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chez les nations catholiques. C'est pourquoi il fait appel à la concurrence, dans la conviction que cette religion rétrograde serait incapable de la soutenir, et ferait place au protestantisme. « A ceux qui demandent, dit-il, que mettrons-nous à la place du catholicisme? la réponse est toute prête : Le protestantisme. »

«< En détruisant l'organisation actuelle du catholicisme, et en établissant contre lui la possibilité de la concurrence religieuse, nous devons proclamer nettement, sans ambages, que c'est au profil du protestantisme et que c'est sur le protestantisme que nous comptons pour arracher la France au catholicisme. »

Sur ces deux points : l'efficacité du régime de la protection appliqué au catholicisme, et son incapacité à soutenir la concurrence du protestantisme, nous cessons d'être d'accord avec l'auteur du Bilan de l'Eglise. Nous n'ignorons pas que les catholiques sont généralement de son avis sur le premier point et même sur le second; qu'ils sont convaincus que l'intérêt vital de leur Eglise est d'être protégée et subventionnée par l'Etat,autant que possible à l'exclusion des autres cultes; c'est pourquoi le clergé et les dévots considèrent à peu près partout comme l'idéal à atteindre, le rétablissement de l'ancien régime, et ils sont, plus encore que les industriels et les propriétaires fonciers, imbus de l'horreur de la concurrence. Autant que M. Yves Guyot, ils sont persuadés qu'elle leur serait mortelle.

A notre avis, ils se trompent du tout au tout. On sait que Charles Dunoyer a démontré que les produits immatériels, parmi lesquels ceux de la culture religieuse doivent être rangés en première ligne, sont, aussi bien que les produits matériels, soumis aux lois économiques. Et l'histoire de la religion catholique fournirait au besoin une preuve éclatante à l'appui de cette démonstration. C'est le monopole dont l'Eglise était pourvue-monopole garanti contre la concurrence par les supplices les plus raffinés — qui a provoqué la réaction du protestantisme, contre la corruption du clergé et l'avilissement du culte. Plus tard, c'est encore le rétablissement du monopole par la révocation de l'Edit de Nantes qui a suscité, au moins pour une forte part, la réaction philosophique du xvIIe siècle et, par un juste retour des choses d'ici bas, les persécutions et les confiscations révolutionnaires. Enfin si l'on examine la situation actuelle du catholicisme, on trouvera que c'est aux Etats-Unis, c'est-à-dire dans un pays où il n'est ni subventionné ni protégé contre les cultes concurrents, qu'il est le moins maculé de fétichisme et qu'il possède la clientèle la plus zélée. M. Yves Guyot partage donc l'erreur de l'Eglise elle-même en croyant qu'elle ne peut subsister et prospérer que sous un régime du monopole, et que la concurrence lui serait mortelle. C'est, au contraire, l'histoire l'atteste, le

monopole qui lui est mortel, comme il l'est à toutes les autres branches de l'activité humaine. M. Yves Guyot commet, à notre avis, une autre erreur en comptant sur le protestantisme « pour arracher la France au catholicisme ». La diversité des religions répond à celle des tempéraments, et il ne serait pas plus facile de protestantiser les Bretons ou les Provençaux que de catholiciser les Chinois ou les Turcs. La concurrence fera la juste part de chacune des religions, en donnant à leur clientèle la culture religieuse qui est la mieux adaptée à son état intellectuel et moral. Seulement, la concurrence en matière de religions implique les mêmes droits de posséder, de s'associer, etc., etc., qu'en matière d'industrie. Le projet de loi que M. Yves Guyot avait déposé en 1876 sur la séparattion facultative des cultes et de l'Etat ne répondait point à ce desideratum des amis de la liberté; il substituait simplement le communalisme à l'Etatisme religieux, et n'aurait pas plus satisfait les protestants libéraux que les catholiques.

Quoi qu'il en soit, l'auteur du Bilan de l'Eglise a rendu au catholicisme un service signalé en mettant en pleine lumière les vices et les abus qui constituent son passif, et le conduiraient à une inévitable décadence si la concurrence ne venait point y porter remède. On peut douter toutefois que les catholiques à l'exception d'une infime minorité libérale - lui en soient reconnaissants.

G. DE M.

UN SIÈCLE. MOUVEMENT DU MONDE DE 1800 à 1900. Un vol. gr.-in-8° de 914 pages, Paris, H. Oudin, éditeur.

