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Nous laissons de côté, de parti pris, les détritus qu'on désigne sous le nom d'ordures ménagères en fait ils constituent plutôt un encombrement qu'un danger par suite de leur accumulation sur les champs des banlieues, où ils forment malgré tout un assez bon engrais, quand ils ont attendu un certain temps; ce dont on se plaint surtout, c'est qu'on ne sait plus guère où les expédier, les cultivateurs voisins des villes ne pouvant absorber tout le cube disponible chaque jour, et les frais de transport à distance étant disproportionnés avec la valeur de cet engrais. Mais ces ordures ménagères ne contiennent guère de germes dangereux. Il en est tout différemment des eaux usées, des produits d'évacuation des maisons, notamment des fosses d'aisances, et non seulement le volume en est considérable, mais encore ces eaux sont chargées de germes qui, par cela même qu'ils se trouvent en suspension dans de l'eau, peuvent aller rejoindre les nappes aquatiques souterraines et les infecter, si l'on ne prend pas des précautions minutieuses. Nous rappellerons d'un mot que la ville de Paris, ou plutôt les ingénieurs de l'Etat qui constituent l'état-major de son personnel technique, se sont décidés d'une façon absolue pour le tout à l'égout et pour l'épandage des eaux; il y aurai! beaucoup à dire sur cette question de l'épandage, qui est du reste pratiquée ailleurs, sur une plus petite échelle il est vrai; et malheureusement on peut se méfier quand on songe aux résultats que nous avons signalés et auxquels sont parvenus ces mèmes ingénieurs de la Ville en matière d'alimentation d'eau.

Cependant il faut avouer qu'on connaît maintenant le phénomène qui se produit dans le traitement des eaux d'égouts par épandage, et que ce système bien pratiqué assure bel et bien une purification des eaux, grâce à ces fameuses bactéries dont les admirables travaux de Pasteur ont prouvé le rôle universel dans presque tous les phénomènes de la vie. Ces eaux résiduaires, d'origines diverses, renferment des matières qui se groupent en deux grandes classes: les substances dites ternaires, sucre, amidon, cellulose, existant en abondance dans le bois, le papier et le linge, ou dans les débris de légumes, et les substances quaternaires, déjections, débris de viande, etc;. leur décomposition résultera de ce que des espèces variées de microbes viendront les attaquer et leur emprunter les éléments dont ils besoin pour vivre, en se nourrissant pour ainsi dire de la mort, suivant la grande loi de la nature. Par des interventions successives de microbes divers, les uns aérobies, c'est-à-dire ayant besoin de l'air pour vivre, les autres anaérobies, et préférant vivre à l'abri de l'air,

ces substances se décomposent peu à peu et deviennent des matières minérales, soit azote, acide carbonique et oxygène, soit nitrates assimilables, qui constituent un des meilleurs engrais pour les plantes. On peut considérer qu'une eau d'égout est épurée, quand toutes les matières ternaires ou quaternaires qu'elle contenait sont devenues des substances minérales. Et précisément, dans la filtration par épandage, c'est ce phénomène qui se produit sous des actions bactériennes. Mais, ainsi que cela résulte des expériences les plus probantes, il est nécessaire, pour que cette action précieuse se produise, que la filtration soit intermittente, afin que, entre temps, l'air pénètre dans les couches profondes du sol et apporte à certains microbes l'air dont ils ont besoin il faut donc un sol parfaitement drainé, perméable et absorbant, où les microbes puissent se disséminer dans toute la masse poreuse, aient le temps de décomposer la matière organique à son passage et, de plus, reçoivent l'oxygène nécessaire à leur existence. Ces conditions ont été élucidées par M. Hiram Mills aux Etats-Unis, et exposées de façon lumineuse par M. Calmette. Les propriétés mêmes de ce sol idéal, propriétés qu'on est bien loin de rencontrer dans les terrains d'épandage de la Ville de Paris, par exemple, ont fait penser qu'on pourrait artificiellement. constituer des terrains d'épandage, ou plus simplement des filtres sur lesquels on déverserait les eaux d'égouts, en s'arrangeant de manière à ce que ces eaux y subissent les transformations caractéristiques dont nous avons parlé. La chose était d'autant plus possible qu'on avait constaté que la culture sur les terrains d'épandage n'était nullement utile à la purification des eaux, mais qu'elle permettait seulement de tirer parti immédiatement des substances minérales formées. M. Mills avait même vu que la filtration était plus parfaite quand la terre demeurait nue, parce qu'alors l'air arrivait plus facilement dans les couches inférieures.

