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M. Veirieu, au nom du comité de législation, fait un rapport et présente un projet de décret (1) sur l'abolition des substitutions; le projet de décret est ainsi concu :

« L'Assemblée nationale, considérant combien il importe à la propriété publique de délivrer les propriétés de toutes les entraves qui en empêchent la libre disposition;

« Considérant que l'origine des fideicommis est odieuse; qu'ils sont le plus funeste de tous les fléaux dans les fortunes particulières; qu'ils allument les haines et jettent la désolation dans les familles, où ils sont la source de mille procès ruineux; qu'ils servent à établir une monstrueuse inégalité des richesses; que leur conservation est incompatible avec les principes sacrés de la liberté et de l'égalité, et que la saine politique en réclame la plus active proscription, décrète qu'il y a urgence.

L'Assemblée nationale, vu le décret d'urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1er. A compter de la publication du présent décret, nul ne pourra faire aucune substitution, ou aucun fideicommis quelconque, soit dans les actes entre vifs, soit dans les dispositions à cause de mort.

Art. 2. Le Corps législatif interdit pareillement et déclare nulle toute défense d'aliéner qui serait faite à l'avenir dans un legs ou dans une donation entre vifs.

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« Art. 9. Excepte néanmoins de cette dernière disposition les substitutions fidéicommissaires ou fiduciaires, non encore ouvertes, dans lesquelles des collatéraux du testateur, ou des personnes à lui étrangères, seraient grevés de rendre à quelqu'un de ses descendants : auquel cas, le fideicommis ou la fiduce conserveront leur effet; mais le fideicommis expirera sur la tête du descendant qui sera appelé le premier à recueillir. >>

(L'Assemblée ordonne l'impression du projet de décret et en ajourne la discussion.)

M. Cambon. Le projet de décret qui vous est présenté me paraît ne pas détruire entièrement le vice de notre législation, à l'égard de ce qu'on appelle les fils de famille. Est-il cependant un homme libre qui puisse tolérer plus longtemps la puissance barbare d'un père émancipant son petit-fils, et tenant obstinément sous sa puissance un fils qui est à la soixantième année de son âge? Cet abus est bien plus révoltant encore dans des temps où il règne un dissentiment dans les opinions politiques. On voit dans nos pays méridionaux les jeunes gens être patriotes, les vieux rester abrutis par les préjugés; et n'est-il pas bien fâcheux qu'un père de famille qui n'aura pas encore été émancipé puisse être déshérité pour son patriotisme?

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notre conduite à Soissons et de l'ardeur civique des habitants dans l'espace qui sépare la ville de Paris de l'ancienne cité de Reims. En décrétant, sur notre demande, que cette dernière ville a bien mérité de la patrie, en ordonnant l'impression de notre lettre et son envoi aux 83 départements, vous nous avez donné une marque de votre confiance dont nous avons senti tout le prix et dont nous avons cherché, en toute occasion, à nous montrer dignes.

Vos commissaires ne s'étaient point dissimulé les difficultés de leur mission; et la nature des obstacles qu'ils avaient à vaincre n'était plus un mystère pour eux lorsqu'ils arrivèrent, le 14 au soir, à Sedan un citoyen leur annonça, à la porte de cette ville, que la municipalité avait résolu de les faire arrêter; ce citoyen est le frère d'un de nos collègues, il se nomme Turgan et sert au régiment ci-devant Bouillon. Nous rappelons cette circonstance, parce qu'elle prouve que cet acte était prémédité, et que le prétendu risque auquel on a dit qu'on voulait nous soustraire était factice, et un de ces moyens vils qu'un homme fécond en ce genre de ressources avait imaginé, à tout événement, pour colorer l'attentat qu'il voulait commettre, préparant ainsi la rebellion de la force armée par celle des

autorités civiles.

Ici, Messieurs, nous voudrions jeter un voile sur cette scène d'horreur; mais, nous le sentons, notre individualité disparaît devant vous, et le caractère dont nous sommes revêtus doit se montrer seul. Ce caractère sacré, la majesté nationale, la souveraineté du peuple, le titre d'envoyés, tout dans cet instant fut méconnu, outragé, et vos collègues et les représentants de la nation n'eurent plus d'autre appui que leur courage et ce sentiment de dignité qui n'abandonne jamais l'homme qui fait son devoir et qui sait mourir. (Vifs applaudissements.)