Cet ouvrage qui expose l'actif du bilan de l'Eglise, et dont le livre de M. Yves Guyot forme le complément, est divisé en trois parties. I. Le mouvement politique et économique. II. Le mouvement intellectuel. - III. Le mouvement religieux. Cette dernière partie est de beaucoup la plus importante. M. le vicomte d'Avenel a écrit le chapitre relatif à l'industrie et au commerce, mais ce chapitre, d'ailleurs intéressant, ne contient que 15 pages, tandis que l'archéologie n'en a pas moins de 41 et la vie intime de l'Eglise 45. On peut juger par là du degré d'importance que la direction de l'ouvrage attribue aux questions économiques en comparaison des autres, dans le mouvement du monde.

DIE ERGEBNISSE UND DIE AUSSICHTEN DER PERSONALEINKOMMENSTEUER IN OESTERREICH (Les résultats et l'avenir des impôts sur le revenu personnel en Autriche) par le baron Frédéric de Wieser, professeur à l'Université allemande de Prague. Leipzig, Duncker et Humblot, 1901. L'impôt sur le revenu, n'ayant pas donné en Autriche ce qu'il a

donné en Prusse, M. de Wieser s'est dit qu'en étudiant son assiette dans les deux pays et en distinguant entre les villes et les campagnes, il y aurait chance de mettre le doigt sur l'origine du déficit. Pour les villes il y a équivalence de rendement, mais quant aux campagnes, si l'on estimait leur richesse comparative d'après le produit de l'impôt sur le revenu, on arriverait à la conclusion inattendue que comme richesse l'ensemble des campagnes autrichiennes est à un niveau qui ne dépasse pas celui des régions les moins favorisées de la vieille Prusse. M. de Wieser en infère qu'en Autriche Jacques Bonhomme a une forte tendance à ne pas déclarer la totalité de ses revenus; sa moralité fiscale (Steuermoral) est déplorable, tandis que celle des centres urbains brille d'un éclat immaculé. Cette absence de scrupule fait tort au trésor autrichien d'une somme assez ronde; il semble que le législateur la pressentait, car il avait eu soin d'écarter les autcrités communales rurales de la confection des listes des contribuables et avait institué à leur place des commissions spéciales de Vertrauensmänner (hommes de confiance). Eux non plus n'ont pas répondu à son attente; on a bientôt jugé prudent de se passer de leur concours et de se fier aux seules lumières des agents du fisc, dont la clairvoyance a pourtant été mise en défaut. En matière fiscale, il est facile de compter sans son hôte et de vendre la peau de l'ours avant de l'avoir mis par terre.

E. CASTELOT.

BEITRAGE ZUR NEUESTEN HANDELSPOLITIK DEUTSCHLANDS (Etudes sur la récente Politique Commerciale de l'Allemagne). Publication du Verein für Socialpolitk. Vol. II. Leipzig, Duncker et Humblot, 1901. Ce volume renferme quatre articles: le premier de M. Henri Dade, sur les droits agraires en Allemagne ; le second, de M. Hewins, professeur d'économie politique à King's College et directeur de la School of Economics à Londres, sur l'Impérialisme et son influence sur la Politique commerciale du Royaume-Uni; le troisième, de M. Rathgen sur la Politique Commerciale de l'Angleterre à la fin du xrxe siècle et le quatrième, de M. Karl Ballod, sur les Rapports commerciaux germanico-américains.

La seconde et la troisième de ces études présentent naturellement plus d'un point de contact et il est piquant de comparer les prévisions concernant l'impérialisme exprimées par deux économistes, l'un anglais, l'autre allemand. Tous deux sont d'accord pour déclarer qu'il est appelé à déterminer la direction de la politique du gouvernement anglais. Toutefois, il y a impérialisme et impéria

lisme; pour M. Hewins, c'est l'« impérialisme constructif » qui sera le leitmotiv de la politique de son pays pendant le siècle où nous entrons. Voici la définition qu'il en donne : « C'est une politique gouvernementale qui, de propos délibéré, envisagera l'ensemble de l'Empire au lieu du Royaume-Uni; sa politique commerciale, en particulier, ne sera plus dictée par l'intérêt des consommateurs, mais par celui de l'Empire tout entier ». En d'autres termes, M. Hewins prévoit la subordination voulue des questions purement économiques à la poursuite d'un idéal de solidarité et de puissance politiques. M. Rathgen aboutit à une conclusion analogue; reconnaissant la force irrésistible du mouvement impérialiste, il la montre se manifestant dans les projets de législation mis en avant par les membres du parti. Il constate que l'opinion publique anglaise ne considère plus comme définitivement irréalisables des moyens d'unification tels que les tarifs différentiels, des faveurs réciproques ou une union douanière exclusive entre les colonies et la métropole. Mais il signale les obstacles financiers auxquels plns d'un de ces projets viendrait se heurter.

