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La question de savoir si les Juifs sont réellement les auteurs de cette découverte est aujourd'hui très controversée. Ce n'est pas ici le lieu de la discuter.

Un fait plus certain, c'est que les Juifs étaient alors serfs, mainmortables, et que les seigneurs dans les terres desquels ils étaient tolérés, en leur succédant, profitaient facilement ainsi des biens qu'ils permettaient à ces malheureux d'acquérir.

Il existe un traité du mois de septembre 1198, entre Philippe-Auguste et le comte de Champagne, par lequel ils conviennent que les Juifs de l'un ne pourront point prêter dans les terres de l'autre. Par un autre traité du mois de mai 1210, Philippe-Auguste et la comtesse de Champagne se promettent réciproquement de ne recevoir ni retenir les Juifs du domaine de l'un dans celui de l'autre.

Dans un établissement intervenu entre le même prince, les clercs et les barons en l'année 1204, il est dit que les clercs ne doivent pas excommunier ceux qui vendent le jour du dimanche des blés ou autres marchandises semblables, ni ceux qui vendent aux Juifs ou qui achètent d'eux, ou qui travaillent pour eux; mais qu'ils peuvent excommunier les nourrices qui allaitent les enfants des Juifs. Par un établissement du 1" septembre 1206, Philippe-Auguste réglementa les obligations contractées par les Juifs et le prêt à intérêt. Cet établissement porte, entre autres dispositions, qu'aucun Juif ne pourra prendre un plus gros inté rêt que deux deniers pour livre par chaque semaine;

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qu'il ne pourra exiger le payement avant l'an et sera toujours forcé de le recevoir; que toute obligation devra être scellée par le bailli du roi; que les Juifs ne pourront prendre en gage des vases et ornements sacrés, des vêtements ensanglantés ou mouillés rẻcemment (cette disposition revient fréquemment dans les ordonnances de ce temps); que le sceau des Juifs sera gardé dans chaque ville par deux hommes de probité, qui feront serment sur l'Évangile de n'apposer ce sceau sur aucune promesse s'ils n'ont connaissance que la somme est légitimement due; enfin qu'il n'y aura dans chaque ville qu'une personne pour rédiger les obligations passées au profit des Juifs. D'autres dispositions sur la même matière sont contenues dans une constitution du même prince, du mois de février 1218. Il y est dit que la somme prêtée ne produira plus d'intérêt après l'an; qu'aucun Juif ne pourra prendre en gages des animaux ou des instruments servant à l'agriculture; que les Juifs de Normandie feront registrer les sommes qui leur seront dues, par-devant le bailli, en présence de dix chevaliers; que les débiteurs des Juifs pourront se libérer en cédant les deux tiers de leur revenu, et que ceux qui n'ont pour vivre que le travail de leurs mains, auront un répit de trois ans pour payer leurs dettes aux Juifs, en donnant caution d'en payer chaque année le tiers. Ajoutons toutefois que la même constitution défend aux débiteurs, sous peine d'amende envers le roi, de faire violence aux Juifs.

Louis VIII prescrivit quelques mesures analogues par un établissement du mois de novembre 1223, dont l'original est conservé au Trésor des Chartes. On y voit que le roi et les barons se promettent de ne recevoir ni retenir les Juifs de l'un sur les terres de l'autre, et que les Juifs doivent faire enregistrer sous l'autorité des seigneurs à qui ils appartiennent, les sommes qui leur sont dues, sous peine de perdre leurs créances.

