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Si le propriétaire réalise la superficie valant 70,000 fr. et la place au taux de 5 p. 010, il se créera un revenu supérieur à celui de la forêt; par conséquent, il a intérêt à défricher, quand bien même, après cette opération, le sol devrait rester dans une stérilité complète.

Nous sommes donc excusables de ne pas partager la confiance illimitée que la commission place dans les efforts de l'intérêt privé pour satisfaire aux exigences de la consommation; nous ne pouvons pas non plus nous dissimuler, contrairement à son opinion (p. 28), que le défrichement des bois de particuliers porterait un coup funeste à notre industrie métallurgique. Nous avons encore en France plus de 500 hauts-fourneaux qui marchent au bois, et consomment le 114 de nos produits forestiers; leur ruine serait assurément très-regrettable sous tous les rapports. Sans doute, l'intérêt du consommateur n'est pas le seul que la loi doive consulter; mais on nous accordera cependant que c'est un des plus respectables. On pourrait, en outre, adopter le principe de l'interdiction de défricher, sans aller jusqu'à fixer le prix des objets de consommation (p. 39). Notre Code de douanes est plein de dispositions qui ont une influence incontestable sur la prospérité d'une foule d'industries et sur le prix de leurs produits, et personne, que nous sachions, n'a combattu jusqu'à présent le principe même de ces dispositions.

L'intérêt des habitants de la campagne réclame-t-il le défrichement? La commission est résolument pour l'affirmative; et sur ce point encore, nous avons le regret de ne pas être de son avis.

Nous lisons à la page 40 du rapport :

« Le déboisement des plaines contribue à répandre le bien-être dans » les campagnes en augmentant les moyens de travail et de subsis»tance. » Et plus loin : « Les villages forestiers sont dans la détresse ; » les autres dans l'aisance. »

Toutes ces assertions sont contestables: la Flandre, le pays le plus fertile et le mieux cultivé du monde, est en même temps celui qui renferme la population la plus misérable. Dans les pays forestiers, les habitants sont occupés dans les bois pendant l'hiver, aux champs pendant l'été (1). Sous ce rapport, ils sont plus favorisés que les habitants des contrées purement agricoles. On se fait illusion, d'ailleurs, quand on croit que le défrichement des bois de particuliers augmentera la quantité de nos terres arables. M. Beugnot, qui est un partisan décidé de la loi de l'offre et de la demande, sait bien que la demande est le ré

(1) Voir à ce sujet, Ann. forest., tom. IX, pag. 205.

gulateur suprême de la production. Il ne suffit pas, pour que l'on étende la culture du blé, que l'on ait de la terre disponible,

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pas ce qui nous manque en France, il faut qu'on y soit sollicité par les exigences de la consommation, ou plutôt, par une demande plus considérable; or, nous ne distinguons pas clairement l'influence que pourrait avoir, sous ce rapport, le déboisement d'une partie de notre sol. Nous ne voulons pas dire que la conversion de terrains boisés en terres arables n'aurait pas lieu; voici comment les choses se passeraient · Toutes les fois qu'un sol boisé paraîtrait propre à produire des céréales à moins de frais que nos terres arables de dernière qualité, il serait infailliblement défriché et affecté à la culture de ces denrées; mais inévitablement aussi, il exclurait de la production des céréales une quantité de terres de qualité inférieure, équivalente à celle que ne réclamerait pas l'augmentation de la population, et cet excédant irait trèsprobablement s'ajouter aux 7 ou 8 millions d'hectares de friches qui déshonorent déjà notre territoire.

Il résulte des observations qui précèdent, que nous sommes loin d'adopter toutes les raisons alléguées par la commission à l'appui de la liberté du défrichement; cependant, nous ne sommes pas, nous l'avons déjà dit, les ennemis de cette liberté, et voici pourquoi :

Il est incontestable que l'interdiction prévue par le titre XV du Code forestier est très-préjudiciable à l'intérêt privé, et des-lors, son maintien ne serait légitime que s'il était impérieusement réclamé par l'utilité publique bien constatée.

