée & le cristallin, étant separée, elle ne peut contenir un fi grand espace, & on pourroit aifemeut la loger au deffous de la prunelle fans

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quelle incommodât, & dailleurs la vüe feroit auffi bonne comme elle étoit avant la naiffance de la cataracte. Si c'est une pellicule qui fe détache du cristallin, à la verité la vie devroit être diminuée apres l'opération, mais cette pellicule ne devroit pas paroître fous un fi gros corps: il faut donc, difois-je, que ce foit veritablement le cristallin alteré que l'on abaisse. Je n'avois point de peine à concevoir comment on pouvoit voir fans cristallin : j'en étois déja perfuadé par raifon d'optique, & par le fentiment de Plempius raporté au chapitre 22. de la defcription de l'œil : mais ce qui m'embaroiffoit, c'estoit ce je ne fçais quoi de blanc que j'avois vû floter dans l'humeur aqueuse.

II.

OBSERVATION.

Le 5. Octobre 1685. étant mandé à Sezanne en Brie, je fis l'opération de l'abbaissement d'une cataracte fur l'œil droit d'un nommé Gobin Cordonnier demeurant au faux-bourg de Broyes. Mon éguille étant dans l'œil, & la cataracte commençant à quiter, fortuitement je fus heurté au bras par quelqu'un des assistants : cela me fit donner un faux mouvement à mon éguille, & je m'aperçeus auffi-tôt que prefque la moitié de la cataracte étoit paffée par la pupille: elle me parut blanche & ronde, comme dans l'obfervation précédente, & j'y obfervay bien mieux ce je ne fçais quoi de blanc & de fléxible attaché autour & dont les extremités flotoient dans l'humeur aqueuse. J'achevay mon opération comme deffus : la cataracte refta abbaiffée, & le malade guérit, fans que la pupille foit reftée dila

tée, ce que j'aprehendois bien fort. Il est encore en vie, n'ayant plus que cet œil, l'autre étant perdu par l'imperitie d'un charlatan coureur, qui lui persuada de se mettre entre ses mains, pour le guérir d'une autre cataracte qui commençoit à fe former, quand je lui fis l'opération fur l'œil droit.

Cette obfervation me des-abufa entiérement de l'opinion commune, & je commençay dés-lors à foûtenir, quand l'occafion s'en prefentoit, que la cataracte étoit une altération entiére du cristallin : ce qui me donnoit lieu de réfoudre quantité d'objections que plufieurs Medecins ou Chirurgiens me faifoient.

III.

OBSERVATION.

Quelque tems apres, un pauvre passant mourut dans nôtre Hôpital : j'avois pris garde la vieille de sa mort, qu'un de fes yeux étoit travaillé d'une cataracte : peu apres qu'il fut mort, je féparay l'œil de fon orbite, & je le portay chez moi. L'ayant ouvert, je remarquay que cette cataracte occupoit la place du cristallin, & je crus bien que c'étoit le cristallin même : en effet, apres l'avoir féparé aifément avec la pointe de mon scalpel, je reconnus que c'étoit veritablement le criftallin entiérement altéré: je le rompis avec les doigts pour m'en affurer davantage, & je remarquay que fa fubftance étoit femblable à celle d'un cristallin infufé dans une liqueur acide, comme je l'ay dit ci-devant.

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Je fuis fâché d'avoir perdu le memoire de cette observation cela m'oblige d'en demeurer là, dans la crainte que j'ay d'en imposer au public, fi je marquois

les autres circonstances de cette observation, que ma mémoire ne me fourniroit peut-être pas aufli fidelement, que ce que j'en viens de dire.

Apres cette obfervation, je n'eus plus befoin de raifonner fur les obfervations que je faifois en operant, pour me fortifier dans l'opinion que je tenois. J'en étois convaincu de vue & de fait; cependant je n'en pouvois encore convaincre les autres. On m'allegueoit que je pouvois me tromper; & que c'étoit peut-être un glaucoma ; que quand on auroit abbaissé ce corps pendant la vie de cet homme, il n'auroit peut-être pas vû, à cause du deffaut du cristallin : que pour détruire une opinion universellement reçeuë, il falloit des obfervations qui ne laissassent aucun doute, & beaucoup d'autres raifons de cette nature, qui me donnoient lieu d'admirer la facilité avec laquelle on embraffe une opinion peu foûtenable, & la difficulté que l'on a de l'abandonner, quand on en est une fois prévenu.

IV. OBSERVATION.

Sur la fin du mois d'Octobre de l'année 1691. un pauvre homme m'aména fa femme qui étoit aveugle, & me pria par charité de lui rendre la vüe, fi cela se pouvoit. J'examinay fes yeux que je reconnus être travaillez chacun d'une cataracte, celle de l'œil droit étoit d'un blanc de perles, peu luisante, suffisamment étenduë & avancée en devant. Le trou de l'uvée fe dilatoit & se refferroit ni trop vîte, ni trop doucement, quand je frotois la paupière & que je l'ouvrois; & en paffant la main entre fon œil & le grand jour, elle en diftin

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