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ce qui ne saurait être nié — des œuvres pour lesquelles il est bon d'être libre de tout attachement et de tout intérêt personnel, n'y en a-t-il pas pour lesquelles il est bon, à l'inverse, de n'être point seul et de pouvoir partager avec un compagnon aimé le travail de chaque jour ? Si le dévouement du missionnaire, de la sœur de charité, de l'explorateur, ou les méditations solitaires du savant sont admirables et peuvent remplir sans y laisser de vide des existences entières, la vie laborieuse du père de famille qui gagne le pain de ses enfants, celle de la mère qui, après leur avoir donné son sang et son lait, guide leurs premiers pas et dirige à la fois l'éveil de leur intelligence et celui de leur cœur, sont-elles moins méritoires?

N'est-ce pas bien souvent aussi dans la famille, dans la pratique de ces vertus plus humbles qui vous paraissent nous retenir loin des hauteurs où vous aspirez, que se trempent les caractères, que s'élargissent les idées, que se prend l'habitude de l'effort, de la droiture, du respect de soi-même et des autres, que s'étend et se développe le sens de la responsabilité, et que, sans le savoir souvent, on devient propre aux plus grandes tâches et prêt, lorsqu'elles se présentent, à les accomplir?

C'est à leur mère, on l'a dit bien souvent, que la plupart des plus grands hommes ont été redevables de leur grandeur. C'est à l'influence de leur femme, bien souvent aussi, Tocqueville en a fait la remarque, que bien des hommes, sans s'en rendre compte, ont dû de s'élever au-dessus d'eux-mêmes. Le pur éclat dont ils ont brillé dans la vie publique n'a été que la manifestation extérieure de la flamme pure entretenue dans leur vie privée.

Etre bon père, bon époux, bon garde national même, comme on disait au temps où il y avait une garde nationale, n'a jamais été une préparation inutile pour être bon citoyen, grand citoyen parfois. Et, comme Antée reprenait des forces toutes les fois qu'il touchait la terre, plus d'un n'a dû son énergique et indomptable constance qu'au bonheur qu'il avait de pouvoir se retremper dans l'atmosphère fortifiante et calmante d'un honnête foyer.

« C'est la femme, a dit Michelet, qui rend l'étincelle » ; le courage et l'audace, au besoin. C'est elle aussi qui apaise l'irritation, préserve des emportements et des ressentiments amers, et apprend à supporter en y opposant le verdict béni de son approbation, les injustices et les mécomptes.

Et, pour mettre les points sur les i et en revenir à l'acte même dont le seul accomplissement serait, à en croire Tolstoï, une dégradation et une souillure, comment lui, chrétien à sa façon, mais chrétien convaincu, adorateur d'un Dieu qu'il croit à la fois tout-puissant, tout

sage et tout bon, a-t-il pu admettre qu'une fonction nécessaire à la durée et au développement de notre espèce, imposée par la nature même à la plus élevée comme à la plus inférieure des créatures, et sans laquelle, en fin de compte, ne peut être transmis le flambeau de la vie, fùt nécessairement une violation de la loi de ce Dieu parfait ? Acette fonction, il est vrai, comme à celle de la nutrition, a été attaché, par cette même nature, et cette même volonté supérieure, un attrait particulier, et, par suite, de l'une comme de l'autre, il arrive trop souvent que l'on soit exposé à abuser. Mais n'y a-t-il d'autre remède à l'abus que de supprimer l'usage? Et faut-il, parce qu'il y a des gourmands et des intempérants, renoncer à manger et à boire, ou ne se permettre plus que des aliments désagréables ou sans saveur? Faut-il, comme l'ascète russe voudrait y condamner ses disciples, ne tolérer le mariage, lorsque, comme pis aller, on se résignerait à le tolérer, qu'à la condition d'en calculer froidement les exigences et de réduire les concessions que l'on ferait aux besoins du corps aux proportions d'une de ces misères de notre organisme physique que nous subissons à regret? Faut-il, en d'autres termes, en bannir l'amour, et interdire aux époux, sous peine d'impureté, ce réciproque abandon qui, suivant une parole de l'Ecriture, les fondant deux en un, ne fait plus d'eux, suivant une autre parole, qu'une même chair et un même esprit ? Qui ne voit que c'est cet abandon, au contraire, ce bonheur de se sentir l'un à l'autre et de s'aimer jusqu'au don total de soi-même, qui rehausse, qui annoblit et qui sanctifie ce qui, sans cette transfiguration, ne serait, en effet, qu'un acte purement matériel et, suivant une expression bien crue du catéchisme, qui cependant ne l'interdit qu'en dehors du mariage, une œuvre de chair?

Philémon et Baucis, quoique leur union n'ait point été bénie par la survenance d'enfants, en avaient fait autre chose une œuvre du cœur. Et qui ongerait à rire ou à se scandaliser de la touchante persistance de leur mutuelle tendresse ? A plus forte raison, en est-il de même lorsque, perpétuée, en quelque sorte, et personnifiée sous leurs yeux, sous la figure de ces petits êtres nés de leur rencontre, l'affection des é poux prend une forme à la fois plus sérieuse et plus douce, et il leur est donné de s'aimer en autrui, après s'être aimés l'un dans l'autre.