Au point de vue de la production, cette utilité existe-t-elle ?

Nous ne le pensons pas.

La production en bois ne suffit plus, il est vrai, aux besoins de la consommation, mais si nous envisageons ces besoins dans leur généralité, nous voyons d'abord que les forêts soumises au régime forestier satisfont amplement à ceux de nos services publics et que les bois nécessaires aux constructions civiles, sont les seuls dont l'insuffisance se fasse réellement sentir; or, comme le fait observer avec raison l'honorable M. Beugnot, ce sont là des produits que l'interdiction de défricher ne nous donnerait pas.

11 est un fait constant que nous avons signalé déjà, et que nous croyons devoir rappeler, parce qu'il est capital dans la question. C'est que, dans la culture des bois, l'intérêt du propriétaire est en opposition avec celui de la consommation générale; celui-ci réclame les produits les plus considérables et les plus utiles; l'autre ne se préoccupe natu

rellement que du revenu net qui se trouve d'autant plus grand que les bois sont coupés plus jeunes.

Au point de vue de la production des bois de grande dimension, la prohibition de défricher est donc inefficace. Elle ne l'est pas sans doute en ce qui concerne le bois de chauffage, mais elle ne présente pas, sous ce rapport, un caractère d'intérêt public bien manifeste, et on pourrait, d'ailleurs, en atténuer singulièrement l'utilité.

La commission est persuadée que les particuliers n'abuseront pas de la liberté de défricher :

« Les particuliers n'ont-ils pas, dit-elle par l'organe de son rappor»teur (p. 44), depuis 1803, planté 291,765 hectares, c'est-à-dire, placé » volontairement cette vaste contenance de terres sous un régime » exceptionnel, qui a pour effet d'en abaisser d'un tiers la valeur! >>

Cet acte de désintéressement nous plaît, et nous ne devrions pas désespérer d'une culture qui rencontre d'aussi dévoués partisans; cependant, nous l'avouerons à notre honte, nous ne sommes pas entièrement rassurés sur l'avenir de nos bois, par l'exemple édifiant que nous présente la commission.

Le défrichement est, en général, dans l'état actuel des choses, une opération très-lucrative, puisqu'il permet de réaliser la valeur du matériel boisé, sans diminuer le revenu du sol. Si l'on veut dissuader les particuliers de déboiser, il faut améliorer les conditions de leur propriété, et ne pas trop compter sur l'oubli de leurs intérêts.

La commission croit que ceux qui opéreront des défrichements, les premiers, feront hausser le prix des bois, et détermineront, par cela même, les autres propriétaires à conserver ceux qu'ils possèdent; mais l'importation croissante des bois étrangers et l'usage de plus en plus répandu de la houille, empêcheraient probablement cet effet de se produire.

Il y a cependant des moyens efficaces de prévenir les défrichements excessifs que la levée de l'interdiction pourrait entrainer, et ces moyens, M. Beugnot les indique au chapitre 4 de son rapport. Il y énumère tous les désavantages, et ils sont nombreux, que présente la propriété forestière comparée aux autres propriétés, et il montre que loin de lui venir en aide, la loi s'est attachée à la maintenir au-dessous de toutes les

autres.

Ainsi, les bois sont plus imposés que les divers fonds de terres, et, dans certains lieux, l'impôt est plus élevé de 59 p. 010 sur les bois que sur les terres.

Leur surveillance exige un surcroît de frais.

Les délits dont ils sont victimes, sont punis avec moins de sévérité que ceux analogues qui sont commis dans les champs. Les peines portées par le Code sont, non-seulement insuffisantes, mais d'une application presque impossible.

Sous l'empire des principes économiques qui régissent la France, tout produit naturel ou industriel qui forme une branche importante de la richesse nationale, est protégé contre la concurrence étrangère. Les bois ne le sont pas.

