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Juifs qui les sollicitaient sans relâche les droits de citoyens, l'Assemblée ajourna plusieurs fois sa décision comme pour sonder le sentiment public qu'elle craignait de froisser. La question portée à la tribune nationale par de nobles et courageux défenseurs de la liberté occupa plus d'une séance. Elle fut discutée le 3 septembre. Le 28 du même mois elle revint de nouveau soutenue par l'éloquence de l'abbé Grégoire et de Clermont-Tonnerre qui prêta à cette noble cause l'appui d'une parole émouvante et d'un caractère vénéré.

Dans la séance du 14 octobre, une députation israélite fut admise à l'Assemblée, et M. Berr-Isaac Berr prononça à la barre un discours touchant qui fut accueilli avec faveur. Mais c'est surtout dans les séances des 21, 23 et 24 décembre que la question de l'émancipation des Israélites fut traitée avec le plus d'ardeur et de talent. Le fanatisme et l'intolérance prirent pour interprètes Rewbel, Beaumetz, l'abbé Maury et l'évêque de Nancy; la liberté, la tolérance, la raison empruntèrent la voix de Clermont-Tonnerre, de Duport, de Barnave et de Mirabeau. Le résultat, toutefois, fut un ajournement. Ce ne fut que le 28 janvier 1790 que l'Assemblée constituante rendit un premier décret en faveur des Israélites, encore ne concernait-il que ceux connus sous la dénomination de Portugais, Espagnols et Avignonnais, dont il confirmait seulement les anciens priviléges. Ce décret leur reconnaissait en même temps les droits de citoyens actifs.

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Le 25 février suivant, une députation de la municipalité de Paris se rendit à l'Assemblée pour la prier de comprendre les Israélites de la capitale dans les dispositions du décret du 28 janvier. Le 26 mai 1791 la municipalité de Paris fit encore une démarche semblable. Parmi les représentants de la capitale qui déployèrent le plus de zèle pour l'émancipation des Israélites, nous sommes heureux de signaler l'abbé Mulot et l'abbé Bertolio. Ces deux ecclésiastiques, animés des vrais sentiments chrétiens, soutinrent les droits des Israélites avec autant d'éloquence que de grandeur d'âme, dans les séances de l'Assemblée des représentants de la commune des 28 et 30 janvier 1790. Rendons aussi hommage au talent et à la persévérance de Godard, avocat au Parlement et représentant de la commune, qui, chargé par les Israélites de plaider leur cause auprès de la municipalité et de l'Assemblée, se dévoua à cette mission moins en avocat qu'en défenseur enthousiaste des droits de la justice et de l'humanité.

Un décret du 20 juillet 1790 abolit toutes les redevances de quelque nature qu'elles fussent, prélevées jusqu'alors sur les Juifs, entre autres celle de 20,000 livres payée annuellement au duc de Brancas et à la comtesse de Fontaine sous le nom de droit d'habitation, protection, et tolérance.

Enfin, l'Assemblée constituante osa braver l'ascendant des préjugés religieux, et dans sa séance du 27 septembre 1791, elle décréta solennellement l'émancipa

tion des Israélites. C'est Duport qui eut le bonheur d'attacher son nom à cette conquête. Profitant de la proclamation récente de la constitution de 1791, et s'appuyant sur les principes de liberté reconnus par la Declaration des Droits : « Je crois, dit-il, que la liberté des cultes ne permet plus qu'aucune distinction soit mise entre les droits politiques des citoyens, à raison de leur croyance. La question de l'existence politique des Juifs a été ajournée; cependant les Turcs, les Musulmans, les hommes de toutes les sectes, sont admis à jouir en France des droits politiques. Je demande que l'ajournement soit révoqué, et qu'en conséquence il soit décrété que les Juifs jouiront en France des droits de citoyen actif.» Ces paroles furent couvertes d'applaudissements. Rewbel, adversaire opiniâtre des Israélites, voulut combattre la proposition de Duport; mais Regnaud de Saint-Jean-d'Angely, lui coupant la parole, s'écria : « Je demande que l'on rappelle à l'ordre tous ceux qui parleront contre cette proposition, car c'est la constitution elle-même qu'ils combattront. Cette apostrophe prévint toute discussion; l'Assemblée convertit immédiatement en décret la proposition de Duport, et le 27 septembre 1791 devint la grande date des Israélites français.

Nous sommes parvenus à une époque contemporaine où les faits sont trop connus pour qu'il soit besoin d'entrer dans tous les détails de la législation concernant les Israélites. Nous nous bornerons

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Liberatin

rents gouvernements qui se sont succédé jusqu'à celui qui nous régit actuellement.

Le lendemain du jour où l'Assemblée constituante venait de donner satisfaction aux droits sacrés de la conscience humaine, cédant aux mauvaises passions d'un des représentants les plus acharnés contre les Juifs, elle rendit un décret contenant des mesures odieuses à l'égard des Israélites de l'Alsace, et sous prétexte de remédier à des abus scandaleux, elle frappa iniquement toute une classe de citoyens.

La constitution de 1791 avait proclamé la liberté religieuse; celle de 1793 reconnut et garantit également le libre exercice des cultes. Mais nous ne citons cette constitution que pour mémoire. On sait qu'elle ne fut pas appliquée, et qu'à cette époque à jamais exécrable, les droits comme les libertés furent foulés aux pieds par de vils et sanguinaires tyrans. On vit alors les églises et les temples transformés en écuries, on vit les sanctuaires profanés, les objets d'art brisés, les ornements sacrés enlevés, les cendres des morts jetées au vent, les prêtres massacrés, et quand la France épouvantée sacrifiait aux autels de la Peur, les bandits qui l'avaient asservie pouvaient bien par dérision s'incliner devant les autels de la Raison!

La constitution de l'an III rétablit en fait et en droi la liberté religieuse. Elle décida que la République ne salarierait aucun culte, et abandonna ainsi à la piété des citoyens, tous égaux devant la loi, le soin de pourvoir aux dépenses de leur culte.

La constitution de l'an vIII et le sénatus-consulte organique du gouvernement impérial (18 mai 1804) ne contiennent aucune disposition relative soit à la liberté religieuse, soit à l'exercice des cultes.

Sous Napoléon un fait immense se produisit, qui eut des conséquences heureuses, non-seulement sur le sort des Israélites français, mais encore sur celui des Israélites de toute l'Europe. Nous voulons parler des travaux de l'Assemblée générale, tenue à Paris en 1806, et ceux du grand Sanhedrin qui, en 1807, convertit en décisions doctrinales les réponses de cette Assemblée. Jusque-là les Juifs étaient à peine connus, les préjugés les plus absurdes étaient entretenus dans l'opinion publique sur leurs mœurs, leurs usages, leur morale, leurs sentiments politiques et Sociaux. Il fallait que la lumière se fit pour faire disparaître des préventions établies par la barbarie, maintenues par l'ignorance. Napoléon, en permettant aux Israélites de se montrer au grand jour de la publicité, de faire connaître les principes religieux et moraux déposés dans leurs livres et dans leurs cœurs, leur rendit un service dont ils apprécièrent l'imporlance. Le talent que les membres de ces deux Assemblées déployèrent dans l'accomplissement de la grande mission que le génie prévoyant de l'empereur leur avait confiée, fit ressortir avec plus de force toute Fabsurdité des préjugés. Napoléon, qui avait réorgavisé les cultes chrétiens par le concordat et les lois

aniques de l'an x, organisa également le culte

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