Permettez que, détournant notre souvenir des circonstances de cet événement qui nous sont uniquement personnelles, et dont nous avons juré l'oubli, nous vous transportions avec nous dans la tour du château de Sedan, véritable bastille, sur les ruines de laquelle la main de la liberté doit graver un jour l'outrage fait aux Droits de l'homme par un général qui se targuait d'en avoir proposé le premier la déclaration. Du 14 au 20 août, vos commissaires sont demeurés seuls avec eux-mêmes; les dangers de la patrie, nous vous le jurons, les suites d'un événement dont nous prévoyions les conséquences, l'affreuse idée de la guerre civile, firent de chaque instant de ces six journées des heures douloureuses. Il était défendu de nous répondre, l'armée campée sous nos yeux avait disparu; jugez de notre situation dans cette ignorance tourmentante. Nous pouvions écrire, il est vrai, et, sans doute, on nous en laissait les moyens dans l'espoir que nous nous en servirions de manière à compromettre l'Assemblée nationale et nousmêmes. Nos lettres nous étaient apportées, et l'on nous forçait de les lire à haute voix. (Mouvement d'indignation.) Nous avions dans cette position presque autant à craindre de nos amis que de nos ennemis. Le 20, à 11 heures du matin, un grand bruit se fit entendre, des hommes qui se dire la municipalité parurent et nous annoncèrent que nous étions libres; nous reconnûmes en effet les mêmes personnes qui nous avaient interrogés à notre arrivée et qui, sans les marques extérieures de leurs fonctions, avaient cependant agi et procédé dans cette circonstance

assez importante pour des municipaux; car les couleurs nationales, le nom de la nation n'avaient frappé ni nos oreilles, ni nos yeux à Sedan, et ces signes de la liberté, et ces mots de ralliement qui font des habitants nombreux qui peuplent la France une famille unique, ne s'y sont reproduits qu'après notre voyage à Mézières et à Charleville. Si l'on avait besoin de chercher des crimes à M. La Fayette, la tiédeur des esprits, la nature des opinions, l'ignorance du peuple sur ses droits naturels et ses intérêts, la honteuse subordination du pouvoir civil aux autorités militaires dans la ville de Sedan nous suffiraient. Cet étrange état de choses était son ouvrage, il avait donc en effet opéré la contrerévolution autour de lui; des cris forcenés de: Vive La Fayette! nous assaillirent lorsqu'on nous conduisit de la maison commune à la citadelle, et nous apprirent que nous étions au pouvoir du tyran; mais un crime rendit la liberté aux Romains, un crime a ramené l'esprit de la liberté dans le département des Ardennes. Dans ce grand mouvement que notre détention a produit, la ville de Sedan a semblé résister quelque temps mais cette résistance est en quelque sorte excusable; cette ville, toute commerçante, est divisée en deux classes de citoyens, dont l'une tient dans ses mains l'existence de l'autre, les artisans et les propriétaires de fabriques; cet ordre de choses était très propre à reproduire ou à perpétuer l'esprit aristocratique; et l'on peut louer ici, du moins, le discernement des conjurés dans le choix qu'ils avaient fait de Sedan pour leur quartier général. Nous espérons cependant que, malgré les avantages que les Sédanois retirent de la richesse de leurs capitalistes et de leur commerce, le sentiment naturel de la liberté et de l'égalité se développera dans leur cœur. Une main ennemie, et contre laquelle nul d'entre eux n'était en défiance, l'ascendant d'une réputation acquise loin d'eux, des dehors trompeurs, l'artifice d'un langage où les mots Constitution et liberté se reproduisaient sans cesse, les intrigues et l'or de la cour, tout concourait à les abuser, et tout va concourir à les détromper.