Nous ne devons pas oublier que ce n'est point d'aujourd'hui qu'on a songé à faire passer les eaux d'égouts dans des fosses de décantation et d'épuration; mais en réalité, on se contentait de faire déposer les matières en suspension qui étaient suffisamment lourdes pour tomber au fond de la fosse, la précipitation étant du reste aidée et hâtée par l'adjonction aux eaux de certaines substances chimiques comme de la chaux, du sulfate ferrique, de permanganate de potasse, etc. Dans une installation de ce genre,il est nécessaire de consacrer aux bassins d'immenses surfaces, puis il faut pomper les boues et les transporter au loin à l'état comprimé ou non.

Maintenant, avec des fosses de dimensions relativement très réduites, et grâce à l'action des microbes aérobies ou anaérobies, on arrive à des résultats vraiment merveilleux, en peu de temps et avec une simplicité très grande. Nous ne pouvons évidemment indiquer ici les différentes tentatives par lesquelles on a passé depuis quelques années pour atteindre la pratique actuelle; mais nous décrirens brièvement la méthode que l'on emploie à Manchester, et qui porte le nom un peu compliqué, quoique parfaitement explicable après ce que nous avons dit, de « procédé bactérien anaérobie avec double contact aérobie ».

A leur arrivée dans ce qu'on peut appeler l'usine de traitement, les eaux d'égouts commencent par passer à travers des grilles qui n'ont qu'une action purement mécanique, et arrêtent le sable, les morceaux de charbon, les déchets et débris métalliques et toutes les matières imputrescibles: on les enlève de temps à autre, assez souvent même, pour ne pas empêcher le passage rapide des eaux. Celles-ci se rendent alors dans des fosses, qui étaient autrefois de simples bassins de décantation et qui sont devenues ce qu'on nomme des fosses septiques. Cette désignation, qui doit se comprendre par cela même qu'elle est l'opposé d'antiseptique, vient de ce que, dans ces fosses, les eaux vont s'accumuler un temps suffisant pour qu'il s'y développe, à l'abri de l'air, des colonies de microbes anaérobies par conséquent, microbes qui rendront solubles les substances contenues dans les eaux et cela suivant le phénomène que nous avons expliqué en commençant. Il faut environ vingt-quatre heures pour que la solubilisation s'accomplisse, et c'est pour cela que les eaux ne circulent qu'avec une grande lenteur d'un bout à l'autre de la fosse.

Ce qui est bien curieux, et ce qui peut être indiqué sans qu'on entre pour cela dans des détails par trop techniques, c'est qu'il faut,pour amorcer cette fermentation, procéder comme à un ensemencement préalable de la fosse, après lequel les fermentations, l'action des microbes se poursuivra sans peine sur toutes les eaux qui passeront par la fosse. Dans ce but,quand on veut mettre une fosse en service, on laisse quelque deux semaines les premières eaux y séjourner, et, un peu comme sur une cuve de vendange, il s'y forme un «< chapeau » noirâtre qui monte à la surface, et donne lieu, grâce aux germes qu'il contient, aux fermentations voulues. Dès lors la fosse peut fonctionner sans doute le chapeau augmentera d'épaisseur durant quelques mois; mais immédiatement après sa formation le liquide sortant de la fosse est noirâtre lui aussi, nauséabond, et ne renferme plus guère que des substances

solubles, une partie de la fermentation s'étant échappée dans l'atmosphère sous forme de gaz. Ce qui est du reste bon à noter, c'est que ces gaz sont inflammables et qu'on pourra parfaitement les utiliser pour le chauffage et l'éclairage, en même temps que pour la force motrice à bon marché. Ce gaz (et cela a de l'importance pour l'installation même des usines de įtraitement des eaux d'égouts) n'a pas une odeur plus désagréable que celle qu'on perçoit dans le voisinage des usines à gaz.