Et vous voudriez, ô grand Tolstoi, vous père d'une belle et nombreuse famille, condamner la mère, suivant une expression que j'emprunte à l'auteur d'un admirable livre, L'Ecole de la pureté, à ne voir dans chacun de ses enfants que le monument vivant de sa faute et le témoin de sa honte?

Plût à Dieu, en vérité, qu'au lieu d'écarter du mariage ou de refroidir dans le mariage la flamme du foyer,on pût à la fois amener au mariage

mais au mariage honnête, ceux qui s'en détournent; et dans cette honnête union introduire et retenir le charme pénétrant et pur des premières émotions!

La morale de Malthus, que cite Tolstoï, mais qu'il n'a, je le crains, comme bien d'autres, pas bien lu, pas bien compris en tout cas, me paraît supérieure lorsqu'il nous dit que l'on ne saurait se faire un beau plan de vie sans que l'amour y tienne quelque place; et que pour engager les jeunes gens au travail, à la sagesse et à l'économie, il leur représente une adolescence chaste, comme « le portique sacré du temple divin de la paternité ».

Je regrette d'être obligé de me séparer, sur des points si graves, et de me séparer si complètement, d'un maître tel que Tolstoï. Mais plus l'homme est grand, plus son influence est puissante, et plus il importe, avec le respect que l'on doit à la noblesse des sentiments et à la droiture des intentions, de combattre ce que l'on croit erroné et dangereux. La terre n'est point le ciel, comme le voudrait Tolstoï.Et les hommes, la plupart au moins, ne sont point faits pour y être des anges. Ne leur demandons que ce qu'il leur est possible de donner, et souvenonsnous du mot de Pascal.

FRÉDÉRIC PASSY.

BULLETIN

1er.

PUBLICATIONS DU « JOURNAL OFFICIEL »

(Novembre 1901).

Rapport suivi d'un décret portant réglementation de l'émi

gration des indigènes à la Côte d'Ivoire (page 6910).

4.

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suivi de décrets relatifs au fonctionnement de la justice au Tonkin (page 6945).

6.

suivi d'une circulaire, d'un décret et d'un arrêté relatifs à la liberté de conscience et modifiant le décret du 20 mai 1885 et l'arrêté du 24 juin 1886 sur le service à bord des bâtiments de la flotte (page 6977).

8. Décret relatif à la situation des sociétaires de la Comédie

-

Française (page 7005).

10. portant modifications au décret du 6 juin 1897 sur l'organisation de l'administration centrale du commerce et de l'industrie (page 7050).

Arrêté créant une commission d'études pour l'organisation à l'étranger d'une école de perfectionnement pour les jeunes ingénieurs et industriels (page 7050).

13. Rapport suivi d'un décret fixant les frais de premier établissement et de représentation du commissaire du Gouvernement dans le territoire militaire des pays et protectorats du Tchad (page 7147). 14. - Décret modifiant le décret du 1er février 1873 sur l'organisation du Collège de France (page 7158).

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16. relatif au serment professionnel des employés des postes et des télégraphes (page 7185).

21. Rapport suivi d'un décret fixant le régime douanier applicable, à l'entrée en France et en Nouvelle-Calédonie, à certains produits originaires des Nouvelles-Hébrides (page 7295).

- Décret fixant les quantités de produits originaires d'exploitations françaises des Nouvelles-Hébrides à admettre en France et en Nou

velle-Calédonie, sous un régime de faveur, pendant la campagne de 1901-1902 (page 7296).

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Loi modifiant les articles 300 et 302 du code pénal (Infanti

cide) (page 7399).

(Voir plus bas le texte de cette loi).

26.

Loi relative au dessèchement d'étangs dans le département de l'Ain (page 7377).

Rapport suivi d'un décret rattachant administrativement et financièrement les îles Rurutu et Rimatara à l'archipel des Gambiers (page 7379).

29. Décret fixant, jusqu'au 31 décembre 1901, la perception des droits sur les fers, aciers et fontes à l'octroi de Paris (page 7437).

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Arrêté fixant la liste des sociétés mutuelles ou à primes fixes françaises ou étrangères fonctionnant conformément à la loi du 9 avril 1898 (page 7439).

30.

Loi modifiant les articles 170 et 171 du Code civil, en conférant aux agents diplomatiques et aux consuls le droit de procéder, à l'étranger, à la célébration du mariage entre un Français et une étrangère (page 7453).

LOI modifiant les articles 300 et 302 du Code pénal (Infanticide).

Article unique.

comme suit:

«<< Art. 300. nouveau-né.

Les articles 300 et 302 du code pénal sont modifiés

L'infanticide est le meurtre ou l'assassinat d'un enfant

« Art. 302. Tout coupable d'assassinat, de parricide et d'empoisonnement sera puni de mort, sans préjudice de la disposition particulière contenue en l'article 13 relativement au parricide.

<< Toutefois la mère, auteur principal ou complice de l'assassinat ou du meurtre de son enfant nouveau-né, sera punie, dans le premier cas, des travaux forcés à perpétuité, et dans le second cas, des travaux forcés à temps, mais sans que cette disposition puisse s'appliquer à ses coauteurs ou à ses complices. >>

Fait à Paris, le 24 novembre 1901.

Par le Président de la République :

EMILE LOUBet.

Le garde des sceaux, ministre de la Justice,
MONIS.

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