L'avenir n'est à personne, a dit le poète, et,certes, il est périlleux de se hasarder à le prédire. Toutefois, il paraît possible, pour ne pas dire probable, que le xx° siècle verra l'avènement dans l'immense Empire britannique d'une politique qui sera l'exacte contre-partie de la politique coloniale du xixe siècle; ce serait, en somme, la rançon du triomphe des ambitions impérialistes.

E. CASTELOT.

LE PREMIER CONGRÈS DE L'ENSEIGNEMENT DES SCIENCES SOCIALES. 1 vol. in-8°, F. Alean, 1902.

Ce volume contient le compte rendu des séances du premier congrès de l'enseignement des sciences sociales tenu en 1900, et le texte des mémoires présentés. Ces rapports et documents sont publiés par la Commission permanente internationale de l'enseignement social, nouveau titre adopté. J'aimais mieux le premier, plus précis et plus français. J'avoue aussi que je ne comprends pas ce que signifient les mots enseignement international.

Quelques bonnes idées ont été émises dans ce congrès, et beaucoup plus de mauvaises. Cette diversité tient à la diversité même des hommes qui y ont pris part. On y vit M. Duclaux et M. Alfred Croizet, M. Paul des Rousiers et M. Georges Renard, avec M. Gide, M. Delbet, M. H. Denis, M. Wandervelde, M. Waxweiler, M. Marcel Bernès, et beaucoup d'autres. L'initiatrice, l'organisatrice, et l'âme des délibérations semble avoir été Mlle Dick May, secrétaire général.

Le but était la diffusion de l'enseignement des sciences morales et sociales, soit dans les écoles primaires, secondaires et supérieures, soit sa pénétration dans les masses par des moyens appropriés, conférences, causeries, œuvres de solidarité, etc.

Certains des congressistes veulent que, dès l'école primaire,on donne aux élèves une instruction civique, des notions de droit et d'économie politique. D'autres veulent rejeter cet enseignement dans les études secondaires et même supérieures, et je crois bien que ces derniers ont raison, étant bien entendu que l'enseignement moral, avec ou sans cours réguliers et méthodiques, n'est pas exclu de l'enseignement général de l'école primaire et du collège. On ne m'accusera pas de dédaigner l'économie politique : j'en fais chaque jour et je m'intéresse beaucoup aux questions qu'elle soulève. Mais à chaque chose sa place: je crois que là est la vérité, et qu'il faut d'abord apprendre aux bambins à lire, à écrire, à compter et à se bien conduire.

Il m'est assez difficile de bien exprimer l'impression que m'a laissée la lecture de ces rapports et mémoires. Car il y a un grand mélange et je ne voudrais pas m'exposer à blâmer ce qu'il y a de bon avec ce qu'il y a de mauvais. L'ensemble laisse beaucoup à désirer. Avec des tendances socialistes, de grandes phrases et des mots. Peu de choses dessous. C'est assez la mode aujourd'hui. Et ce qu'il peut y avoir de bon, somme toute, on le sait depuis longtemps. Mais on l'exprimait plus simplement, et l'on ne parlait pas tant de méthodologie. Il y a des choses assurément très savantes, mais qui font rêver, surtout si l'on considère qu'il s'agit d'apprendre à des enfants qu'il faut se bien conduire, telle, par exemple, cette conclusion d'un rapport de M. Simiand: « L'enseignement social et notamment celui de la morale, laïque et rationnel, ou bien s'inspirera d'une métaphysique d'Etat, librement choisie ou bien sera exclusivement positif, et par suite, dynamique et critique, à tous les degrés de l'école primaire...

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Cela prouverait peut-être que ce que l'on veut, ce n'est pas tant l'enseignement de la morale que d'une morale selon les vues, les opinions et les désirs de ceux qui exposent ces théories.

J'avoue ne pas voir en quoi profiterait l'éducation nationale ou internationale par l'application du vœu no 5 (car il y en a une série qui sont numérotés) : « Que, dans toutes les écoles pratiques, l'économie sociale solidariste soit enseignée, en remplacement ou tout au moins concurremment avec l'économie politique iadividualiste. » On voit que M. Gide était une des lumières du congrès.

Je crois aussi que la philosophie consiste en autre chose qu'en des conférences sur l'alcoolisme, l'abus du tabac, le jeu, la débauche, l'oisiveté, vices fort repréhensibles assurément, mais contre lesquels

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