Sous Louis IX, la persécution devient plus violente et prend un caractère plus odieux. En 1230, par un établissement entre le roi et un grand nombre de barons, il est décidé qu'ils n'autoriseront plus les Juifs à contracter aucune dette; que personne dans le royaume ne pourra retenir le Juif qui appartiendra à un autre, et que celui qui en sera le maître pourra le reprendre comme son serf; que les sommes dues aux Juifs seront payées en trois années, et que les Juifs seront tenus de représenter leurs lettres ou obligations à leurs seigneurs avant la Toussaint, sous peine d'annulation de leurs obligations. En 1234, le roi quitte les chrétiens du tiers des sommes registrées qu'ils doivent aux Juifs, ordonne la restitution du tiers à ceux qui ont tout payé, défend de faire emprisonner aucun débiteur pour les dettes des Juifs, ou de forcer un chrétien à vendre ses immeubles pour se libérer, et interdit aux Juifs de recevoir aucun gage, si ce n'est en présence de gens dignes de foi, sous peine de confiscation de leurs meubles ou

cateux. Par une ordonnance pour la réformation des mœurs dans les pays de Languedoc et de Languedoil, rendue en 1254, il est enjoint aux Juifs de s'abstenir d'usures, de blasphèmes, de sortiléges et de magie; ordre est donné de brûler le Talmud et les autres livres contenant des blasphèmes; d'expulser les Juifs qui ne se conformeront pas à ces dispositions, et de punir conformément aux lois ceux qui les transgresseront. Tous les Juifs devront vivre du travail de leurs mains ou du commerce qu'ils feront sans pouvoir négocier à terme ou à usure; défense est faite aux barons, sénéchaux et à toutes autres personnes, de prêter aux Juifs, de retenir le Juif d'un autre, ou d'empêcher le maître de reprendre son Juif comme son propre serf sur les terres d'autrui. (Nec impediat quòminus aliquis Judæum suum possit capere tanquàm proprium suum servum). En 1257 ou 1258, Louis IX ordonne la restitution des usures extorquées par les Juifs, et la vente de leurs immeubles à l'exception des synagogues et cimetières. En 1260, il attribue aux maires des bonnes villes la connaissance des délits commis dans leur ressort par les Juifs baptisés. Mais une humiliation plus grande encore que toutes celles qui avaient précédé attendait les Juifs. Par une ordonnance rendue en 1269, Louis IX leur fait injonction de porter sur leurs habits une marque qui les distingue des chrétiens. C'était la première fois que l'autorité séculière prenait une telle mesure. Elle ne faisait en cela que suivre l'exemple que lui avait

donné l'autorité religieuse par les dispositions semblables des conciles de Latran en 1215, de Narbonne en 1229, d'Arles en 1234 (1): « Comme nous voulons, dit le roi, que les Juifs puissent être distingués des chrétiens et reconnus, nous vous ordonnons d'imposer une marque à tous les Juifs des deux sexes. Ce sera une rouelle de drap ou d'étoffe jaune, cousue à la partie supérieure du vêtement, par devant et par derrière, d'une circonférence de quatre doigts, couvrant la superficie d'une main. Le vêtement supérieur du Juif appartiendra à quiconque le rencontrera sans cette marque, et le délinquant sera en outre puni d'une amende pouvant s'élever jusqu'à dix livres, qui sera en partie appliquée à des œuvres pics. » Enfin pour clore la législation de Louis IX sur cette matière, le chapitre 129 du livre I" des fameux établissements de ce prince, en l'année 1270, est ainsi conçu : « Si un baron avait un Juif qui se plaignît en sa cour d'un vassal du vavasseur, et que celui-ci en demandât la cour, il ne l'obtiendrait pas, parce que les meubles des Juifs appartiennent au baron. Nul Juif ne peut être reçu en témoignage selon le droit. Aussi les témoignages des Juifs contre les chrétiens sont de nulle valeur selon le droit écrit au Code, de Hæret. et

(1) A propos des conciles, nous ferons remarquer que c'est avec intention que nous n'avons pas rappelé les nombreuses décisions rendues par eux à différentes époques contre les Juifs. Il n'entrait pas dans notre plan d'examiner la position des Juifs au point de vue religieux. Ce que nous avons voulu faire, c'est l'historique sommaire de leur condition civile en France.

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