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« Sire, faites-moi fusiller », Napoléon lui répondit : « Jeune homme, j'apprécie vos larmes; mais on peut être battu par mon armée et avoir encore des titres à la gloire. » En effet, si les Russes furent aussi complètement défaits, ce fut surtout à cause des mauvaises dispositions des chefs, et non par la faute du soldat. On le disait alors ignorant et lourd, mais brave. On accusait les généraux d'inexpérience1. Quant à l'empereur Alexandre, il n'était pas question de ses talens militaires, il n'y prétendait pas; mais on le représentait comme un prince appelé par ses grandes qualités à être le consolateur de l'Europe, si, trop docile aux conseils d'une trentaine de freluquets soldés par l'Angleterre, il ne se plaçait pas dans l'histoire au rang des hommes qui en perpétuant la guerre sur le continent, consolidaient la tyrannie britannique et faisaient le malheur de la génération. On lui prédisait que si la France ne pouvait arriver à la paix qu'aux conditions apportées par Dolgorouki et Nowolsitzwof, la Russie ne les obtiendrait pas, quand même son armée serait campée sur les hauteurs de Montmartre. 2

A la fin de la bataille, les débris de l'armée alliée se retirèrent, l'aile droite et le centre, en arrière

Trente-troisième bulletin. Les Russes s'y montrèrent des troupes excellentes qu'on n'a jamais retrouvées depuis. Les Russes d'Austerlitz n'auraient pas perdu la bataille de la Moskowa. Las Cases, t. 11, p. 179.

2 Trentième bulletin. On l'y a vue campée! On a vu ces conditions obtenues! mais elles ne furent consenties ni par Napoléon, ni par la France.

d'Austerlitz, dans la position de Hodiegitz, et la nuit à Creitsch; l'aile gauche à Niskowitz, se dirigeant vers la Hongrie. Le 12, dès la pointe du jour, l'armée française se mit à la poursuite de l'ennemi; Murat sur la route d'Olmutz; à sa droite, Lannes sur Stanitz; Bernadotte au centre, sur Goeding; Soult sur Urschutz; Davoust eut ordre de diriger sur Goeding, par Auspitz, la division Friant, et, de Nikolsbourg, la division Gudin, qui s'y trouvait, et n'avait pu la veille arriver sur le champ de bataille.

Après avoir fait ces dispositions, Napoléon se rendit de Posorsitz à Austerlitz, au château du célèbre Kaunitz, sur le tombeau duquel avait été donnée la bataille, et y établit son quartier général. Quand le soldat au bivouac voyait passer des officiers de Napoléon, il leur criait en riant : « L'Empereur a-t-il été content de nous?» Il répondit à l'armée par la proclamation suivante :

« Soldats,

Austerlitz, 12 frimaire.

« Je suis content de vous; vous avez, à la journée d'Austerlitz, justifié ce que j'attendais de votre intrépidité. Vous avez décoré vos aigles d'une immortelle gloire. Une armée de cent mille hommes, commandée par les empereurs de Russie et d'Autriche, a été en moins de quatre heures ou coupée ou dispersée; ce qui a échappé à votre fer s'est noyé dans les lacs.

Quarante drapeaux, les étendards de la garde

impériale de Russie, cent vingt pièces de canon, vingt généraux, plus de trente mille prisonniers, sont le résultat de cette journée à jamais célèbre.

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« Cette infanterie tant vantée, et en nombre supérieur, n'a pu résister à votre choc, et désormais vous n'avez plus de rivaux à redouter. Ainsi, en deux mois, cette troisième coalition a été vaincue et dissoute. La paix ne peut plus être éloignée; mais comme je l'ai promis à mon peuple, avant de passer le Rhin, je ne ferai qu'une paix qui nous donne des garanties, et assure des récompenses à nos alliés. Soldats, lorsque le peuple français plaça sur ma tête la couronne impériale, je me confiai à vous pour la maintenir toujours dans ce haut éclat de gloire qui seul pouvait lui donner du prix à mes yeux. Mais dans le même moment nos ennemis pensaient à la détruire et à l'avilir: et cette couronne de fer, conquise par le sang sang de tant de Français, ils voulaient m'obliger à la placer sur la tête de nos plus cruels. ennemis ; projets téméraires et insensés, que le jour même de l'anniversaire du couronnement de votre Empereur, vous avez anéantis et confondus. Vous leur avez appris qu'il est plus facile de nous braver, et de nous menacer que de nous vaincre.