:

ramener au point où il pourrait juger la conduite de ses magistrats et la nôtre. Il est important pour nous que vous puissiez apprécier les motifs de l'indulgence que nous avons montrée dans toute cette affaire, pour des magistrats prévaricateurs; et que vous soyez instruits, comme nous-mêmes, de ces circonstances fugitives qui n'ont pu être aperçues et senties par d'autres que par nous; les préventions du jugement, les erreurs de l'esprit ne sauraient céder des remèdes lents et à des moyens doux. Il nous parut sage de laisser aux citoyens le temps de la réflexion, de ne pas nous porter trop en avant, de nous montrer plus occupés des choses que des personnes, de nos devoirs que de nous de causer avec les hommes sensés que leurs affaires conduiraient vers nous, de marquer en tout de la modération, de dissiper les méfiances surtout de faire connaître la vérité, et de nous montrer ensuite tels que nous étions, des citoyens dévoués à l'intérêt public, incapables de ressentiments personnels et prêts à tout oublier, excepté le serment que nous avions fait de vivre libres ou de mourir; c'est ainsi que nous devions repousser l'inculpation odieuse, dont nous avaient chargés nos ennemis, d'être les agents et les envoyés d'une faction. Cette conduite produisit un bon effet, et nous vimes la confiance se ranimer, l'esprit public se remonter par degrés; notre vue, nous le sentions, était un reproche; ce que les hommes pardonnent le moins, c'est le mal qu'ils vous ont fait; nous songeâmes donc à nous éloigner de Sedan pour quelques moments, après nous être adressés aux citoyens dans les termes suivants (1).

Nous vous avons rendu compte, Messieurs, des regrets des autorités constituées, nous avons dù les croire sincères : nous allons vous expliquer les motifs de notre conduite à leur égard; devions-nous punir avec le pouvoir de pardonner, nous auxquels les offenses avaient été faites? Nous étions rendus à nos fonctions, notre autorité était reconnue; mais nous savions que les préventions ne s'effacent pas de l'esprit aussi vite que l'on révoque un ordre, qu'on casse un arrêté. Si les Sédanois avaient été détrompés, qu'eussions-nous dù trouver à la porte de notre prison? Tout le peuple abjurant son erreur, et ces mêmes magistrats, qui se vantaient de nous avoir garantis de sa fureur, forcés, à leur tour, d'implorer notre appui contre son ressentiment; mais nous ne fùmes pas, même en ce moment, l'objet d'une oisive curiosité plus d'injures, il est vrai, mais aucun signe de satisfaction. Le ton de quelques municipaux achevait de nous dévoiler le secret des opinions, et certes il nous était aisé de voir que, si nous n'étions plus sous les verroux d'une citadelle, notre liberté dépendait encore tout entière de ceux qui venaient, en apparence, de nous la rendre; mais nous n'étions pas moins assurés que cet état de choses serait de peu de durée, et que nous parviendrions aisément à détromper le peuple et à le

qu'a

L'état de l'armée, abandonnée à la fois par tous ses chefs, devait nous occuper avant tout; ce que nous en avions appris au moment où notre détention avait cessé était venu changer les inquiétudes vagues qui nous dévoraient dans notre prison, en une sollicitude douloureuse, que notre impuissance rendait plus poignante encore, et nous pouvons vous jurer que ces premiers moments de liberté ont été les plus cruels de notre mission. Notre dépêche du 20 vous a informés de ce qui s'était passé à l'armée (2). Mais tandis que, réunissant les débris de son état-major, elle tâchait de se réorganiser, nous étions informés qu'elle était menacée de manquer de subsistances, de fourrages, et qu'elle vivait au jour le jour. M. d'Hangest nous avait donné avis que son avant-garde allait être attaquée; il parait que cet avis n'avait pour objet que de l'inquiéter et d'accroître le désordre; ce général désirait notre présence, mais ce que nous savions du bon esprit de l'armée nous rassurait et le plus pressé, pour elle et pour nous, était de la faire vivre. Vous avez été informés des mesures que nous crûmes devoir prendre à cet instant, et auxquelles nous avons donné depuis la suite qui devait les rendre efficaces (3). Givet retenait les farines, le département de l'Aisne semblait avoir interrompu les charrois; les préposés au service nous effrayèrent; et dans l'ignorance du véritable état des choses, vous jugez quelles devaient être nos alarmes.

