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Ils sont comme les mules du proverbe espagnol : Cambia la mula de freno pero de costumbres, no.

II. Dans son incommensurable sollicitude, le gouvernement nous a dotés, en 1892, d'une loi organisant l'arbitrage industriel.

C'est le droit du seigneur.

Et c'est à nous en personnes discrètes,

A nous soumettre aux lois qu'on nous a faites.

VOLTAIRE.

Mais il parait qu'on ne s'y soumet pas. Le ministre du Commerce est le premier à déclarer qu'une expérience de sept années a surabondamment démontré l'insuffisance de la loi de 1892. Il n'y a eu que 33 recours avant la cessation du travail; sur 3.370 grèves, les appels n'ont été que de 778 et ont surtout eu lieu dans les grèves de faible étendue; sur ces 778 cas, 183 ont abouti à une conciliation et 24 à un arbitrage; le pourcentage par rapport au nombre des grèves n'est que de 6.58.

Bien convaincu de l'infaillibilité du législateur, le ministre du Commerce attribue cet échec, comme on vient de le voir, à l'insuffisance de la loi, et il en propose une autre qu'il croit suffisante. Ce projet a soulevé un grand nombre d'objections de la part des ouvriers aussi bien que de celle des entrepreneurs. M. d'Eichthal le combat aussi. « Le législateur, dit-il, a prétendu assimiler l'atelierà un corps politique où la majorité décide à la moitié des voix plus une, ou bien à une société anonyme où la majorité, dans des conditions déterminées par la loi et par les statuts, est la règle des parties. C'est une double assimilation que rien ne justifie. »

M. d'Eichthal observe que les syndiqués dans l'ensemble du corps industriel ne sont qu'environ 1 sur 8 parmi les patrons, 1 sur 13 ou 14 parmi les ouvriers, et que c'est ainsi la minorité qui fera la loi à la majorité. Vouloir imposer une telle loi à des hommes qui engagent dans une industrie leur fortune et leur considération, ou qui gèrent la fortune de leurs associés, « c'est une méconnaissance flagrante à la fois de la liberté individuelle et des facteurs indispensables aux succès d'une entreprise collective. » Rien n'est plus vrai, mais c'est le droit du seigneur.

ROUXEL.

CHRONIQUE

SOMMAIRE : L'Angleterre redevient-elle protectionniste? L'opinion des

Chambres de Commerce.

vins.

Les ports francs.

dettes des communes.

-

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Le

La République Française et la mévente des Les Le privilège des bouilleurs de crû. Un vœu économique du Conseil général du Rhône. Une leçon d'économie politique de Mme Clémence Royer. régime des indigènes, apprécié par l'Echo de Malagascar. Les pratiques de l'Administration coloniale. La conversion économique de M. Mac-Kinley. Les progrès prétendus du marxisme en Angleterre. Comment on peut rendre le théâtre accessible aux petites bourses.

Les protectionnistes prétendent, comme on sait, que l'Angleterre ne tardera pas à renoncer au libre-échange qui est en train de la ruiner. Les renseignements qui ont été produits et les débats qui ont été engagés à la réunion d'automne des Chambres de commerce du Royaume-Uni n'ont pas précisément confirmé ces prévisions pessimistes. Comparant les chiffres du commerce extérieur des différentes nations, le président Lord Avebury a constaté entre les chiffres de 1900 et ceux de 1895: pour la Russie, une augmentation de 10 millions de liv. st., pour la France, de 56 millions; pour l'Allemagne, de 127 millions; pour les Etats-Unis, de 148 millions; pour l'Angleterre de 169 millions. La comparaison entre les chiffres de 1899 et de 1900 n'a pas été moins significative. Il en ressort une diminution de 3 millions de liv. st. pour la France et une augmentation pour la Russie de 9 millions de liv. st., pour l'Allemagne de 21 millions, pour les Etats-Unis de 35 millions, pour le Royaume-Uni de 27 millions. On voit que l'Angleterre n'est pas encore sous le point d'être ruinée par la concurrence allemande ou américaine.

A la même réunion, un fair trader, M. Stiebel, a essayé d'engager les Chambres de Commerce dans la voie suspecte de l'opportunisme économique, en proposant une motion portant que l'Angleterre « renonce à être liée par aucune théorie, qu'on l'appelle libre-échange ou autrement et fasse ce qui s'accorde le mieux au point de vue économique avec les circonstances du moment ». Sur une protestation énergique de M. Harold Cox, secrétaire du Cob

den Club, et après une vive discussion, cette motion équivoque a été retirée par son auteur. En revanche, une autre motion de M. Berckingham de Newcastle contre le droit de sortie sur le charbon a été adoptée à la presque unanimité.

Ces votes attestent que l'Angleterre n'est pas disposée à abandonner un système dont nous profitons plus qu'aucune autre nation, car le marché libre qu'elle nous a ouvert absorbe, à lui seul, plus du quart de notre exportation. Les membres de l'Association de l'industrie et de l'agriculture française pourront en gémir en leur qualité de protectionnistes, mais ils devront s'en. féliciter en leur qualité d'industriels, d'agriculteurs et d'exportateurs.

La République française se désole de la mévente des vins, mais ne va-t-elle pas s'aviser, l'imprudente d'en accuser les tarifs douaniers.

Comment le vin réussirait-il à franchir la frontière rébarbative des tarifs douaniers hérissés de toutes parts devant ses futailles ventrues? Si vous estimez les vins de bonne qualité ordinaire à 25 francs l'hectolitre, vous reconnaîtrez, en effet, qu'ils auront à payer 100 p. 100 en Allemagne, 110 p. 100 en Angleterre, 80 p. 100 en Belgique, 70 p. 100 en Danemark, 190 p. 100 aux Etats-Unis, 162 p. 100 en Hollande, 830 p. 100 en Suède, 390 p. 100 en Russie, 280 p. 100 au Transvaal.