Soldats, lorsque tout ce qui est nécessaire pour assurer le bonheur et la prospérité de notre patrie sera accompli, je vous ramènerai en France. Là, vous serez l'objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous reverra avec joie, et il vous suf

fira de dire J'étais à la bataille d'Austerlitz, pour

:

que l'on réponde: voilà un brave! >>

Dès le soir de la bataille, le prince Jean de Lichtenstein avait été envoyé au quartier général, et avait passé la nuit à le chercher. Napoléon le reçut à quatre heures du matin. Il venait demander un armistice pour l'armée alliée, et une entrevue pour l'empereur d'Autriche. L'audience fut longue, l'envoyé bien accueilli, l'entrevue accordée et fixée au lendemain 131. Il fut convenu qu'il y aurait, le 13 au matin, une suspension d'armes, et qu'un espace d'une demi-lieue serait laissé libre et neutre entre les avant-postes des deux armées, nécessaire pour la facilité de l'entrevue, et seulement sur le point où elle devait avoir lieu; cette suspension ne pouvait être que conditionnelle et partielle. En attendant, les troupes françaises continueraient donc de poursuivre l'ennemi qui se retirait sur Goeding; Bernadotte atteignit son arrière-garde dans la position d'Urschutz et l'en chassa. A dix heures du soir, Napoléon se plaignit de ce que Soult avait fait fausse route, s'était porté à Wischau et à Proznitz, où il n'y avait pas d'ennemis, et lui ordonna de se mettre

1 On a prétendu que Napoléon faisait un bon marché, parce que les Prussiens réunis avec un corps russe à Breslau pouvaient arriver, que le prince Charles était sur le Dânube, tandis que Masséna en était encore loin, etc. C'est l'opinion du duc de Rovigo dans ses mémoires, t. 11, p. 218. Mais il se réfute lui-même quelques pages plus bas, en démontrant que, sans la déférence de Davoust pour l'empereur Alexandre, lui et son armée étaient perdus.

en marche, le 13 à la pointe du jour, sur Urschutz et Goeding, avec une bonne colonne de ses troupes les plus fraîches, afin de tomber sur eux, son opinion étant qu'à la guerre il n'y avait rien de fait tant qu'il restait encore à faire; qu'une victoire n'était pas complète toutes les fois qu'on pouvait faire mieux; que dans la situation où l'on se trouvait, il n'y

t qu'une disposition et qu'un ordre général :

faire le plus de mal possible à l'ennemi et rendre la victoire profitable. Le même ordre fut donné à Davoust, aux généraux Klein et Bourcier.

1

Le 13, l'armée alliée passa la Marck, et arriva encore plus affaiblie à Holitsch, résidence de l'empereur d'Autriche. Alexandre y logea. L'empereur français était resté à Creitsch pour son entrevue. Napoléon se rendit non loin de Sarvchitz, et fit établir són bivouac près d'un moulin, à côté de la grande route. L'empereur d'Autriche arriva en calèche, accompagné des princes Jean et Maurice Lichtenstein de Wurtemberg, de Schwartzenberg, des généraux Kienmayer, Bubna, Sutterheim et d'une escorte de cavalerie. Napoléon alla au-devant de lui, l'embrassa en l'abordant, et le menant au feu de son bivouac, lui dit : « Je vous reçois dans le seul palais que j'habite depuis deux mois. » L'empereur d'Autriche lui répondit en riant : « Vous tirez si bon parti de cette habitation qu'elle doit vous plaire. Berthier et le prince Jean de Lichtenstein restèrent

1 Lettre de Berthier, du 12 frimaire, dix heures du soir.

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