Nous nous rendimes auprès de l'Administration; les plus grands intérêts nous détermi

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nèrent à cette démarche. Nous avions raffermi la municipalité à son poste; il devenait important de prévenir la défection des administrateurs. Le département des Ardennes avait approuvé notre arrestation, et nous ne pouvions pas douter qu'il ne fût instruit qu'elle devait avoir lieu, lors de notre passage à Mézières; sa conduite équivoque ne nous était point échappée. On blâmera peut-être notre imprudence; mais qu'aperçumes-nous là, que nous n'eussions prévu depuis longtemps? Si nous avions éludé notre mission, qui peut prévoir jusqu'à quel point M. La Fayette eût entraîné son armée? Il était maître des communications et du secret des lettres, il eût prolongé l'erreur de ses soldats et des habitants de Sedan; un premier pas de l'armée l'aurait entraînée sans retour, et la guerre civile était inévitable. Nous étions d'ailleurs décidés à faire, à tout prix, éclater la trahison de ce général : arriver à celui qui devait abjurer ses erreurs entre nos mains, où l'obliger à se démasquer et à confirmer son crime par la violation de notre inviolabilité telle était notre résolution. Revenons au département des Ardennes.

Fidèles à nos principes, nous reçûmes l'expression des regrets et du repentir des membres qui le composent, sans témoigner aucun ressentiment, et nous les rétablimes dans leurs fonctions. Nous leur demandâmes, au nom de la patrie, de s'unir de cœur à nous pour faire triompher la cause de l'égalité et de la liberté, et nous ajoutâmes notre vœu à l'adresse qu'ils avaient faite à leurs concitoyens, et que nous vous avons fait passer (1). Cette adresse était une rétractation complète des motifs qui les avaient déterminés dans leur résistance à vos décrets; leur retour aux bons principes nous parut sincère. Nous ajoutons que nous crùmes rencontrer dans la majorité des membres qui composent ce département des citoyens plus égarés que coupables, et que les circonstances avaient entraînés. Nous éloignâmes, dans cette entrevue, tout ce qui nous était personnel; un grand concours de citoyens y assistait; nous vimes distinctement que l'esprit public avait été bien moins comprimé à Mezières qu'à Sedan, et nous dûmes en tenir compte aux administrateurs du département et aux officiers municipaux.

Après avoir pris des mesures relatives aux subsistances de l'armée, vu et harangué le peuple, nous nous rendîmes à Charleville, tout occupés de l'objet des armes, sur lequel nous avions reçu et pris des informations qui necessitaient de promptes mesures. Ce point, Messieurs, est un de ceux dans lequel le ci-devant pouvoir exécutif a le plus habilement conspiré contre notre liberté. Nous devions y mettre tous nos soins, car partout on nous demandait des armes. A notre arrivée à Charleville, tout retentissait d'acclamations patriotiques, et c'est là que nous commençâmes à concevoir l'espérance de réunir tous les esprits de ce département, sentiment qui doit animer aujourd'hui toute la France et la sauver. Nous vous avons rendu compte de ce que nous crùmes devoir arrêter dans cette journée, de concert avec toutes les autorités constituées (2), pour tourner avec ac

qui

(1) Voyez ci-après, aux annexes de la séance, page 69, la pièce justificative n° 6.

(2) Voy. ci-après aux annexes de la séance, page 69, la pièce justificative no 7.

tivité l'industrie des habitants de Charleville au profit de la nation et obtenir des ateliers qu'elle renferme un nombre considérable d'armes par jour. Nous remettrons à la commission des armes et au ministre de la guerre diverses notes à ce sujet; et, si vous le permettez, nous suivrons de près cette partie sur laquelle nous avons des renseignements positifs. Il vous importe, Messieurs, que la nation sache tout le mal qu'ou a voulu lui faire, qu'elle connaisse dans quelle situation était la France le 10 août, afin qu'on ne puisse vous imputer des désastres qui ne seront que l'inévitable conséquence des complots que vous avez découverts trop tard peut-être pour le salut de la patrie.