Mais ces tarifs exorbitants n'ont-ils pas été « hérissés » à l'exemple des nôtres, et n'est-ce pas au patron de la République française que revient la grosse part de responsabilité de la mévente du vin?

Les excès du protectionnisme ont ramené l'attention sur la vieille institution des ports francs. Qu'est-ce qu'un port franc? La Chambre de commerce de Marseille en a donné une définition très exacte qu'a citée M.Charles Roux dans un historique intéressant de cette institution :

Un port franc est une ville hors de la ligne des douanes; c'est un port ouvert à tous les bâtiments de commerce sans distinction, quel que soit leur pavillon ou la nature de leur chargement.

C'est un point commun où vient aboutir, par une sorte de fiction, le

territoire de toutes les nations. Il reçoit et verse de l'un à l'autre toutes leur productions respectives, sans gêne et sans droits.

A cette définition, le ministre Chaptal a ajouté un exposé complet des conditions d'organisation des ports francs :

Si l'on ménage dans une ville maritime et à côté de son port une enceinte entourée de fossés ou de murs, isolée comme un lazaret, remplie de magasins comme l'enclos d'une foire, que les négociants puissent fréquenter librement, mais où personne ne soit admis à habiter; que l'embarquement et le débarquement puissent se faire directement; que, du côté de la ville, il n'y ait qu'une issue avec un bureau de perception pour le passage des marchandises entrant dans la consommation et une poterne pour l'allée et la venue des commerçants et des gens de service; si ces issues, qui s'ouvriront au jour et se fermeront à la nuit, sont gardées avec soin, on pourra laisser le négociant recevoir, emmagasiner, manipuler ses marchandises, les expédier par mer en franchise, le tout sans formalités, ni registres.

Hors de cette enceinte et à la sortie de l'enclos par la porte de l'intérieur, tout suivra l'usage ordinaire. On payera les droits.

D'après cette définition et ces conditions, un port franc serait un entrepôt assez vaste pour y rendre possible la manipulation des marchandises à l'abri des formalités de la douane. Etablissons donc des ports francs. Mais nous préférerions un pays franc.

Le Journal des Débats s'élève avec raison contre le privilège des bouilleurs de cru. Malheureusement, il est fort à craindre que l'approche des élections n'en rende la suppression plus que jamais difficile.

La dernière loi sur les boissons a maintenu, comme on sait, le privilège des bouilleurs de cru, et une décision du ministre des Finances, contre laquelle nous nous élevions il y a quelques jours, a encore étendu ce privilège en accordant, contrairement à la loi, la franchise d'impôt de 20 litres d'alcool pur pour leur consommation personnelle aux petits cultivateurs qui font distiller hors de chez eux le produit de leur récolte. Ce privilège tel qu'il est établi par la loi, et à plus forte raison avec les extensions qu'on a tendance à lui donner dans la pratique, est des plus funestes pour les finances et la santé publiques. Pour les finances, les premiers résultats de l'application de la loi nouvelle attestent une diminution importante dans le chiffre des quantités imposées. Cette diminution, pour les trois premiers mois de

l'année, s'élève à 8,080 hectolitres. Les approvisionnements anticipés, constitués en vue d'échapper à la surtaxe, expliquent en partie cette diminution; mais l'importance de cette surtaxe, combinée avec le privilège des bouilleurs de cru, en est une autre explication, la fraude étant devenue très alléchante et très facile.

de

Nous empruntons encore au Journal des Débats un aperçu l'augmentation progressive des dettes des communes. Cette augmentation est due au développement général du socialisme communaliste et il a pour conséquence naturelle l'aggravation des charges des contribuables actuels et futurs. Sous ce rapport, le communalisme fait une concurrence active à l'Etatisme et l'on ne saurait dire lequel des deux tient le record de la voracité financière.

Les communes françaises, à l'exemple de l'Etat lui-même et souvent avec son encouragement, font de plus en plus fréquemment appel à l'emprunt. L'ensemble de leurs dettes était, au 31 décembre 1899, de 3.881.352.204 francs. Ce chiffre, emprunté à la situation financière des communes récemment publiée par le ministère de l'Intérieur, accuse une augmentation de 199.037.853 francs, par rapport au montant de la dette communale au 31 décembre 1898. Cette augmentation de près de 200 millions en une seule année s'applique à la Ville de Paris pour une somme de 173.142.574 francs. Elle provient principalement de l'émission de l'emprunt autorisé par la loi du 4 avril 1898 pour la construction du chemin de fer métropolitain. Par suite de cet emprunt, et tout compte tenu des amortissements, la dette de la Ville de Paris atteignait, au 31 décembre 1899, 2.387.216.295 francs. Si on rapproche ce chiffre de celui de 3.881.352.204 francs qui exprime l'ensemble des dettes de toutes les communes de France, Paris compris, il ne reste plus pour les 36.179 autres communes françaises qu'une dette de 1.494.135.909 fr. Cette dette, pour inférieure qu'elle soit à celle de la seule ville de Paris, s'accroît rapidement. De 1898 à 1899, elle a augmenté de 13.680.230 francs, et, de 1899 à 1900, de 25.895.279 francs. Au 31 mars 1890, elle n'était que de 1.351,751.861 francs; elle s'est donc accrue de plus de 140 millions en dix ans.

Comme conséquence de l'augmentation de cette dette, il se produit. une augmentation dans les contributions extraordinaires, généralement destinées au remboursement des emprunts; en 1900, cette augmentation a été supérieure de 1,108 centimes à celle relevée en 1899 (1.860 centimes au lieu de 752). La progression du nombre des

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