Quand les eaux ne contiennent plus que des matières solubles, on les dirige alors sur les lits bactériens aérobies où vont agir des microbes qui ont besoin de ne pas être à l'abri de l'air comme les précédents. Ces lits sont de vastes bassins de peu de profondeur, remplis d'une couche de scories ou de mâchefer, concassés en grains de plus en plus fins au fur et à mesure qu'on se rapproche de la surface d'ailleurs les scories recouvrent toute une série de rami fications faites de tuyaux de drainage. L'eau noirâtre qui sort des fosses septiques est répandue en nappe mince sur ce lit. et elle n'atteint les drains qu'après avoir filtré à travers les scories: c'est à ce moment que (à la façon de ce qui se passe dans les champs d'épandage, mais d'une manière bien plus effective) les matières solubles en suspension dans l'eau subissent l'action des microbes aérobies, qui les font passer au moins partiellement à l'état d'ammoniaque ou de nitrate. En fait les eaux sont recueillies au sortir d'un premier lit, et conduites à un deuxième, puis à un troisième, enfin jusqu'à ce qu'elles ne contiennent plus de matières organiques, et encore le peu d'ammoniaque qui y subsiste disparaît bien vite dès qu'il s'y trouve en présence d'une quantité suffisante d'air. Notons encore que pour bien fonctionner, les lits bactériens ne doivent pas être constamment sous l'eau, il faut les laisser reposer quatre heures après quatre heures de fonctionnement, cela tout simplement pour laisser se renouveler la provision d'oxygène que les scories doivent offrir aux microbes chargés de la purification des eaux. Cela revient à construire un nombre de filtres répondant aux besoins du traitement des eaux, étant donnée l'alternance qu'on doit observer pour la mise en service des lits bactériens. Le résultat est encore bien plus économique et la surface occupée bien moindre qu'avec l'épandage ordinaire ou les procédés de purification et de décantation chimiques.

A la vérité il ne faut pas croire qu'on ait,au sortir des lits bactériens, des eaux absolument potables, comme on s'amuse à le prétendre pour les champs d'épandage de la ville de Paris; mais

ces eaux, qui contiennent en nombre très faible quelques-uns des bacilles pathogènes qu'on rencontre couramment dans les eaux de surface, peuvent du moins sans inconvénient aucun être rejetées dans les fleuves et rivières.

Nous ne ferons que signaler d'un mot les tentatives qui se poursuivent pour permettre la suppression de l'intermittence dans l'alimentation des lits bactériens: au reste, ces tentatives coûtent cher et ne donnent point d'excellents résultats. On songe aussi à combiner le traitement chimique avec ce qu'on nomme le traitement biologique, parce qu'il fait appel au concours d'organismes vivants. En somme, ce procédé semble résoudre le problème de façon fort satisfaisante, puisqu'il permet d'épurer 100.000 mètres cubes d'eau d'égouts sur une surface de 26 hectares à peine, alors qu'il faudrait quelques 900 hectares pour obtenir le même résultat au moyen du procédé classique de l'épandage.

Et au point de vue de la philosophie de la science, il est vraiment admirable de voir l'homme domestiquer pour son usage le travail de ces infiniment petits, microbes et bactéries, en les obligeant à produire à point nommé les transformations dont les a chargés la nature.

Nous ne voudrions point revenir sur cette question des quarantaines, que nous avons pleinement traitée dans notre dernier mouvement.Cependant, comme il est toujours assez satisfaisant de montrer qu'on ne se trompait point dans ses appréciations, surtout quand il s'agit de prouver l'incapacité de l'Administration dans les questions sanitaires, nous signalerons à nos lecteurs la communication qui a été faite par M. Bucquoy à l'Académie de Médecine, dans une séance du mois de novembre. M. Bucquoy a subi une quarantaine au Frioul, et il est venu apporter la preuve indéniable de la façon piteuse dont l'Etat applique toutes ces belles réglementations dont il est si prodigue, et pour lesquelles it fait du reste payer à la navigation de lourdes taxes sanitaires. Le lecteur y verra que l'Administration ne pratique nullement les mesures qu'elle prétend imposer aux particuliers.

DANIEL BELLET.

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