Rentrés à Mézières, les corps militaires vinrent nous visiter; nous reconnûmes les progrès que faisait la vérité de nos discours; et les lumières que nous répandimes sur tous les esprits, la connaissance des motifs de la conduite de l'Assemblée nationale nous parurent avoir dissipé totalement les erreurs que M. La Fayette avait semées avec tant d'artifice. Sa fuite indignait et détrompait les plus aveuglés. C'est à Mézières, le 22 au soir, que nous eùmes la douceur d'embrasser ceux de nos collègues que vous aviez plus particulièrement chargés de travailler à notre délivrance; ils voulurent bien suivre quelques détails que nous avions été contraints de négliger dans ces deux villes, et nous les devançâmes le 23 au matin, à Sedan, où d'autres soins nous rappelaient. Nous eûmes lieu d'observer, en arrivant, les heureux, progrès de l'esprit public, que notre conduite mesurée et plus encore, sans doute, l'ascendant du grand exemple que donnait aux habitants de cette ville le courage civique de tous les Français, et la contenance fermé de l'armée, tendaient à développer. Mais ce qui y contribuait le plus, nous devons le dire, c'était la liberté rendue aux opinions et les lumières répandues par les amis ardents de la chose publique, et par quelques citoyens de Paris, propagateurs infatigables de la doctrine de la liberté et de l'égalité. C'est à ce moment que nous avons vu reparaître les couleurs nationales sur l'écharpe des municipaux qui vinrent nous visiter en cérémonie; ils furent suivis du district et des officiers des différents corps; des gardes d'honneur nous furent présentées, et nous en primes l'occasion naturelle, en les remerciant et les refusant, de haranguer les troupes et les citoyens; notre porte commença d'être entourée, et des cris de: Vive la nation! si doux pour ses représentants, vinrent enfin frapper nos oreilles et porter dans nos cœurs une vive émotion. (Applaudissements.) Des soins relatifs à l'armée et à la défense de la place nous occupèrent tout le jour on s'était refusé jusqu'alors à préparer le barrage du pont, ce qui doit procurer à cette ville une défense naturelle par l'inondation, pour mettre à couvert d'une attaque la partie la plus faible. Nous enjoignimes à l'ingénieur d'y faire travail. ler sans retard, et nous lui en rapportâmes l'ordre de son chef, M. de Villelongue, avec lequel nous en avions conféré à Mézières.

Nos collègues nous rejoignirent le soir, et nous fixâmes notre visite à l'armée pour le lendemain; nous écrivîmes au général pour la lui annoncer. Il envoya au-devant de nous des détachements, et partout nous trouvâmes les postes avancés sous les armes; nous reçûmes les honneurs dus aux représentants du souverain. M. d'Hangest nous reçut à son quartier général, à Mouzon.

1

Ici, Messieurs, commence un ordre de choses qui nous ramène à des sensations bien opposées, bien diverses entre elles; ce que nous entendîmes au quartier général, ce que nous entendîmes au camp au milieu des soldats: au quartier général, le désespoir, le désir de quitter son poste; au camp, la fermeté, la constance, le désir de combattre, l'espoir de vaincre. (Applaudissements réitérés.) Mais, Messieurs n'allez pas en conclure que les officiers de l'étatmajor fussent moins dévoués que les soldats à la défense de la patrie, ce serait une erreur. Mais les premiers se voyant abandonnés par des chefs et par des camarades qu'ils avaient respectés et qu'ils aimaient, apercevant l'étendue des maux qui pouvaient résulter de la désorganisation dans laquelle leur fuite inopinée pouvait jeter l'armée, ignorant la position de l'ennemi; car, en partant, M. La Fayette n'avait laissé aucune instruction, aucun plan d'opérations; et ceux qui sont demeurés se sont vus obligés de se diriger sans renseignements précis au milieu des dangers dont ils se trouvaient environnés; enfin, abattus par le malheur, nous vous l'avouerons, nous ne pûmes voir dans leurs discours que l'expression des premiers sentiments dont ils avaient été si vivement affectés en apprenant la fuite de leur général, et nous crûmes devoir écouter avec la plus grande condescendance leurs plaintes et leurs demandes. Nous les conjurâmes seulement d'attendre encore quelques jours à leurs postes, nous leur en fimes sentir la nécessité, ils en convinrent, et nous accompagnèrent au camp. Nous devons remarquer ici que le général d'Hangest, qui nous parla plusieurs fois avec modestie de son insuffisance pour soutenir un si grand fardeau, n'y mêla jamais un mot de découragement. Dans les circonstances ou M. d'Hangest a pris le commandement de l'armée, il a rendu à la patrie un service signalé. Les Romains remercièrent, après une défaite, un général de ce qu'il n'avait pas désespéré de la République; vous devez au général d'Hangest les mêmes remerciements, et nous pensons que le rang de lieutenant général doit lui être déféré, avec mention honorable de sa conduite dans cette circonstance.