Les bois sont soumis à des droits de navigation, d'octroi et d'exportation exorbitants... Dans beaucoup de lieux ils périssent faute de débouchés. Voilà certainement des désavantages très-grands (1), tout-à-fait exceptionnels et injustifiables qu'il faut faire disparaître, si l'on veut que les bois puissent supporter le régime de la liberté. Comment se fait-il donc que la commission qui en a si bien démontré l'importance, n'en ait tenu aucun compte dans la rédaction du projet de loi qu'elle propose de substituer aux dispositions prohibitives du Code forestier? Nous avouons que la raison de cet oubli nous échappe complétement. Nous nous attendions à trouver en première ligne parmi les mesures qu'il lui paraîtrait convenable d'appliquer aux bois, les dispositions nécessaires pour les placer dans des conditions d'existence. La logique la plus élémentaire commandait cette précaution, et l'Administration des forêts auprès de laquelle la commission a puisé une grande partie de ses inspirations, lui offrait, à ce sujet, un exemple qu'elle n'aurait pas dû négliger. Nous ferons remarquer, en effet, que, plusieurs mois avant son rapport sur le défrichement, M. le Directeur des forêts en avait rédigé un autre sur le reboisement des montagnes, et que ce dernier était suivi d'une série de propositions destinées à placer enfin les bois dans le droit commun.

Cet enseignement, a été méconnu, et c'est à nos yeux une faute très-regrettable, une faute capitale, qui rend inacceptable le projet de loi de la commission.

Autoriser les défrichements sous l'empire des circonstances qui sont de nature à y encourager les propriétaires, nous paraîtrait une mesure irrationnelle; car elle aurait pour résultat de faire défricher beaucoup de terrains que, dans des conditions normales, l'intérêt privé, d'accord avec l'intérêt public, aurait maintenus boisés.

(1) Voir sur tous les désavantages ci-dessus énumérés, Ann. forest., tom. IV,

pag. 105.

Nous désirons aussi la levée de l'interdiction qui pèse sur les bois, mais nous désirons, en même temps, qu'on leur fasse une situation qui leur permette de soutenir la concurrence contre les autres cultures, et nous regarderions, comme un malheur public, la loi qui adopterait le premier de ces vœux et qui repousserait le second.

Nous ne voulons pas, en un mot, délier la main qui tient la hache, et garrotter celle qui tient le plantoir.

C'est pourtant ce que demande la commission! Mais l'Assemblée, nous en avons la ferme espérance, repoussera sa proposition ou la modifiera dans le sens que nous indiquons.

En résumé:

La prohibition du défrichement ne peut être légitime qu'autant qu'elle est commandée par un intérêt public bien constaté.

Les bois ont deux destinations principales :

1o Une destination par leur influence sur le climat, la conservation du sol, la régularisation des cours d'eau, la défense du territoire; 2o Une destination comme produits du sol.

Au point de vue de leur première destination, l'importance de leur conservation est certaine, non-seulement pour les pays de montagnes, mais encore pour les dunes, pour les plaines qui réclament des abris, pour la zone frontière; il conviendrait donc de ne pas enfermer la commission, chargée du classement des bois qui mériteraient d'ètre maintenus sous l'empire de la prohibition, dans les limites étroites et trop absolues du projet de loi.

Au point de vue de leur production matérielle, l'utilité publique ne nous semble pas réclamer le maintien du régime sous lequel les bois se trouvent placés. L'interdiction ne nous donnerait pas les bois propres aux constructions civiles, et ce sont ceux qui nous manquent principalement. Quant aux produits secondaires, nous sommes convaincus qu'il suffirait, pour arrêter leur diminution au point au-delà duquel elle deviendrait désastreuse, d'améliorer les conditions de la propriété boisée.

Avant toute chose, il faut donc songer à cette amélioration.

Le secrétaire du Comité de rédaction, BREYNAT.

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