M. Pâris, commandant l'avant-garde, homme plein d'esprit et d'énergie, mais ami de tous ceux qui venaient de fuir, s'exprima dans cette occasion avec la franchise d'un brave soldat et la sensibilité d'un bon Français. Cette sensibilité était émue par tous les points; ses amis l'avaient abandonné, ses soldats le soupçonnaient, il nous dit: « Ouvrez-moi la porte du camp, ou demain je vais chercher la mort des mains de l'ennemi. » Nous lui promimes tout, et nous lui demandâmes du temps. Notre dessein était de parler à l'armée pour tous ceux qui se trouvaient, comme lui, entre la défiance des troupes et les coups de l'ennemi. Nous pensions qu'en leur rendant à cette tribune la justice qui leur est due, vous feriez, pour ceux qui sont restés à leur poste, un décret qui les y rattacherait, qui dissiperait toute défiance et qui raffermirait la discipline. Nous nous arrêtons ici, Messieurs, pour vous proposer ce décret, dont voici la formule:

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu ses commissaires sur la conduite de l'armée qu'ils ont visitée au camp de Vaux, près Mouzon, déclare que cette armée a bien mérité de la patrie; que les officiers qui, résistant à l'ascendant de l'exemple de leur général, sont demeu

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Nous avons, Messieurs, à vous recommander le commandant de la cavalerie et l'officier commandant le génie; ils ne nous ont rien demandé, mais nous avons appris qu'ils faisaient partout leur devoir.

Nous suivons dans cette narration le cours des événements; nous voici parvenus à la tête du camp: après avoir visité la cavalerie placée sur la route dans une très grande étendue, sa tenue, ses mouvements, sa conduite font en même temps son éloge et celui de son général. Notre position dans un chemin très étroit, qui nous faisait presque toucher la tête des chevaux, et l'étendue de la ligne que nous avions à parcourir, ne nous permirent pas de parler à cette cavalerie avec de grands développements; mais nous lui fimes entendre partout l'objet de notre mission et la vérité; nous lûmes sur tous les visages que cette belle troupe ne voulait combattre que pour la patrie. Les premiers corps que nous rencontrâmes dans le camp étaient composés de cette réserve si soigneusement choisie, et qu'on croyait bien plus les soldats de La Fayette que les soldats de la patrie; c'est là que nous pùmes juger de l'esprit de toute l'armée et de l'insigne fausseté de cette outrageante inculpation, la plus grave des offenses qu'on puisse faire à des soldats citoyens.

« Soldats de la patrie, enfants de la liberté, leur dimes-nous, la France vous regarde: agitée un moment au dedans, elle a mis sa confiance en vous contre ses ennemis du dehors; vous la justifierez, cette confiance, vous l'avez déjà fait. Fermes à vos postes, vous avez vu l'attentat commis par votre général; indignés de sa lâcheté, Vous avez, en un instant, été détrompés. La Fayette a fui, il s'est jugé lui-même indigne de vous commander. Les commissaires de l'Assemblée nationale vous remercient, au nom de la nation, de votre conduite dans cette circonstance; ils vous rappellent à la nécessité de l'ordre et de la discipline militaire, à la confiance en ceux qui, comme vous, sont demeurés à leur poste. Voulez-vous vous venger de vos ennemis ? Battez ceux de la France, faites triompher la cause de l'égalité. Repoussez, par une conduite sans reproche, la calomnie de ceux qui vous ont abandonnés: la reconnaissance publique vous attend, elle sera le prix de votre courage. Les hommes libres sont invincibles, vous combattrez pour les droits de l'homme, vous allez soutenir la cause des peuples contre les rois, vous allez venger la nation outragée et trahie; la gloire et la liberté seront votre récompense. »

Ces paroles et d'autres encore dans le même sens, inspirées par le même sentiment, servirent de bases aux discours que nous adressâmes à l'armée; ils n'étaient point préparés, et leur simplicité, l'expression dont ils étaient accompagnés, les dispositions de ceux qui les écoutaient, en ont fait tout le mérite et le succès. « Vive la nation! vive l'Assemblée nationale ! vivent

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